Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... A..., épouse C..., a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques à lui verser la somme de 61 465,32 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2016, et de la capitalisation des intérêts au 28 octobre 2017.
Par un jugement n° 1701636 du 27 juin 2019, le Tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour :
Par un recours, enregistré le 10 septembre 2019, régularisé le 19 septembre 2019, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Melun du 27 juin 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le Tribunal administratif de Melun.
Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que le préjudice était certain, grave et spécial, en écartant l'exception de risque accepté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2020, Mme A..., représentée par
Me Clavier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de même que les dépens.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet,
- et les conclusions de Mme Mach, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêt du 11 septembre 2008, la chambre sociale de la Cour d'appel de Paris a notamment condamné la République démocratique du Congo à verser à Mme A... la somme de 38 584 euros au titre de salaires et de diverses indemnités dues à la suite de son licenciement notifié le 7 décembre 2005, et la somme de 2 000 euros au titre des frais de justice. Pour obtenir le recouvrement de la somme de 44 133,74 euros, l'intéressée a fait procéder, le
28 novembre 2013, à une saisie-attribution à l'encontre de l'ambassade de cet Etat. Par un arrêt du 16 avril 2015, la Cour d'appel de Paris a ordonné la mainlevée de cette saisie après avoir constaté l'immunité d'exécution dont se prévalait l'ambassade. Par un courrier du
26 octobre 2016, reçu le 28 octobre, Mme A... a demandé au ministre de l'économie et des finances le versement d'une somme de 61 465,32 euros correspondant au montant total des sommes mises à la charge de la République démocratique du Congo par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 septembre 2008, augmenté des intérêts. En l'absence de réponse de ce ministre, elle a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à lui verser cette somme. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères fait appel du jugement du
27 juin 2019 par lequel le Tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande.
Sur le cadre juridique du litige :
2. Il résulte d'une règle coutumière du droit public international que les Etats bénéficient par principe de l'immunité d'exécution pour les actes qu'ils accomplissent à l'étranger. Cette immunité fait obstacle à la saisie de leurs biens, à l'exception de ceux qui ne se rattachent pas à l'exercice d'une mission de souveraineté.
3. En vertu du quatorzième alinéa du Préambule de la constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, " la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ". L'article 1er de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, repris à l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution, prévoit que l'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution. Il en résulte que la règle coutumière du droit public international d'immunité d'exécution des Etats, qui n'est écartée ni par cette loi ni par aucune autre disposition législative, s'applique dans l'ordre juridique interne. La responsabilité de l'Etat est, par suite, susceptible d'être recherchée, sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques, dans le cas où son application entraîne un préjudice grave et spécial.
Sur le caractère certain du préjudice :
4. Si le ministre de l'Europe et des affaires étrangères soutient qu'il n'est pas exclu que d'autres mesures de saisie aient pu être prononcées à l'égard de biens non protégés par l'immunité d'exécution mentionnée ci-dessus, il ne fournit à l'appui de cette argumentation aucun élément dont il ressortirait que la République démocratique du Congo détiendrait, notamment sur le sol français, des biens spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par cet Etat autrement qu'à des fins de service public non commerciales. L'existence de tels biens, purement hypothétique, ne ressort d'aucune pièce du dossier. Il ne saurait être raisonnablement exigé de Mme A..., ne disposant que de ressources très modestes, qu'elle fasse entreprendre par une officine spécialisée une recherche dont l'issue serait aléatoire, dont le coût serait hors de proportion avec l'enjeu, et qui ne pourrait déboucher que sur une nouvelle procédure judiciaire qui serait nécessairement longue et dont le succès serait incertain. Dans ces conditions, le préjudice subi par Mme A..., qui doit être regardée comme ayant épuisé toutes les voies de droit utiles pour obtenir le recouvrement de sa créance, doit être considéré comme présentant un caractère certain.
Sur la gravité du préjudice :
5. Il résulte de l'instruction qu'eu égard au montant des sommes en cause et à la situation de Mme A..., son préjudice revêt un caractère de gravité de nature à ouvrir droit à indemnisation, sans qu'y fasse obstacle la circonstance, alléguée par le ministre, qu'elle aurait tardé à saisir le juge de l'exécution.
Sur le caractère spécial du préjudice :
6. Compte tenu du faible nombre des victimes d'agissements analogues imputables à des ambassades d'Etats étrangers, sur le territoire français, le préjudice dont Mme A... se prévaut doit, contrairement à ce que soutient le ministre, être regardé comme présentant un caractère spécial, et non comme une charge lui incombant normalement.
Sur l'exception du risque accepté :
7. Même si son employeur était un Etat étranger, qui comme tel bénéficie d'immunités, Mme A... ne peut, contrairement à ce que soutient le ministre, être réputée avoir par avance accepté le risque résultant de la méconnaissance par cet employeur des dispositions d'ordre public applicables à la conclusion, à l'exécution et à la rupture de leur contrat de travail ni, par suite, avoir renoncé aux dispositions permettant le recouvrement, même contraint, de ses créances sur ce même employeur.
8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a condamné l'Etat à verser à Mme A... la somme de 61 465,32 euros.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par
Mme A... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'Europe et des affaires étrangères est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à Mme B... D... A..., épouse C....
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président,
- M. Niollet, président assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 décembre 2021.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLET Le président,
T. CELERIER
La greffière,
Z. SAADAOUI
La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02946