Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris d'annuler la décision du ministre de la défense du 18 avril 2014 rejetant sa demande de pension militaire d'invalidité pour les infirmités " troubles de la personnalité ", " douleur de la hanche gauche. Début d'ostéonécrose " et " Douleur du genou gauche. Radio normale " et " Douleur cheville gauche. Légère raideur. Radio normale " en tant que l'infirmité " troubles de la personnalité " n'a pas été retenue.
Par un jugement n° 15/00003 du 26 janvier 2018, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris a annulé la décision du ministre de la défense du 18 avril 2014 et a concédé à M. B... une pension militaire d'invalidité au taux de 50 % à titre définitif pour " troubles de la personnalité - trouble de l'adaptation - symptômes de souffrance psychologique " à compter du 29 mars 2012, date de sa demande, et a condamné l'Etat à lui verser les intérêts moratoires qui courront sur les arrérages de la pension dus et revalorisés, à compter du 29 mars 2012 date de la demande.
Procédure devant la Cour :
La cour régionale des pensions de Paris a transmis à la Cour, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 portant transfert de compétence entre juridictions de l'ordre administratif pris pour l'application de l'article 51 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, la requête et un mémoire complémentaire présentés par la ministre des armées enregistrés à son greffe les 6 juillet 2018 et 30 septembre 2019 et le mémoire en défense présenté par M. B... enregistré à son greffe le 11 septembre 2019.
Par cette requête et ce mémoire complémentaire enregistrés au greffe de la Cour sous le n° 19PA03672 le 1er novembre 2019 et un mémoire enregistré le 1er juillet 2020, la ministre des armées demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 15/00003 du 26 janvier 2018 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris ;
2°) de confirmer la décision de la ministre des armées du 18 avril 2014.
Elle soutient que :
- le jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris est irrégulier dès lors que contrairement aux règles générales de procédure que doivent respecter les juridictions des pensions au nombre desquelles figure celle selon laquelle leurs décisions doivent mentionner les textes dont elles font application, il ne fait mention de ces textes ni dans ses visas ni dans ses motifs ;
- le jugement attaqué est entaché d'erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.
Par le mémoire enregistré au greffe de la Cour le 1er novembre 2019 et un mémoire enregistré le 13 mars 2020, M. B..., représenté par Me Haushalter, conclut au rejet de la requête de la ministre des armées et à ce que la somme de 2 000 euros à verser à son conseil soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- l'appel de la ministre des armées est irrecevable pour tardiveté ;
- le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris s'est nécessairement fondé sur les dispositions de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la preuve de l'imputabilité de l'infirmité " troubles de la personnalité - trouble de l'adaptation - symptômes de souffrance psychologique " est établie.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 14 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Haushalter, avocat de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B..., né le 8 octobre 1967, engagé volontaire pour 12 mois à compter du 3 décembre 1985, a été affecté au 18ème régiment de transmission, puis muté au 42ème BCS de Nouméa le 14 mai 1986. Il a été rayé des contrôles le 10 septembre 1987. Par une demande enregistrée le 29 mars 2012, il a sollicité une pension militaire d'invalidité pour les infirmités suivantes : " épaule, hanche, genou et cheville gauches ". L'infirmité relative à l'épaule gauche avait déjà fait l'objet d'une décision de rejet du ministre de la défense le 10 février 2005 et d'une procédure contentieuse confirmant cette décision en dernier lieu par le Conseil d'Etat dans sa décision du 8 février 2012. Suite à sa saisine le 30 juin 2013, par le docteur A..., psychothérapeute personnel de M. B..., le ministre de la défense a, par décision du
18 avril 2014, rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité aux motifs que l'infirmité " troubles de la personnalité " résulte d'une affection étrangère au service dont l'évolution est indépendante de celui-ci et n'a pas été aggravée par lui, que pour les infirmités " douleur de la hanche gauche. Début d'ostéonécrose ", la preuve d'imputabilité au service n'est pas établie en l'absence de fait de service légalement constaté et la présomption d'imputabilité ne peut s'appliquer, l'infirmité invoquée n'ayant pas été constatée pendant une période ouvrant droit à ce bénéfice et que pour les infirmités " Douleur du genou gauche. Radio normale " et " Douleur cheville gauche. Légère raideur. Radio normale ", le taux d'invalidité, après expertise médicale réglementaire, est inférieur au minimum indemnisable de 10 % requis pour l'ouverture du droit à pension. M. B... a formé un recours contre cette décision en tant que l'infirmité " troubles de la personnalité " n'a pas été retenue devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris, lequel a ordonné deux mesures d'expertise le 10 février 2017 confiées aux docteurs Carzon et C... qui ont rendu leurs rapports respectivement les 18 mai 2017 et 12 mai 2017. Par jugement n° 15/00003 du
26 janvier 2018, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris a annulé la décision du ministre de la défense du 18 avril 2014 et a concédé à M. B... une pension militaire d'invalidité au taux de 50 % à titre définitif pour " troubles de la personnalité - trouble de l'adaptation - symptômes de souffrance psychologique " à compter du 29 mars 2012, date de sa demande, et a condamné l'Etat à lui verser les intérêts moratoires qui courront sur les arrérages de la pension dus et revalorisés, à compter du 29 mars 2012 date de la demande. La ministre des armées relève appel de ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête d'appel :
2. Aux termes de l'article R. 732-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, applicable à cet aspect du litige : " L'appel devant la cour régionale des pensions doit être motivé. (...) / L'appel est introduit par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception, adressé au greffier de la cour dans les deux mois de la notification de la décision ou est déposé, dans le même délai, au greffe de la cour d'appel. L'autorité qui a fait appel au nom de l'Etat doit notifier, sous la même forme, son appel à l'intimé ".
3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué n° 15/00003 du 26 janvier 2018 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris a été notifié dans un courrier portant un tampon postal indiquant la date du 25 mai 2018 à la ministre des armées, information dont la vraisemblance est corroborée par la lettre de notification du jugement datée du 14 mai 2018. Par suite, quand bien même M. B... a eu notification de ce jugement le 5 février 2018, soit à une date très antérieure, et la somme dont son conseil a obtenu le bénéfice par le jugement attaqué au titre des frais liés à l'instance a été versée à ce dernier dès le 14 mai 2018 suite à la facture qu'il a établie le 9 février 2018 et à la présentation par celui-ci du jugement dont il avait reçu notification, ces circonstances ne sont pas de nature à établir que la ministre des armées aurait reçu, quant à elle, notification de ce jugement par ledit tribunal avant le 25 mai 2018. Par suite, le recours de la ministre des armées enregistré au greffe de la Cour régionale des pensions militaires le 6 juillet 2018 soit avant l'expiration du délai d'appel de deux mois prévu par les dispositions précitées de l'article R. 732-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre n'était pas expiré. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée en défense par M. B... tirée de la tardiveté de la requête ne peut qu'être écartée.
Sur la régularité du jugement du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris :
4. Au nombre des règles générales de procédure que les juridictions des pensions sont tenues de respecter figure celle selon laquelle leurs décisions doivent mentionner les textes dont elles font application.
5. Or, si dans le jugement n°15/00003 du 26 janvier 2018, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris a annulé la décision de la ministre des armées du 18 avril 2014 et a concédé à M. B... une pension militaire d'invalidité au taux de 50 % à titre définitif pour " troubles de la personnalité - trouble de l'adaptation - symptômes de souffrance psychologique " avec les intérêts moratoires à compter du 29 mars 2012, il ne mentionne les textes sur lesquels il se fonde ni dans ses visas ni dans ses motifs. Ainsi la ministre des armées est fondée à soutenir que ce jugement est entaché d'irrégularité. Par suite, le jugement n° 15/00003 du 26 janvier 2018 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris est annulé et il y a lieu de statuer par la voie de l'évocation sur la demande présentée par M. B....
Sur le droit de M. B... à bénéficier d'une pension militaire d'invalidité :
6. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur à la date de la demande de bénéfice de la pension : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service ". Selon l'article L. 3 du même code alors en vigueur : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité, le demandeur d'une pension doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.
7. D'une part, il résulte de l'instruction qu'il n'est ni soutenu ni allégué que les infirmités dont M. B... se prévaut auraient fait l'objet d'une inscription au registre des constatations d'une blessure ou d'une maladie survenue pendant le service dans les délais prévus par les dispositions précitées de l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre. Par suite, la présomption légale d'imputabilité ne peut s'appliquer en l'espèce à la situation de l'intéressé à qui il appartient d'apporter la preuve de l'existence d'une relation directe et certaine entre les infirmités alléguées et un fait précis ou des circonstances particulières de service.
8. D'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du docteur C... établi le 12 mai 2017, que M. B... ne présente aucun antécédent psychiatrique personnel pathologique, mais qu'il présente un trouble d'adaptation en relation avec le service. L'expert conclut que l'examen psychiatrique de l'intéressé révèle un trouble de l'adaptation, une réduction des déplacements avec baisse de l'autonomie et que les symptômes de souffrance psychologique sont imputables au service dès lors que la décompensation " revendicative " est en relation avec les conséquences fonctionnelles du trouble en relation avec le service pour 4/5ème. L'expert considère que l'imputabilité au service de cet état mental est établie par des documents attestant de la présence de l'intéressé en service couvrant la période d'apparition du trouble entraînant un taux d'invalidité de 20 % pour la douleur et de 30 % pour le trouble de l'adaptation.
9. M. B... se prévaut des bilans psychologiques effectués au moment de son incorporation en 1985, puis en 1986 et 1987, qui ont conduit à une évaluation d'un critère P2 qui correspond à des troubles mineurs de l'adaptation ou de difficultés d'ordre psycho-social et conjoncturel qui nécessitent de manière temporaire une limitation de l'aptitude à servir ou à l'emploi. Il ajoute qu'il a eu une mauvaise appréciation d'ensemble de son commandant d'unité indiquant notamment qu'il " n'a pas su s'affirmer comme un bon chef d'équipe (...) ne mérite pas la confiance de ses chefs " et que les troubles de la personnalité dont il souffre traduisent la recrudescence d'un sentiment de non reconnaissance des séquelles de luxation survenue en service alors même que sa souffrance s'accroît et qu'il développe un sentiment d'injustice profonde suite au rejet définitif de sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité relative à l'épaule gauche par la décision du ministre de la défense du 10 février 2005 confirmée en dernier lieu par le Conseil d'Etat dans sa décision du 8 février 2012.
10. Toutefois, il résulte de ces différents éléments, d'une part, que la fragilité psychologique dont M. B... se prévaut était préexistante puisqu'elle a été relevée au moment de son incorporation dans l'armée par la mention P2 apposée sur son évaluation et il n'est pas établi qu'elle résulterait ou aurait été aggravée par le fait ou à l'occasion du service et, d'autre part, que l'absence de reconnaissance des séquelles de luxation de l'épaule dont il a été victime au cours de sa période d'engagé volontaire ne saurait, à elle seule, établir que l'infirmité " troubles de la personnalité " pour laquelle il sollicite le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité serait une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du service. Par ailleurs, les conditions de la présomption d'imputabilité prévue par l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre alors en vigueur ne sont pas davantage remplies.
11. Dans ces conditions, la demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision du ministre de la défense du 18 avril 2014 rejetant sa demande de pension militaire d'invalidité en tant que l'infirmité " troubles de la personnalité " n'a pas été retenue ne peut qu'être rejetée.
12. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter le surplus des conclusions de la requête de la ministre des armées ainsi que la demande de première instance et les conclusions d'appel de M. B..., y compris, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce qu'une somme à verser à son conseil soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 15/00003 du 26 janvier 2018 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Paris ainsi que ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la ministre des armées est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2021.
La rapporteure,
A. COLLET Le président,
R. LE GOFF
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA03672