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10/07/2020 | FRANCE | N°19PA02409

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 10 juillet 2020, 19PA02409


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F..., Mme J... F...-B..., MM. I... F..., G... F..., E... F..., Q... B..., S... D... B..., N... F..., R... F... et H... F... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à les indemniser des préjudices ayant résulté pour eux de fautes commises par le centre hospitalier Henri-Mondor de Créteil lors de la prise en charge médicale de M. K... F... à compter du 23 décembre 2009.

Par un jugement n° 1308873 du 3 juillet 2015, le trib

unal administratif de Melun a condamné l'AP-HP à verser, d'une part, à l'épouse...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F..., Mme J... F...-B..., MM. I... F..., G... F..., E... F..., Q... B..., S... D... B..., N... F..., R... F... et H... F... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à les indemniser des préjudices ayant résulté pour eux de fautes commises par le centre hospitalier Henri-Mondor de Créteil lors de la prise en charge médicale de M. K... F... à compter du 23 décembre 2009.

Par un jugement n° 1308873 du 3 juillet 2015, le tribunal administratif de Melun a condamné l'AP-HP à verser, d'une part, à l'épouse de M. F..., et à ses enfants et petits-enfants des indemnités d'un montant total de 66 800 euros, tant à titre personnel qu'en leur qualité d'ayants droit de la victime, assorties des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2013 et de leur capitalisation à compter du 21 octobre 2014, et, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de-Marne la somme de 129 601,75 euros au titre de ses débours, avec intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2014 ainsi que la somme de 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article

L. 376-1 du code de la sécurité sociale, et, enfin, a mis à la charge de l'AP-HP les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 3 300 euros.

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 septembre 2015 et 29 novembre 2017 sous le n° 15PA03508, Mme F... et autres, représentés par Me P..., ont demandé à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Melun du 3 juillet 2015 en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande en ne déclarant pas l'AP-HP entièrement responsable des conséquences dommageables de la ponction lombaire fautive pratiquée sur M. K... F... le 31 décembre 2009 ;

2°) d'ordonner un complément d'expertise aux fins de recueillir la réponse aux questions posées par le tribunal administratif à l'expert le professeur Sichez ;

3°) de condamner, le cas échéant, l'AP-HP verser à chacun des membres de la famille une provision de 20 000 euros à faire valoir sur leurs préjudices ;

4°) de condamner, en toute hypothèse, l'AP-HP à verser à chaque membre de la famille les indemnisations suivantes, majorées des intérêts légaux, lesquels seront en outre capitalisés à chaque échéance, soit :

- au titre des préjudices subis par M. F..., à verser à Mme C... F..., Mme J... F...-B..., MM. I..., G..., E... F..., ses ayants droit, les sommes de 27 000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 50 000 euros au titre des souffrances endurées, 15 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 20 000 euros au titre du préjudice particulier de traitement du fait du manque d'information concernant notamment les décisions prises par les praticiens, 50 000 euros au titre du préjudice moral lié à la perte de survie, 1 000 euros au titre des frais de médecin-conseil et assistance à expertise, après consolidation, les sommes de 320 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément, 30 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, 30 000 au titre du préjudice sexuel et 10 000 euros au titre de la perte de gains professionnels ;

- au titre des préjudices propres subis par Mme C... F..., Mme J... F...-B..., MM. I..., G..., E... F..., la somme de 8 322,60 euros au titre des frais d'obséques ;

- à Mme C... F..., son épouse, les sommes de 10 000 euros au titre de la perte de gains professionnels, 20 000 euros au titre de son préjudice sexuel, 50 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement durant 19 mois, 15 000 euros au titre de la détérioration de sa qualité de vie, 50 000 euros au titre du préjudice d'affection consécutif au décès de son mari ;

- à Mme J... F...-B..., sa fille et à MM. I..., G..., E... F..., ses trois fils, la somme de 25 000 euros chacun au titre du préjudice d'accompagnement et celle de 37 500 euros chacun au titre du préjudice d'affection consécutif au décès de leur père ;

- à M. Q... B..., Mmes D... B..., O... F..., R... F... et H... F..., ses cinq petits-enfants, la somme de 25 000 euros chacun au titre du préjudice d'affection consécutif au décès de leur grand-père ;

5°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 30 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 29 janvier 2016, la caisse d'assurance maladie du

Val-de-Marne, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et s'en rapporte à la sagesse de la Cour en ce qui concerne la demande de complément d'expertise et de nouvelle provision. Elle demande en outre à la Cour d'appliquer le cas échéant le nouveau taux de perte de chance à sa créance, enfin, et en tout état de cause, à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'AP-HP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2016, l'AP-HP, représentée par Me L..., conclut au rejet de la requête et, en tout état de cause, à ce que le montant des indemnités réclamées soit ramené à de plus justes proportions.

Par un arrêt n° 15PA03508 du 29 décembre 2017, la Cour :

- a annulé le jugement du tribunal administratif de Melun du 3 juillet 2015 en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions des consorts F... tendant à l'indemnisation du " préjudice particulier de traitement " ;

- a ramené le montant total des indemnités dues par l'AP-HP à Mme F... et autres à la somme de 24 400 euros ;

- a maintenu la somme allouée par les premiers juges à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne ;

- a réformé le jugement du tribunal administratif de Melun du 3 juillet 2015 en ce sens ;

- et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par une décision n° 418675 du 8 juillet 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par Mme F... et autres, a annulé cet arrêt en tant qu'il se prononce, d'une part, sur les indemnités dues à Mme F... et autres au titre des préjudices autres que les préjudices professionnels de M. F... et les pertes de revenus de son épouse, les frais funéraires et les préjudices d'affection des enfants et petits-enfants de la victime, d'autre part, sur l'indemnité due à la caisse primaire d'assurance maladie du

Val-de-Marne, et, a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris.

Procédure devant la Cour :

Après l'annulation de l'arrêt du 29 décembre 2017 par le Conseil d'Etat et le renvoi de l'affaire à la cour, la requête n° 15PA03508 a été enregistrée à nouveau sous le n° 19PA02409.

Par un mémoire, enregistré le 4 février 2020, la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Melun du 3 juillet 2015 en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à sa demande ;

2°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 231 503,79 euros au titre de ses débours, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande et de leur capitalisation ;

3°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le montant des diverses prestations qu'elle a prises en charge dans l'intérêt de la victime s'élèvent à la somme totale de 231 503,79 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2020, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me L..., conclut à ce que les demandes indemnitaires des consorts F... soient ramenées à de plus justes proportions.

Elle soutient que :

- le Conseil d'Etat ayant jugé que " la Cour d'appel a retenu souverainement que la faute commise, en faisant obstacle à ce traitement, a entraîné une perte de chance de survie qu'elle a évaluée à 30 % ", la contestation portant sur l'évaluation de la perte de chance de survie ne peut prospérer ;

- elle ne conteste pas la prise en charge des dépenses de santé exposées par la CPAM du Val-de-Marne en lien avec la faute qui lui est imputée ;

- les demandes formées au titre des pertes de gains professionnels ne pourront qu'être rejetées, le Conseil d'Etat ayant confirmé sur ce point l'arrêt de la Cour du 29 décembre 2017 ;

- elle ne conteste pas le principe de la demande de remboursement des frais d'honoraires versés au médecin-conseil sous réserve de la preuve de la réalité de cette dépense ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire de M. F... ne saurait excéder la somme de 7 200 euros ;

- eu égard à la circonstance que M. F... n'a subi un déficit fonctionnel permanent évalué par l'expert à 80 % que durant cinq semaines, ce poste de préjudice pourra être indemnisé sur la même base qu'un déficit fonctionnel total subi durant 5 semaines pour la somme de 500 euros ;

- les souffrances endurées par M. F... peuvent être évaluées à 25 000 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire et permanent subi par M. F... durant dix-huit mois peut être évalué à 8 000 euros ;

- la demande d'indemnisation du préjudice moral de M. F... sera rejetée dès lors que ce préjudice a été indemnisé au titre des souffrances endurées ;

- la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément de M. F... sera également rejetée en l'absence de toute preuve d'activités sportives et de loisirs spécifiquement identifiées pratiquées par la victime avant la survenue du fait dommageable ;

- la demande d'indemnisation du préjudice sexuel sera ramenée à un niveau symbolique ;

S'agissant des préjudices des proches de M. F... :

- la demande au titre de la perte de revenus ne peut qu'être rejetée ;

- l'indemnisation des frais funéraires doit être ramenée à de plus justes proportions ;

- l'indemnisation du préjudice sexuel de Mme F... doit être également ramenée à de plus justes proportions ;

- la détérioration de la qualité de vie de Mme F... a déjà été indemnisée au titre de son préjudice moral ;

- la demande d'indemnisation du préjudice d'affection de Mme F... et de ses enfants ne pourra qu'être rejetée, le Conseil d'Etat ayant expressément exclu ce poste de préjudice de ceux sur lesquels la Cour est amenée à se prononcer à nouveau ; en tout état de cause, l'indemnité allouée en réparation du préjudice d'affection subi du fait du décès d'un conjoint n'excède pas la somme de 20 000 euros et celle allouée à un enfant majeur vivant hors du foyer parental du fait du décès d'un parent ne saurait excéder la somme de 5 500 euros ;

- l'indemnisation du préjudice d'affection des petits-enfants du défunt se trouve expressément exclue de la cassation de l'arrêt du 29 décembre 2017 et revêt, de ce fait un caractère définitif ; en tout état de cause, un tel préjudice justifie une indemnité n'excédant pas la somme de 3 300 euros ;

- l'indemnisation du préjudice d'accompagnement de Mme F... ne saurait excéder la somme de 7 600 euros ;

- un préjudice d'accompagnement ne saurait être reconnu aux enfants et petits-enfants de M. F....

Par un acte enregistré le 28 novembre 2019, M. I... F... a été désigné en tant que représentant unique des requérants par Me P... à la suite de la demande qui lui a été faite en application de la disposition de l'article R. 611-2 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2020 ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme M...,

-et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. K... F..., admis à l'hôpital Bichat le 21 décembre 2009 pour le traitement d'un oedème cérébral, a été transféré le 23 décembre à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil après qu'un scanner cérébral a révélé une hydrocéphalie secondaire, en vue de subir une intervention de dérivation du liquide céphalo-rachidien. Devant une suspicion de méningite, M. F... a subi le 31 décembre 2009 une ponction lombaire dont il a conservé une paraplégie et des complications urologiques et cutanées. Il est décédé le 31 juillet 2011 des suites d'une maladie hématologique à type de lymphome avec complications. Par un jugement du 3 juillet 2015, le tribunal administratif de Melun a, en raison de la faute commise dans la réalisation de la ponction lombaire, condamné l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à verser à l'épouse de M. F..., et à ses enfants et petits-enfants des indemnités d'un montant total de 66 800 euros, tant à titre personnel qu'en leur qualité d'ayants droit de la victime, et à rembourser la somme de 129 601,75 euros à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de-Marne au titre de ses débours. Par un arrêt du 29 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Paris a ramené à 24 400 euros les indemnités dues par l'AP-HP à Mme F... et autres et maintenu la somme allouée par les premiers juges à la CPAM du Val-de-Marne.

2. Par une décision du 8 juillet 2019, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi formé par Mme F... et autres, a annulé cet arrêt en tant qu'il se prononce, d'une part, sur les indemnités dues à Mme F... et autres au titre des préjudices autres que les préjudices professionnels de M. F... et les pertes de revenus de son épouse, les frais funéraires et les préjudices d'affection des enfants et petits-enfants de la victime, d'autre part, sur l'indemnité due à la CPAM du Val-de-Marne, et, a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la Cour.

Sur l'évaluation des préjudices des consorts F... restant en litige :

En ce qui concerne les préjudices de M. F... :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

3. Il ressort de la note d'honoraires en date 31 mai 2012 établie par le cabinet des docteurs Bondeelle et Chemin versée au débat que les consorts F... ont acquitté la somme de 1 000 euros au titre de frais de médecin-conseil et d'assistance à l'expertise avant de saisir le tribunal administratif de Melun d'une requête à fin d'indemnisation le 21 octobre 2013. La somme de 1 000 euros n'apparaît ni excessive ni injustifiée. Ces frais qui résultent entièrement du dommage subi par M. F... doivent être intégralement mis à la charge de l'AP-HP.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

Quant aux préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

Le déficit fonctionnel temporaire :

4. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise que M. F... a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire total du 31 décembre 2009 au 23 juin 2011. Si les consorts F... contestent la date de consolidation de l'état de santé de M. F... fixée par l'expert à la date de l'examen de celui-ci le 23 juin 2011, ils n'apportent toutefois aucun commencement de justification qui permettrait d'infirmer cette date. Le déficit fonctionnel temporaire total dont a souffert M. F... résulte de la paraplégie consécutive à la réalisation fautive de la ponction lombaire le 31 décembre 2009 alors qu'un traitement anticoagulant était administré à M. F.... Il s'ensuit, et sans qu'il soit besoin d'ordonner le complément d'expertise sollicité par les consorts F..., que ce préjudice dont il sera fait une juste appréciation en portant la somme de 2 200 euros allouée par les premiers juges à la somme de 7 200 euros doit être intégralement mis à la charge de l'AP-HP.

Les souffrances endurées :

5. Les consorts F... sollicitent la condamnation de l'AP-HP à indemniser les souffrances endurées par M. F... du fait de la paraplégie consécutive à la réalisation fautive de la ponction lombaire le 31 décembre 2009. Les souffrances physiques et morales résultant de la paraplégie avec complications urinaires et cutanées subies par M. F... ont été évaluées à 6 sur une échelle de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en portant la somme de 6 000 euros allouée par les premiers juges à la somme de 25 000 euros qui doit être intégralement mis à la charge de l'AP-HP.

Le préjudice esthétique temporaire :

6. M. F... a subi un préjudice esthétique temporaire du fait de la paraplégie dont il a souffert qui a été évalué par l'expert à 4 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en portant la somme de 2 100 euros allouée par les premiers juges à la somme de 5 000 euros qui doit être intégralement mise à la charge de l'AP-HP.

Quant aux préjudices extra-patrimoniaux permanents :

Le déficit fonctionnel permanent :

7. Il résulte de l'instruction que la date consolidation de l'état de santé de M. F... a été fixée par l'expert, comme il a déjà été dit, au 23 juin 2011 et que M. F... est décédé le 30 juillet 2011. Le déficit fonctionnel permanent directement lié à la paraplégie avec complications urinaires et cutanées dont a souffert M. F... a été fixé à 80 %. Compte tenu de ce taux, de l'âge de M. F... à la date de consolidation (65 ans) et de la courte période de cinq semaines pendant laquelle il a subi ce préjudice, il y a lieu d'évaluer celui-ci à la somme de 5 000 euros. Par suite, il a lieu de ramener la somme de 48 000 euros allouée par les premiers juges à la somme de 5 000 euros qui sera intégralement mise à la charge de l'AP-HP.

Le préjudice esthétique définitif :

8. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que le préjudice esthétique définitif de M. F... a été évalué par l'expert à 4 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en portant la somme de 2 100 euros allouée par les premiers juges à la somme de 5 000 euros qui doit être intégralement mise à la charge de l'AP-HP.

Le préjudice d'agrément :

9. Si les consorts F... se prévalent, au titre du préjudice d'agrément subi par M. F..., de ce que la gravité des séquelles dues à la réalisation fautive de la ponction lombaire du 31 décembre 2009 ne lui a plus permis de s'occuper de sa famille, de pratiquer sa religion, de s'adonner aux activités de jardinage, de bricolage, de lecture, ces éléments ont toutefois été pris en considération au titre de l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent. Les requérants n'établissent pas que M. F..., âgé de 64 ans au moment de sa prise en charge par l'hôpital Henri Mondor de Créteil, pratiquait le kayak. Dans ces conditions, les consorts F... ne justifiant pas que M. F... a subi un préjudice d'agrément, il n'y a pas lieu de condamner l'AP-HP à verser une indemnité à ce titre.

Le préjudice sexuel :

10. Il résulte de l'instruction que M. F... a subi un préjudice sexuel certain compte tenu de la paraplégie chez un homme âgé de 64 ans. Il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en allouant la somme de 5 000 euros.

Les souffrances morales subies du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite :

11. Si la réparation d'une perte de chance de survie n'ouvre pas droit à réparation dès lors que cette perte n'apparaît qu'au jour du décès de la victime et n'a pu donner naissance à aucun droit entré dans son patrimoine avant ce jour, la victime a droit à la réparation des souffrances morales subies du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite.

12. Il ne résulte pas de l'instruction que la paraplégie avec complications urinaires et cutanées provoquées par la réalisation de la ponction lombaire le 31 décembre 2009 aient été de nature à elles-seules à réduire l'espérance de vie de M. F.... En revanche, il ressort du rapport d'expertise que M. F... a présenté une maladie hématologique à type de lymphome qui a été diagnostiquée à la fin du mois d'avril 2011 et qu'aucun traitement curatif n'a pu être mis en place du fait de l'hydrocéphalie et de la paraplégie dont il était atteint. Ainsi, la période pendant laquelle M. F... a enduré des souffrances morales du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite doit être comprise entre la fin du mois d'avril 2011 et le 31 juillet 2011, date de son décès des suites de cette maladie hématologique. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant, après application du taux de perte de chance évalué à 30 % par l'expert, à la somme de 5 000 euros.

13. Il résulte des points 9 à 12 du présent arrêt que la somme de 2 400 euros allouée par les premiers juges au titre des " troubles de toute nature " dans les conditions d'existence de M. F... comprenant le préjudice moral, le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel doit être portée à 10 000 euros. Cette somme sera intégralement mise à la charge de l'AP-HP.

14. Il résulte des points 3 à 13 du présent arrêt, et sans qu'il besoin d'ordonner le complément d'expertise sollicité, que la somme totale de 62 800 euros mise à la charge de l'AP-HP au titre des préjudices de M. F... par les premiers juges doit être ramenée à la somme de 58 200 euros.

En ce qui concerne les préjudices de Mme F... :

15. Mme F... est fondée à solliciter l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi pour accompagner son époux après la réalisation fautive de la ponction lombaire du 31 décembre 2009. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice d'accompagnement qui inclut l'ensemble des troubles résultant pour l'intéressée de la paraplégie avec complications urologiques et cutanées présentées par son époux, notamment son préjudice sexuel, en lui allouant la somme de 7 500 euros.

16. Il résulte de l'instruction que Mme F... a nécessairement subi un préjudice d'affection consécutif au décès de son mari. Contrairement à ce que soutient l'AP-HP, il ressort du point 5 et de l'article 1er de la décision par laquelle le Conseil d'Etat a renvoyé l'affaire devant la Cour qu'il a lieu de statuer sur ce préjudice. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant, après application du taux de perte de chance évalué à 30 % par l'expert, à la somme de 6 000 euros.

17. Si Mme F... sollicite également l'indemnisation de la détérioration de la qualité de vie consécutive au décès de son mari du fait d'une perte de revenus de M. F..., cette perte de revenus n'est pas établie. Par suite, la demande de Mme F... doit être rejetée.

18. Il résulte des points 15 à 17 du présent arrêt que la somme de 7 500 euros mise à la charge de l'AP-HP au titre des préjudices de Mme F... par les premiers juges doit être portée à la somme de 13 500 euros.

En ce qui concerne le préjudice d'accompagnement de Mme J... F...-B..., de M. I..., G... et de M. E... F... :

19. Mme J... F...-B..., M. I..., G... et M. E... F..., qui résidaient à l'étranger pendant la période pendant laquelle leur père a souffert de la paraplégie et de ses complications jusqu'à son décès, ne justifient pas avoir subi un préjudice d'accompagnement. Par suite, leur demande indemnitaire sera rejetée.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts demandés par les consorts F... :

20. Les requérants ont droit aux intérêts au taux légal sur les indemnités allouées par le présent arrêt à compter du 21 octobre 2013, date d'enregistrement de leur demande de première instance. Ils ont également droit à la capitalisation des intérêts, demandée pour la première fois à cette même date, à compter du 21 octobre 2014, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les demandes de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne :

En ce qui concerne les débours :

21. Il résulte de l'instruction que la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne justifie avoir exposé pour le compte de son assuré, M. F..., des frais d'hospitalisation du 1er janvier 2010 au 31 janvier 2011, des frais médicaux du 2 janvier 2010 au 11 janvier 2011 et des frais de transport du 2 juin 2010 au 20 janvier 2011 pour un montant total de 231 503, 79 euros. Ces dépenses ont été engagées à la suite des conséquences dommageables de la ponction lombaire fautive du 31 décembre 2009 et doivent par suite être intégralement mises à la charge de l'AP-HP. Par suite, la somme de 129 601,75 euros mise à la charge de l'AP-HP au titre des débours de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne par les premiers juges doit être portée à la somme de 231 503, 79 euros.

En ce qui concerne les intérêts :

22. La somme de 231 503, 79 euros sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2014, date de la demande de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne devant le tribunal administratif de Melun.

En ce qui concerne la capitalisation des intérêts :

23. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne dans son mémoire enregistré au greffe de la Cour le 4 février 2020, date à laquelle il était dû au moins une année d'intérêts. Il y a donc lieu de prononcer la capitalisation des intérêts au 4 février 2020 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

En ce qui concerne l'indemnité forfaitaire de gestion :

24. Aux termes du 9ème alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2020 : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 108 € et 1 091 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2020. "

25. Par le jugement du 3 juillet 2015 non contesté sur ce point, les premiers juges ont condamné l'AP-HP à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Par suite, la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne est fondée en appel à demander la condamnation de l'AP-HP à lui verser seulement à ce titre la somme de 63 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

26. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris le paiement, d'une part, aux consorts F... de la somme de 1 500 euros et, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'Assistance publique-hôpitaux de Paris versera aux ayants droit de M. F... la somme totale de 58 200 euros au titre des préjudices de M. F.... Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2013. Les intérêts échus le 21 octobre 2014 puis à chaque échéance annuelle seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L'Assistance publique-hôpitaux de Paris versera à Mme F... la somme de 13 500 euros en réparation de ses préjudices. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2013. Les intérêts échus le 21 octobre 2014 puis à chaque échéance annuelle seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris est condamnée à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 231 503, 79 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2014 et de la capitalisation des intérêts au 4 février 2020 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 4 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris est condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 63 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Article 5 : Le jugement n° 1308873 du 3 juillet 2015 du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6: L'Assistance publique - hôpitaux de Paris versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, aux consorts F... une somme de 1 500 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne une somme de 1 500 euros.

Article 7: Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... F..., désigné comme représentant unique par l'acte du 28 novembre 2019, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme M..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2020.

Le président de la 8ème chambre,

J. LAPOUZADE

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 19PA02409


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02409
Date de la décision : 10/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL BOSSU et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-10;19pa02409 ?
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