Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... F... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 6 décembre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.
Par un jugement n° 1710224 du 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, des pièces et un mémoire, enregistrés les 18 février, 20 février et 26 août 2019, la société Wabco France, représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun n° 1710224 du 28 décembre 2018 ;
2°) de rejeter la demande de Mme F... tendant à l'annulation de la décision du 6 décembre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif économique ;
3°) de condamner Mme F... à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé s'agissant du moyen tiré de la validité du motif économique autonome lié à la cessation d'activité de l'entreprise ;
- la décision de cesser l'activité de production sur l'unique site de Wabco France constitue à elle seule, de manière autonome, un motif économique réel et sérieux ;
- la restructuration est justifiée par des menaces objectives sur la compétitivité du groupe Wabco.
Par un mémoire, enregistré le 10 mai 2019, la ministre du travail demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun n° 1710224 du 28 décembre 2018 ;
2°) de rejeter la demande de Mme F... tendant à l'annulation de la décision du 6 décembre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.
Elle déclare reprendre ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2019, Mme F..., représentée par Me A..., conclut à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Melun n° 1710224 du 28 décembre 2018 et à la condamnation de la société Wabco France à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens des requêtes ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- les observations de Me C..., substituant Me E..., avocat de la société Wabco France,
- et les observations de Me A..., avocat de Mme F....
Considérant ce qui suit :
1. La société Wabco France SAS fait partie du groupe Wabco qui a pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation de systèmes de freinage, contrôle de stabilité, de suspension et de transmission pour les véhicules industriels. Elle comptait plus de 600 salariés à la fin des années 1990 sur son site unique de Claye-Souilly. Elle a déposé le 13 janvier 2016 une demande d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi consécutif au projet d'arrêt progressif de l'activité industrielle sur le site de Claye-Souilly et par une décision du 3 février 2016, la directrice déléguée de l'unité départementale de Seine-et-Marne a homologué le document unilatéral de l'entreprise Wabco France. Le recours déposé contre cette décision par Mme D... F... et autres devant le tribunal administratif de Melun a été rejeté par le jugement n° 1602912 du 22 juin 2016. A compter de septembre 2017, la société Wabco France a cessé toute activité de production et a quitté le site de Claye-Souilly pour n'employer désormais qu'une quarantaine de salariés affectés à des fonctions de vente et de sessions de formation dans un immeuble de bureaux à Jossigny en Seine-et-Marne. Mme F... a été embauchée par la société Wabco France par un contrat du 13 septembre 1999. Elle occupait en dernier lieu un poste en qualité d'agent logistique administratif et détenait un mandat de membre titulaire du comité d'entreprise. Par courrier du 20 septembre 2017, elle a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement auquel elle ne s'est pas présentée. Le comité d'entreprise, qui s'est réuni le 20 septembre 2017, a émis un avis défavorable à son projet de licenciement. Par courrier du 5 octobre 2017, la société Wabco France a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de la licencier pour motif économique. Par une décision du 6 décembre 2017, l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement. Mme F... a formé un recours contre cette décision que le tribunal administratif de Melun a, par le jugement n° 1710224 du 28 décembre 2018, annulé pour erreur d'appréciation s'agissant de la nécessité de sauvegarder la compétitivité du groupe Wabco dans le secteur de la fourniture de composants technologiques pour l'industrie des véhicules industriels, motif de la demande d'autorisation de licenciement. La société Wabco France et la ministre du travail relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort, en particulier du point 3 du jugement attaqué, que les premiers juges ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les motifs pour lesquels ils ont considéré, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce y compris la cessation d'activité du site de Claye-Souilly, que la décision attaquée d'autorisation de licenciement pour un motif économique tiré de la sauvegarde de la compétitivité, est entachée d'erreur d'appréciation. En particulier, en faisant état de ce que la demande de licenciement était une demande de licenciement pour motif économique dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi le tribunal a, en tout état de cause, nécessairement répondu à l'argument de la société Wabco France aux termes duquel sa demande n'était pas motivée par la sauvegarde de la compétitivité du groupe mais par une cessation de l'activité de l'entreprise. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Les dispositions de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, seules applicables au litige dès lors que la procédure de licenciement a été engagée avant l'entrée en vigueur de cette ordonnance, prévoient que " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : (...) / 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ". Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. Est au nombre des causes sérieuses de licenciement économique la nécessité de sauvegarder la compétitivité et pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, l'autorité administrative ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de l'entreprise demanderesse, mais est tenue, dans le cas où la société intéressée relève d'un groupe dont la société mère a son siège à l'étranger, de faire porter son examen sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause, sans qu'il y ait lieu de borner cet examen à celles qui ont leur siège social en France, ni aux établissements de ce groupe situés en France.
5. La menace pesant sur la compétitivité du groupe Wabco qui, ainsi qu'il résulte des termes de sa demande, constitue le motif sur lequel la société Wabco France a fondé la demande d'autorisation de licenciement de Mme F... s'apprécie donc au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise Wabco France SAS au sein du groupe Wabco, à savoir la conception, la fabrication et la commercialisation de systèmes de freinage, le contrôle de stabilité, de suspension et de transmission pour les véhicules industriels. La société Wabco France soutient qu'elle subit une pression croissante sur les prix avec dans le même temps un renforcement des exigences techniques et de qualité, l'apparition de nombreux concurrents issus des pays émergents qui font fabriquer leur production dans les pays à bas coût, l'augmentation du coût des matières premières et qu'elle est dans l'incapacité de capter de nouveaux marchés pour les produits conventionnels en fin de vie, tels que ceux fabriqués par Wabco France, pour lesquels la demande est en chute en Europe de l'Ouest et que, corrélativement, elle connait une baisse drastique du nombre d'heures de production sur le site de Claye-Souilly, moins 45 % entre 2011 et 2015 entrainant la dégradation de la marge brute du fait de la baisse du volume de production. Il ressort, toutefois, du rapport rédigé en janvier 2016 par le cabinet d'expertise-comptable Syndex adressé au comité d'entreprise relatif aux comptes annuels 2014 et prévisionnels 2015, lequel a, en tout état de cause, été validé par un expert-comptable, que le groupe Wabco a eu un " résultat opérationnel 2014, bien qu'en léger retrait, (...) [qui] atteint 331 millions d'euros soit 11,6 % du chiffre d'affaires " et que " la dynamique de croissance est toujours au rendez-vous, avec un chiffre d'affaires en hausse de 6,4 % " et que " le marché sur lequel évolue le groupe est proche des caractéristiques d'un marché captif [avec] peu de concurrents, une situation de quasi duopole, une position très forte de Wabco, des clients qui peuvent difficilement faire l'économie des problématiques auxquelles les produits Wabco répondent ". Le rapport ajoute que " la " menace " principale viendrait de concurrents sur le marché automobile (...) [qui] ne représentent pour le moment que 2 % du marché global " et " interviennent également sur un marché où Wabco est peu présent, qui n'est pas le coeur de son business ". Dans ce rapport, est repris un graphique issu d'un document intitulé " Wabco / Investor Day / Février 2015 " qui mentionne que le groupe Wabco détient 45 % des parts de marché. La société Wabco France a contesté ces données dans le courrier du 25 avril 2016 que la direction a adressé au comité d'entreprise qui indique que s'agissant de la situation de duopole mentionnée par l'expert, " la réalité est bien différente et plus modeste " sans toutefois produire aucune donnée chiffrée. De plus, dans la présentation PowerPoint débattue lors de la réunion du comité d'entreprise du 14 avril 2016, la société requérante n'a pas davantage apporté de rectification s'agissant des données retenues par le cabinet Syndex concernant les parts de marché détenues par le groupe Wabco dans son secteur d'activité. La société Wabco France se prévaut, par ailleurs, du dossier d'information remis aux membres du comité d'entreprise de Wabco France le 23 septembre 2015 s'agissant de la consultation sur un projet de restructuration affectant la situation de l'emploi dans l'entreprise correspondant au livre 2 du PSE 2015. S'il ressort effectivement de ce document l'existence d'une pression baissière sur les prix du secteur d'activité concerné avec corrélativement une augmentation du coût des matières premières, la société Wabco France ne produit aucune pièce permettant de caractériser que cette situation conjoncturelle aurait davantage affecté le groupe Wabco que ses concurrents. Par ailleurs, il ressort du livre 2 précité que le groupe Wabco est un fournisseur mondial de composants technologiques pour l'industrie des véhicules industriels leader mondial dans son secteur et que si la société Wabco France fait référence à l'émergence de nouveaux concurrents issus, d'une part, des pays émergents et, d'autre part, des équipementiers automobiles, elle ne produit aucun élément chiffré permettant de démontrer l'importance de cette nouvelle concurrence en termes de parts de marché à la date de la demande d'autorisation de licenciement et son impact sur la santé du groupe s'agissant du secteur d'activité dont relève l'entreprise Wabco France. Elle ne peut, au demeurant, utilement se prévaloir dans ses écritures en appel des données figurant dans le document de " Knorr Bremse " Factbook 2018 " " et les études publiées en octobre 2018 dans le magazine économique Forbes, en septembre 2018 dans le magazine Marketwatch de l'association de l'industrie automobile allemande et en 2018 sur " le marché du véhicule industriel ", qui sont postérieures à la décision d'autorisation de licenciement en litige. Enfin, si la société Wabco France soutient qu'un de ses nouveaux concurrents est le groupe chinois Sorl Auto Parts, qui a une activité similaire à la sienne mais également concernant les véhicules de tourisme et qu'il " affiche une progression de chiffre d'affaires et de bénéfice fulgurante ", qu'il " se présente comme étant le premier sur son marché domestique chinois, parti de surcroît à la conquête des marchés étrangers ", elle n'indique pas quelle est la part de marché de cette entreprise sur ce secteur commun d'activité qui permettrait d'établir la réalité de la menace sérieuse de ce concurrent pour sa compétitivité future. S'agissant de l'autre concurrent auquel fait référence la société Wabco France, à savoir Asimco Technologies, les données générales produites ne permettent pas davantage d'établir la réalité de la menace sérieuse pour sa compétitivité future dans son secteur d'activité. Enfin, s'il est constant que le site de Wabco France a connu une baisse de 48 % de sa production entre 2012 et 2016, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette circonstance menacerait de manière avérée la compétitivité du groupe. Il résulte de tout ce qui précède que la société Wabco France n'établit pas que la demande d'autorisation de licenciement sollicitée était justifiée par la réorganisation de l'entreprise rendue nécessaire par la menace pesant sur la compétitivité du groupe dans le secteur d'activité concerné et destinée à prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi. Par suite, la société Wabco France et la ministre du travail ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la décision par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de Mme F... pour un motif économique tiré de la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, était entachée d'erreur d'appréciation.
6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société Wabco France et de la ministre du travail tendant à l'annulation du jugement attaqué doivent, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions de la ministre du travail, être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme F..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Wabco France au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Wabco France le paiement à Mme F... de la somme de 1 500 euros en application des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Wabco France et les conclusions de la ministre du travail sont rejetées.
Article 2 : La société Wabco France versera à Mme F... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Wabco France, à la ministre du travail et à Mme D... F....
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 27 février 2020.
Le rapporteur,
A. B...Le président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA00757