Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 février 2021 par lequel le préfet de police a rejeté sa demande de regroupement familial présentée au bénéfice de ses enfants, d'enjoindre au préfet de police de faire droit à sa demande de regroupement familial dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2108638/6-3 du 19 novembre 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2022, Mme B..., représentée par Me Sadoun, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 19 novembre 2021;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 février 2021 par lequel le préfet de police a rejeté sa demande de regroupement familial présentée au bénéfice de ses enfants ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de faire droit à sa demande de regroupement familial au bénéfice de ses quatre enfants dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué a été incompétemment signé ;
- cet arrêté est insuffisamment motivé en droit et en fait ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation car il empêche les enfants de la requérante de pouvoir voyager à l'étranger ;
- il méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
-à l'exception de la résidence hors de France, la requérante satisfait par ailleurs à tous les critères pour se voir accorder le regroupement familial sollicité au bénéfice de ses enfants.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2022, le préfet de police conclut au rejet de cette requête ;
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de Me Sadoun pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Ressortissante algérienne née le 16 décembre 1980 et titulaire d'un certificat de résidence valable dix ans, Mme B... a déposé le 23 octobre 2020 auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) une demande exceptionnelle de regroupement familial sur place au bénéfice de ses quatre enfants mineurs nés en 2007, 2009, 2012 et 2014. Par décision du 23 février 2021 le préfet de police a opposé un refus à cette demande, au motif que ses enfants étaient déjà présents sur le territoire français. Elle a dès lors saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de cette décision, mais le tribunal a rejeté cette demande par un jugement du 19 novembre 2021 dont elle relève appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 susvisé : " Les membres de famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente.... Peut être exclu de regroupement familial : / (...) 2 - un membre de la famille séjournant à un autre titre ou irrégulièrement sur le territoire français ". Aux termes de l'article 10 du même accord franco-algérien du 27 décembre 1968 susvisé : " Les mineurs algériens de dix-huit ans résidant en France, qui ne sont pas titulaires d'un certificat de résidence reçoivent sur leur demande un document de circulation pour étrangers mineurs qui tient lieu de visa lorsqu'ils relèvent de l'une des catégories mentionnées ci-après : a) Le mineur algérien dont l'un au moins des parents est titulaire du certificat de résidence de dix ans ou du certificat d'un an et qui a été autorisé à séjourner en France au titre de regroupement familial ; b) Le mineur qui justifie, par tous moyens, avoir sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans et pendant une durée d'au moins six ans ; c) Le mineur algérien entré en France pour y suivre des études sous couvert d'un visa d'une durée supérieure à trois mois ; d) Le mineur algérien né en France dont l'un au moins des parents réside régulièrement en France ".
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sécurité publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
4. Or, il ressort des pièces versées au dossier que Mme B... est titulaire d'un certificat de résidence valable dix ans, et a fait venir en 2018 ses quatre enfants en France, où ils sont scolarisés depuis lors, et où réside, aussi, régulièrement leur père dont elle est divorcée. Par ailleurs, il n'est pas contesté que, à l'exception de la condition tenant à la résidence hors de France des intéressés, la requérante satisfaisait aux autres conditions posées par l'article 4 de l'accord franco-algérien pour obtenir le bénéfice d'une mesure de regroupement familial en faveur de ses quatre enfants. Dès lors, alors même que la décision en litige n'aurait pas directement pour effet de s'opposer au maintien sur le territoire français desdits enfants, âgés de treize, onze, huit et six ans lors de son édiction, elle les contraint, pour pouvoir y résider régulièrement en bénéficiant d'une mesure de regroupement familial, à devoir quitter la France, où résident régulièrement leurs deux parents, et où ils sont scolarisés, et ce pour une durée indéterminée, jusqu'à ce qu'il soit statué sur cette demande de regroupement familial. Ainsi, alors au surplus que ces enfants ne satisfaisaient pas aux conditions pour se voir délivrer le document de circulation prévu par les stipulations de l'article 10 précité de l'accord algérien, qui au demeurant n'apporte pas les mêmes droits qu'une mesure de regroupement familial, Mme B... est fondée à soutenir que la décision contestée porte au droit de ses enfants au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise, et qu'elle méconnait également l'intérêt primordial desdits enfants, qui veut qu'ils puissent résider régulièrement auprès de leurs deux parents, en situation régulière, sans avoir pour cela à se séparer préalablement d'eux pour une durée indéfinie. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir que l'arrêté attaqué méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Elle est par suite fondée à demander l'annulation dudit jugement, ainsi que celle de l'arrêté du 23 février 2021 par lequel le préfet de police a rejeté sa demande de regroupement familial présentée au bénéfice de ses enfants.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé./La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".
7. Le présent arrêt, qui annule le jugement et la décision attaqués, implique qu'il soit enjoint au préfet de police de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par Mme B... au bénéfice de ses quatre enfants, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait et de droit, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°2108638/6-3 du 19 novembre 2021 du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 23 février 2021 du préfet de police sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de faire droit dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt à la demande de regroupement familial présentée par Mme B... au bénéfice de ses quatre enfants, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait et de droit.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 500 euros en application de l'article L761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 septembre 2022.
La rapporteure,
M-I. C...Le président,
T. CELERIERLa greffière,
K. PETIT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°22PA0235