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09/04/2021 | FRANCE | N°20PA01314;20PA01315

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 09 avril 2021, 20PA01314 et 20PA01315


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Le Soleil de Crécy a demandé au Tribunal administratif de Melun, d'une part, de déclarer inexistants et annuler les titres de recettes émis par la commune de Crécy-la-Chapelle en vue du recouvrement des loyers d'un terrain à usage de camping sis au lieudit " Pré Saint Jean " route de Serbonne à Crécy-la-Chapelle pour les années 2010 et 2012, les trois derniers trimestres de l'année 2014 et l'année 2015, sur la base desquels la trésorerie de Magny-le-Hongre lui a délivré les oppositions

tiers détenteur (OTD) du 3 décembre 2015 pour un montant de 98 121,09 euros, d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Le Soleil de Crécy a demandé au Tribunal administratif de Melun, d'une part, de déclarer inexistants et annuler les titres de recettes émis par la commune de Crécy-la-Chapelle en vue du recouvrement des loyers d'un terrain à usage de camping sis au lieudit " Pré Saint Jean " route de Serbonne à Crécy-la-Chapelle pour les années 2010 et 2012, les trois derniers trimestres de l'année 2014 et l'année 2015, sur la base desquels la trésorerie de Magny-le-Hongre lui a délivré les oppositions à tiers détenteur (OTD) du 3 décembre 2015 pour un montant de 98 121,09 euros, du 25 février 2016 pour un montant de 117 029,03 euros, du 23 mars 2016 pour des montants de 268 801,06 euros et 32 707,03 euros, du 8 avril 2016 pour un montant de 321 857,87 euros, du 19 mai 2016 pour un montant de 204 801,44 euros, et des 4 et 18 juillet 2016 pour un montant chacun de 296 416,92 euros et, d'autre part, de la décharger des sommes visées par ces OTD et les titres dont elles procèdent. Par un jugement nos 1600918, 1603499, 1604433, 1604434, 1604876, 1605602, 1606592, 1606593, 1608943, 1608944 du 3 mars 2020, le Tribunal administratif de Melun a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la société Le Soleil de Crécy relatives aux oppositions à tiers détenteur délivrées par la trésorerie de Magny-le-Hongre les 3 décembre 2015, 25 février, 23 mars, 8 avril, 19 mai, 4 et 18 juillet 2016, a annulé les titres exécutoires émis par la commune de Crécy-la-Chapelle en vue du recouvrement des loyers dus pour les années 2010, 2012, les trois derniers trimestres de l'année 2014 et l'année 2015, sur la base desquels ont été prises les oppositions à tiers détenteur visées à l'article 1er, a déchargé la société Le Soleil de Crécy des sommes mentionnées dans ces titres, a condamné la société Le Soleil de Crécy à verser à la commune de Crécy-la-Chapelle les sommes de 111 302,82 euros au titre de l'occupation sans titre du domaine public pour les années 2010 et 2012 et 97 500 euros pour les trois premiers trimestres de l'année 2015, avec intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2017 et capitalisation de ces intérêts, a condamné la société Le Soleil de Crécy à verser à la commune de Crécy-la-Chapelle la somme de 100 788,46 euros au titre de l'occupation sans titre du domaine public pour les trois derniers trimestres de l'année 2014 et le dernier trimestre de l'année 2015, avec intérêts au taux légal à compter du 3 février 2017 et capitalisation de ces intérêts, a condamné la société Le Soleil de Crécy à verser à la commune de Crécy-la-Chapelle la somme de 542 438,35 euros au titre de l'occupation sans titre du domaine public à compter du 1er janvier 2016 et jusqu'à la date du jugement, avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2018 pour l'indemnité due pour la période du 1er janvier 2016 au 18 décembre 2018 et à compter du 12 décembre 2019 pour l'indemnité due pour la période du 19 décembre 2018 au 12 décembre 2019 assortie des intérêts échus pour l'indemnité due pour la période du 1er janvier 2016 au 18 décembre 2018, à la date du 18 décembre 2019 et capitalisation de ces intérêts et, enfin, a enjoint à la société Le Soleil de Crécy de libérer le terrain à usage de camping sis au lieudit " Pré Saint Jean " route de Serbonne à

Crécy-la-Chapelle qu'elle occupe, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Procédure devant la Cour

I. Par une requête enregistrée sous le n° 20PA01314, le 13 mai 2020, la société Le Soleil de Crécy, représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 3 mars 2020 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de constater la prescription au titre des années 2010, 2012, 2014 et 2015 ;

3°) à titre subsidiaire, de la décharger de l'obligation de payer au titre de l'année 2010 la somme de 15 451,70 euros, au titre de l'année 2015 la somme de 62 796, 68 euros et, au titre du dépôt de garantie la somme de 83 842,96 euros ;

4°) de rejeter les demandes reconventionnelles de la commune de Crécy-la-Chapelle tendant à son expulsion du domaine public ;

5°) de fixer le montant des redevances dues à la somme de 60 000 euros ;

6°) de condamner la commune de Crécy-la-Chapelle à lui verser la somme de 114 024,43 euros majorée des intérêts légaux au titre de la promesse non tenue et la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral ;

7°) de condamner la commune de Crécy-la-Chapelle à lui verser la somme de 309 440,01 euros majorée des intérêts légaux en réparation du préjudice résultant de la conclusion d'un bail commercial sur le domaine public et des investissements corporels réalisés et la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral ;

8°) de mettre à la charge de la commune de Crécy-la-Chapelle la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a mis à sa charge la somme de 15 451,70 euros au titre de l'année 2010 alors que la société était en plan de continuation depuis le 21 mars 2011 et que l'administrateur judiciaire a pris en charge le paiement des loyers qui ont tous été acquittés ;

- c'est à tort que le tribunal a mis à sa charge la somme de 130 000 euros au titre de l'année 2015 alors qu'elle a acquitté une somme totale de 62 796,68 euros ;

- dès lors qu'elle a établi disposer d'une promesse non tenue de la part du maire, sans qu'il y ait besoin qu'une délibération du conseil municipal, la Cour devra recalculer le montant des loyers au titre des années 2011 et suivantes sur la base de 90 000 euros annuels et non de 130 000 euros ;

- la Cour devra déduire des sommes mises à sa charge le montant du dépôt de garantie de 83 842,96 euros ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé recevables les conclusions reconventionnelles de la commune de Crécy-la-Chapelle ; les conclusions reconventionnelles indemnitaires et tendant à l'expulsion du domaine public étaient irrecevables dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre les titres exécutoires ; les conclusions reconventionnelles formulées dans le cadre d'un recours de plein contentieux sont également irrecevables lorsque l'administration a le pouvoir d'émettre des titres exécutoires à l'encontre de ses débiteurs, en dehors d'une situation contractuelle ce qui n'était pas le cas en l'espèce comme l'a jugé le tribunal ; les conclusions reconventionnelles étaient également irrecevables en ce qu'elles soulevaient un litige distinct de la demande principale dès lors qu'il n'existait aucun lien entre une demande principale de condamnation au titre d'une promesse non tenue et d'un bail commercial illégal et une demande reconventionnelle de condamnation au paiement d'indemnités liées à une occupation sans droit ni titre du domaine public ; les conclusions reconventionnelles étaient également irrecevables en ce que les créances au titre des années 2010, 2012, 2014 et 2015 pour un montant total de 309 591,28 euros étaient prescrites ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle n'a pas demandé une indemnisation de la constitution du fonds de commerce mais l'indemnisation de l'achat initial du fonds de commerce qu'elle n'aurait jamais acquis si elle n'avait été induite en erreur sur l'étendue de ses droits par la commune ; en conséquence de ce dol, elle doit être indemnisée par le versement d'une somme de 167 699,92 euros correspondant à l'acquisition du fonds de commerce et 141 740,09 euros correspondant aux immobilisations corporelles après amortissement ;

- du fait de l'existence de la promesse non tenue de la commune, la Cour devra condamner cette dernière à lui verser la somme de 114 024,43 euros au titre du trop-perçu sur le montant des loyers depuis le 2ième trimestres de l'année 2011 ;

- le montant de la redevance annuelle ne peut être fixée à 130 000 euros comme l'a fait le tribunal dès lors qu'elle établit que les parties étaient tombées d'accord sur un loyer de 90 000 euros et que le tribunal n'a pas tenu compte de l'inertie fautive de la commune pour émettre des titres de recettes et saisir le juge de l'expulsion et alors que depuis le jugement n° 1602447 du 2 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun, elle connaissait le caractère de domanialité publique du terrain.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 juin 2020, la commune de Crécy-la-Chapelle représentée par Adden avocats conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société Le Soleil de Crécy à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de cette requête ne sont pas fondés ;

II. Par une requête enregistrée sous le n° 20PA01315, le 13 mai 2020, la société Le Soleil de Crécy, représentée par Me C..., demande la Cour :

1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement du 3 mars 2019 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Crécy-la-Chapelle la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que l'exécution du jugement emporte des conséquences difficilement réparables pour elle qui est fortement touchée par les conséquences de l'état d'urgence sanitaire.

Par deux mémoires en défense enregistrés le 12 juin 2020 et 21 juillet 2020, la commune de Crécy-la-Chapelle représentée par Adden avocats conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société Le Soleil de Crécy la somme de 6 000 euros de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de cette requête ne sont pas fondés ;

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- les observations de Me C..., avocat de la société Le Soleil de Crécy,

- et les observations de Me Sacksick, avocat de la commune de Crécy-la-Chapelle.

Une note en délibéré présentée pour la société Le Soleil de Crécy par Me C... a été enregistrée le 29 mars 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte du 4 octobre 2007, la commune de Crécy-la-Chapelle a donné à bail à la société Le Soleil de Crécy un terrain à usage de camping sis au lieu-dit " Pré Saint Jean " route de Serbonne à Crécy-la-Chapelle, pour une durée de neuf années à compter du 1er mars 2005. Par un jugement du 2 juin 2016, le Tribunal administratif de Melun a déclaré que ce terrain appartenait au domaine public de la commune. Par huit requêtes, la société Le Soleil de Crécy a demandé au tribunal de déclarer inexistants et d'annuler les titres de recettes émis par la commune de Crécy-la-Chapelle en vue du recouvrement des loyers de ce terrain pour les années 2010 et 2012, les trois derniers trimestres de l'année 2014 et l'année 2015, sur la base desquels la trésorerie de Magny-le-Hongre lui a délivré les oppositions à tiers détenteur (OTD) du 3 décembre 2015 pour un montant de 98 121,09 euros, du 25 février 2016 pour un montant de 117 029,03 euros, du 23 mars 2016 pour des montants de 268 801,06 euros et 32 707,03 euros, du 8 avril 2016 pour un montant de 321 857,87 euros, du 19 mai 2016 pour un montant de 204 801,44 euros, et des 4 et 18 juillet 2016 pour un même montant de 296 416,92 euros, et de la décharger des sommes visées par ces OTD et les titres dont elles procèdent. A titre reconventionnel, la commune de Crécy-la-Chapelle a sollicité la condamnation de la société requérante au versement des sommes de 98 121,09 euros, 112 959,08 euros, 263 709,89 euros, 32 707,03 euros, 312 696,76 euros, 199 937,68 euros et 296 416,93 euros au titre des redevances ou des indemnités d'occupation du domaine public pour les périodes visées dans chaque OTD et 523 312,52 euros au titre de la redevance ou de l'indemnité d'occupation du domaine public due pour les années 2016 à 2019 et à ce qu'il soit enjoint à la société requérante de libérer le terrain en cause dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une autre requête, la société SAS Le Soleil de Crécy a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Crécy-la-Chapelle à lui verser les sommes de 114 024,43 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de trop-perçus sur le montant des loyers du terrain en cause depuis le 2ème trimestre de l'année 2011, 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et 858 787,29 euros en réparation du préjudice causé du fait de la conclusion illégale d'un bail commercial sur son domaine public et du défaut d'information de la situation du bien dans une zone couverte par un plan de prévention des risques technologiques ou naturels prévisibles. Enfin, par une dernière requête, la société Le Soleil de Crécy a demandé au tribunal de condamner la commune de Crécy-la-Chapelle à lui verser la somme de 858 787,29 euros en réparation du préjudice causé du fait de la conclusion illégale d'un bail commercial sur son domaine public et du défaut d'information de la situation du bien dans une zone couverte par un plan de prévention des risques technologiques ou naturels prévisibles. Dans ces deux derniers dossiers, la commune a sollicité, à titre reconventionnel, que la société requérante lui verse la somme de 523 312,52 euros au titre de la redevance ou de l'indemnité d'occupation du domaine public due pour les années 2016 à 2019 et à ce qu'il lui soit enjoint de libérer le terrain occupé dans un délai d'un mois à compter de la date de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Après avoir joint les dix affaires, par un jugement du 3 mars 2020 dont la société Le Soleil de Crécy relève appel par une première requête enregistrée sous le n° 20PA01314, le tribunal a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la société relatives aux OTD délivrées par la trésorerie de Magny-le-Hongre, a annulé les titres exécutoires émis par la commune de Crécy-la-Chapelle en vue du recouvrement des loyers dus pour les années 2010, 2012, les trois derniers trimestres de l'année 2014 et l'année 2015, a déchargé la société Le Soleil de Crécy des sommes mentionnées dans ces titres, a condamné la société à verser à la commune de Crécy-la-Chapelle les sommes de 111 302,82 euros au titre de l'occupation sans titre du domaine public pour les années 2010 et 2012 et 97 500 euros pour les trois premiers trimestres de l'année 2015, avec intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2017 et capitalisation de ces intérêts, la somme de 100 788,46 euros au titre de l'occupation sans titre du domaine public pour les trois derniers trimestres de l'année 2014 et le dernier trimestre de l'année 2015, avec intérêts au taux légal à compter du 3 février 2017 et capitalisation de ces intérêts, la somme de 542 438,35 euros au titre de l'occupation sans titre du domaine public à compter du 1er janvier 2016 jusqu'à la date du jugement, avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2018 pour l'indemnité due pour la période du 1er janvier 2016 au 18 décembre 2018 et à compter du 12 décembre 2019 pour l'indemnité due pour la période du 19 décembre 2018 au 12 décembre 2019, avec intérêts échus pour l'indemnité due pour la période du 1er janvier 2016 au 18 décembre 2018, à la date du 18 décembre 2019 et capitalisation de ces intérêts et a enjoint à la société Le Soleil de Crécy de libérer le terrain occupé dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard. La commune de Crécy-la-Chapelle conclut au rejet de la requête sans présenter de conclusions incidentes. Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 20PA01315, la société Le Soleil de Crécy demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du 3 mars 2020 du Tribunal administratif de Melun.

2. Les requêtes susvisées sont dirigées contre un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

Sur la requête n° 20PA01314 :

En ce qui concerne le rejet par le tribunal des conclusions indemnitaires de la société Le Soleil de Crécy :

3. En raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l'autorité gestionnaire du domaine public conclut un " bail commercial " pour l'exploitation d'un bien sur le domaine public ou laisse croire à l'exploitant de ce bien qu'il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l'ensemble des dépenses dont il justifie qu'elles n'ont été exposées que dans la perspective d'une exploitation dans le cadre d'un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu'a commise l'autorité gestionnaire du domaine public en l'induisant en erreur sur l'étendue de ses droits. Si, en outre, l'autorité gestionnaire du domaine met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu en l'absence de toute faute de l'exploitant, celui-ci doit être regardé, pour l'indemnisation des préjudices qu'il invoque, comme ayant été titulaire d'un contrat portant autorisation d'occupation du domaine public pour la durée du bail conclu. Il est par suite en droit, dès lors qu'aucune stipulation contractuelle n'y fait obstacle et sous réserve qu'il n'en résulte aucune double indemnisation, d'obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale d'une telle convention avant son terme, tel que la perte des bénéfices découlant d'une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et les dépenses exposées pour l'occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation.

4. Ainsi qu'il a été dit au point 1 du présent arrêt, par jugement du 2 juin 2016, le Tribunal administratif de Melun a déclaré que le terrain à usage de camping donné à bail à la société Le Soleil de Crécy par la commune de Crécy-la-Chapelle pour une durée de neuf années à compter du 1er mars 2005, appartenait au domaine public de la commune. Par suite, en concluant ce bail, qui doit dès lors être regardé comme un bail commercial, la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la société Le Soleil de Crécy sous réserve, le cas échéant, des propres fautes de cette dernière. Si la commune soutient à nouveau en appel que cette dernière, qui connaissait les lieux et leur histoire depuis 2001, aurait manifesté sa mauvaise foi en soulevant devant le juge judiciaire l'appartenance du terrain au domaine public, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, la connaissance qu'aurait eue la société de cette appartenance n'est pas établie avant la date du jugement précité du 2 juin 2016 et la défaillance de cette dernière dans le règlement des loyers dus en exécution de ce contrat, qui est sans lien avec la faute commise par la commune du fait de la conclusion illégale d'un bail commercial sur son domaine public, n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité

5. La société Le Soleil de Crécy soutient qu'elle doit être indemnisée par le versement d'une somme de 167 699,92 euros correspondant à l'acquisition du fonds de commerce et d'une somme de 141 740,09 euros correspondant aux immobilisations corporelles après amortissement qu'elles a financées.

6. D'une part, eu égard au caractère révocable et personnel, déjà rappelé, d'une autorisation d'occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire. Si la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a introduit dans le code général de la propriété des personnes publiques un article L. 2124-32-1, aux termes duquel " Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l'existence d'une clientèle propre ", ces dispositions ne sont, dès lors que la loi n'en a pas disposé autrement, applicables qu'aux fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de son entrée en vigueur. Par suite, l'exploitant qui occupe le domaine public ou doit être regardé comme l'occupant en vertu d'un titre délivré avant cette date, qui n'a jamais été légalement propriétaire d'un fonds de commerce, ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte d'un tel fonds. Il en résulte que la société appelante n'est pas fondée à solliciter l'indemnisation du rachat le 12 mars 2002 du fonds de commerce appartenant au précédent exploitant du camping.

7. D'autre part, la société Le Soleil de Crécy ne conteste pas les motifs du jugement attaqué rejetant sa demande d'indemnisation des immobilisations corporelles après amortissement, tirés de ce que si l'exploitant peut prétendre au remboursement des immobilisations non amorties à la date de la résiliation anticipée de son contrat, le contrat la liant à la commune de Crécy-la-Chapelle est arrivé à échéance le 28 février 2014 sans que la commune ne décide de sa résiliation anticipée. En tout état de cause, comme le fait valoir la commune en défense, dès lors qu'elle a poursuivi son occupation du domaine public, elle a également continué l'amortissement de ses investissements. Il y a lieu, en conséquence, de rejeter également la demande de la société Le Soleil de Crécy présentée à ce titre.

8. Si la société Le Soleil de Crécy conteste le rejet par le Tribunal administratif de Melun de ses conclusions tendant au versement d'une somme de 114 024,43 euros au titre du trop-perçu sur le montant des loyers depuis le 2ème trimestre de l'année 2011 en faisant valoir qu'elle disposait d'une promesse de la part du maire de Crécy-la-Chapelle de réviser le montant du loyer annuel sur la base de 90 000 euros annuels, sans qu'il y ait besoin qu'une délibération du conseil municipal, il y a lieu d'adopter les motifs retenus par les premiers juges au point 23 du jugement attaqué pour rejeter cette demande.

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions reconventionnelles de la commune de Crécy-la-Chapelle devant le tribunal :

9. La société Le Soleil de Crécy soutient, en premier lieu, que les conclusions reconventionnelles indemnitaires de la commune de Crécy-la-Chapelle étaient irrecevables dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre des titres exécutoires. Toutefois, si dans le cadre des requêtes enregistrées sous les n° 1600918, 1603499, 1604433, 1604434, 1604876, 1605602, 1606592 et 1606593, la société Le Soleil de Crécy se bornait à former des demandes d'annulation des titres de recettes émis par la commune et de décharge de l'obligation de payer des sommes mises à sa charge, qui relèvent, en tout état de cause, du plein contentieux, dans le cadre des instances n° 1608943 et n° 1608944, elle formulait des conclusions indemnitaires en réparation du préjudice subi du fait de trop perçus sur le montant des loyers à raison d'une promesse non tenue, ainsi que des conclusions indemnitaires tendant à la réparation des préjudices causés du fait de la conclusion d'un bail commercial sur le domaine public, d'un défaut d'information sur la situation du bien en zone inondable et du montant excessif des loyers. Par suite, les conclusions reconventionnelles indemnitaires de la commune, présentées dans le cadre d'un contentieux de pleine juridiction et qui ne soulevaient pas de litige distinct, étaient recevables. Pour le même motif, la commune était recevable à présenter des conclusions reconventionnelles tendant à l'expulsion société Le Soleil de Crécy du domaine public.

10. En deuxième lieu, la société Le Soleil de Crécy n'est pas fondée à se prévaloir, à l'appui de son exception de prescription des créances de la commune de Crécy-la-Chapelle au titre des années 2010, 2012, 2014 et 2015 de la prescription quadriennale de l'article L. 1617-5 3° du code général des collectivités territoriales dès lors que ces dispositions sont relatives à la prescription de l'action en recouvrement du comptable public et non du délai dont dispose l'ordonnateur pour recouvrer sa créance. A supposer que la société Le Soleil de Crécy doive être regardée comme se prévalant de la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 et entrée en vigueur le 19 juin 2008, il résulte du principe d'annualité issu de l'article L. 2125-4 du code général de la propriété des personnes publiques et dont il y a lieu de faire application aux indemnités dues au titre de l'occupation sans titre du domaine public, que celles-ci deviennent exigibles à l'issue de chaque période annuelle, le point de départ de la prescription étant ainsi fixé au 1er janvier de l'année suivant celle du constat de l'occupation irrégulière du domaine public. En l'espèce, ce constat résulte du jugement du 2 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun et le point de départ de la prescription doit ainsi être fixé au 1er janvier 2017. Par suite, à la date de l'introduction de ses conclusions indemnitaires devant le tribunal administratif, soit le 18 décembre 2018, les créances relatives aux indemnités d'occupation du domaine public au titre des années 2010, 2012, 2014 et 2015 de la commune de Crécy-la-Chapelle n'étaient pas prescrites.

11. En troisième lieu, s'agissant du dommage causé par l'occupation sans titre du domaine public, les conclusions à fin d'indemnité présentées par la commune de Crécy-la-Chapelle devant le tribunal administratif et tendant à réparer ce préjudice étaient recevables alors même que la commune aurait eu le pouvoir d'émettre un état exécutoire à l'effet de fixer le montant des sommes dues.

En ce qui concerne le bien-fondé et le montant des condamnations mises à la charge de la société appelante par le tribunal :

12. La société Le Soleil de Crécy soutient, en premier lieu, que c'est à tort que le tribunal a mis à sa charge la somme de 15 451,70 euros au titre de l'année 2010 alors que la société était en plan de continuation depuis le 21 mars 2011 et que l'administrateur judiciaire a pris en charge le paiement des loyers qui ont tous été acquittés. Toutefois, elle n'en justifie pas par la seule production d'un document intitulé " plan de continuation " du 11 février 2019 qui ne permet pas de rattacher les sommes y figurant aux loyers restant dus.

13. La société Le Soleil de Crécy soutient, en deuxième lieu, que c'est à tort que le tribunal a mis à sa charge la somme de 130 000 euros au titre de l'année 2015 alors qu'elle a acquitté une somme totale de 62 796,68 euros. Toutefois, la commune soutient, sans être contredite, que la somme de 50 000 euros apparaissant sur le relevé de compte bancaire de la BRED de la société comme versée le 8 septembre 2015 et correspondant à trois virements de 7 283,59 euros, 25 000 euros et 17 716,41 euros sont imputables aux années 2013 et 2014 ainsi que les versements de novembre 2015. Par suite, cette somme ne saurait venir en déduction des créances dues au titre de 2015.

14. Si la société Le Soleil de Crécy soutient, en troisième lieu, que la Cour devra déduire des sommes mises à sa charge le montant de son dépôt de garantie d'un montant de 83 842,96 euros, la commune fait valoir, également sans être contredite, que cette somme a vocation à être restituée à l'issue de l'occupation et ne peut être mobilisée comme moyen de paiement des loyers de la société appelante.

15. Si la société Le Soleil de Crécy soutient, en quatrième lieu, que le montant de la redevance annuelle ne peut être fixée à 130 000 euros comme l'a fait le tribunal dès lors qu'elle établit que les parties étaient tombées d'accord sur un loyer de 90 000 euros, il résulte de ce qui a été dit au point 8 du présent arrêt que ce moyen doit être écarté.

16. La société Le Soleil de Crécy soutient, en dernier lieu, que le tribunal n'a pas tenu compte de l'inertie fautive de la commune pour émettre des titres de recettes et saisir le juge de l'expulsion, alors que depuis le jugement du 2 juin 2016 du Tribunal administratif de Melun, elle connaissait le caractère de domanialité publique du terrain. Toutefois, il ressort du bordereau de situation au 19 août 2016 produit par la commune que celle-ci a adressé à la société Le Soleil de Crécy, à compter de 2010, diverses lettres de rappel et mises en demeure pour recouvrer ses loyers impayés, puis a émis un commandement à payer notifié par huissier de justice le 24 septembre 2015 récapitulant l'ensemble des sommes à payer, et enfin l'a assignée devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Meaux le 23 octobre 2015. Par suite, l'inertie fautive de la commune pour recouvrer les sommes impayées et obtenir son expulsion n'est pas établie.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la requête n° 20PA01314 de la société Le Soleil de Crécy ne peut qu'être rejetée.

Sur les conclusions à fin de sursis de la requête n°20PA01315 :

18. Le présent arrêt statuant sur le fond de l'affaire, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué.

Sur les frais des instances :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Crécy-la-Chapelle, qui n'est pas la partie perdante, soit condamnée à payer à la société Le Soleil de Crécy la somme que cette dernière demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Crécy-la-Chapelle sur ce même fondement.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20PA01315 de la société Le Soleil de Crécy tendant au sursis à exécution du jugement du Tribunal administratif de Melun.

Article 2 : La requête n° 20PA01314 de la société Le Soleil de Crécy est rejetée.

Article 3 : La société Le Soleil de Crécy versera à la commune de Crécy-la-Chapelle une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Le Soleil de Crécy et à la commune de Crécy-la-Chapelle.

Copie en sera adressée au comptable public de la trésorerie de Magny-le-Hongre.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme A..., président de chambre,

- M. B..., présidente assesseure,

- Mme Mach, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2021.

La rapporteure,

M. B...Le président,

M. A... Le greffier,

S. GASPAR

La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Nos 20PA01314... 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA01314;20PA01315
Date de la décision : 09/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Comptabilité publique et budget - Créances des collectivités publiques - Recouvrement.

Domaine - Domaine public - Régime - Occupation.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : HERMEXIS AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-04-09;20pa01314 ?
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