Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au Tribunal administratif de Paris de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 25 mai 2020 par lequel le préfet de police a décidé de son transfert aux autorités autrichiennes et d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2007967/8 du 22 juin 2020, le Tribunal administratif de Paris a admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, annulé l'arrêté contesté, enjoint au préfet de police d'enregistrer la demande d'asile de l'intéressé dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et mis la somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre des frais d'instance.
Procédure devant la Cour :
I - Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2020 sous le n° 20PA01816, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2007967/8 du 22 juin 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le Tribunal.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 17 août 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 30 septembre 2020.
Un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2020, a été présenté pour M. A....
II - Par une requête, enregistrée le 3 août 2020 sous le n° 20PA02055, le préfet de police demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2007967/8 du 22 juin 2020 du Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.
Un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2020, a été présenté pour M. A....
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les observations de Me Pouget, avocat de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant afghan né le 19 janvier 1992, est entré irrégulièrement en France et y a sollicité, le 11 mars 2020, son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé que l'intéressé avait présenté une demande d'asile auprès des autorités autrichiennes le 27 novembre 2015, le 17 mars 2020, le préfet de police a adressé aux autorités autrichiennes une demande de reprise en charge de M. A... en application des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que les autorités autrichiennes ont acceptée par un accord du 18 mars 2020. Par un arrêté du 25 mai 2020, le préfet de police a décidé de remettre M. A... à ces autorités. Par la requête enregistrée sous le n° 20PA01816, le préfet de police fait appel du jugement du 22 juin 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté contesté et enjoint au préfet de police d'enregistrer la demande de M. A... dans un délai de deux mois. Il demande en outre à la Cour, par la requête enregistrée sous le n° 20PA02055, d'en prononcer le sursis à exécution.
Sur la requête n° 20PA01816 :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Paris :
2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
3. Pour annuler l'arrêté en litige comme étant entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions et des stipulations des deux articles précités, le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que le préfet de police n'établit pas que la remise de M. A... aux autorités autrichiennes, qui ont rejeté sa demande d'asile, n'aurait pas pour conséquence son réacheminement vers l'Afghanistan, pays caractérisé par une violence généralisée et où M. A... serait susceptible d'être exposé à des traitements inhumains et dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cependant, et même si cette présomption n'est pas irréfragable, l'Autriche, dont il n'est ni établi ni soutenu qu'elle présenterait des défaillances systémiques, est présumée se conformer aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et aux dispositions de la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. S'il ressort des pièces produites par le requérant en première instance que l'Autriche, qui a rejeté sa demande d'asile et son recours, ne s'interdisait pas à la date de la décision de transfert en litige de reconduire en Afghanistan des ressortissants de ce pays, l'existence d'un risque sérieux que tel soit le cas pour M. A..., dont les empreintes ont été relevées en Autriche en qualité de demandeur d'asile et qui ne soutient pas qu'il ne serait pas à même d'exercer un recours effectif contre une éventuelle mesure d'éloignement prise par ces mêmes autorités, n'est pas établie.
4. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a jugé que l'arrêté du 25 mai 2020 contesté portant remise de M. A... aux autorités autrichiennes était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Toutefois il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés en première instance par M. A... :
6. En premier lieu, par un arrêté n° 2020-00197 du 2 mars 2020, régulièrement publié au bulletin officiel de la ville de Paris du 10 mars 2020, le préfet de police a donné à Mme E... B..., attachée principale d'administration de l'Etat au 12ème bureau à la sous-direction de l'administration des étrangers de la direction de la police générale à la préfecture de police, signataire de l'arrêté attaqué, délégation à l'effet de signer les décisions en matière de police des étrangers en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il n'est pas établi qu'elles n'étaient pas absentes ou empêchées lors de la signature de l'arrêté litigieux. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cet arrêté manque en fait.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. (...) ".
8. En application de ces dispositions, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
9. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
10. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
11. L'arrêté du 25 mai 2020 par lequel le préfet de police a décidé de la remise de
M. A... aux autorités autrichiennes, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, comporte le visa du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers. Il indique que " il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. A... D... au moyen du système " Eurodac ", effectuée conformément au règlement n° 603/2013 susvisé, que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités autrichiennes le 27 novembre 2015 ", que " les critères prévus par le chapitre III ne sont pas applicables à la situation de M. A... et qu'en conséquence, au regard des articles 3 et 18 (1) (b), les autorités autrichiennes doivent être regardées comme étant responsables de la demande d'asile de M. A... D... ". Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient M. A..., l'arrêté du préfet de police portant son transfert aux autorités autrichiennes est suffisamment motivé.
12. En troisième lieu, si M. A... soutient que l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de fait dès lors qu'il remplirait les critères d'éligibilité au dépôt d'une demande d'asile en France, ce moyen est dénué de toute précision permettant d'en apprécier la pertinence ou le bien-fondé.
13. Enfin, si M. A... soutient que l'arrêté litigieux méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, au regard de sa volonté d'intégration en France, il ne produit toutefois aucune indication sur les cours de français qu'il dit suivre, ni sur les liens qu'ils aurait formés en France. Ces moyens doivent dès lors être écartés.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 25 mai 2020 et lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. A.... La demande présentée par ce dernier devant le Tribunal administratif de Paris doit en conséquence être rejetée.
Sur la requête n° 20PA02055 :
15. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet de police tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA02055 du préfet de police tendant au sursis à l'exécution du jugement n° 2007967/8 du 22 juin 2020 du Tribunal administratif de Paris.
Article 2 : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2007967/8 du 22 juin 2020 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 3 : Les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction présentées par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Hamon, président,
- M. C..., premier conseiller,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2020.
Le rapporteur,
A. C...Le président,
P. HAMON
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
Nos 20PA01816, 20PA02055