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10/10/2023 | FRANCE | N°22PA01742

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 10 octobre 2023, 22PA01742


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2019 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion du territoire français.



Par un jugement n° 2013790 du 18 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 15 avril 2022, Mme A..., représentée par Me Nogueras, demande à la Cour :



1°) d'ann

uler ce jugement ;



2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;



3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la so...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2019 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion du territoire français.

Par un jugement n° 2013790 du 18 mars 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 15 avril 2022, Mme A..., représentée par Me Nogueras, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision d'expulsion est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 22 août 2023, la clôture de l'affaire a été fixée au 11 septembre 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, rapporteur,

- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique,

- et les observations de Me Chapelle, substituant Me Nogueras, avocat de Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante marocaine, née le 30 janvier 1999 et entrée en France, au titre du regroupement familial, le 18 mai 2005, soit à l'âge de six ans, a fait l'objet d'un arrêté du 25 octobre 2019 du ministre de l'intérieur prononçant son expulsion du territoire français sur le fondement des dispositions des articles L. 521-1 et L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable. Mme A... fait appel du jugement du 18 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, si la requérante reprend en appel son moyen soulevé à l'encontre de la décision d'expulsion en litige et tiré de son insuffisance de motivation, elle ne développe au soutien de ce moyen aucun argument de droit ou de fait complémentaire et pertinent de nature à remettre en cause l'analyse et la motivation retenues par le tribunal administratif. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 4 du jugement attaqué.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable et devenu l'article L. 631-1 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 521-3 du même code, alors applicable et devenu l'article L. 631-1 de ce code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : / 1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la note blanche des services de renseignement qui a été versée au contradictoire, et il n'est pas sérieusement contesté que Mme A... a reconnu, lors d'un entretien administratif du 24 juin 2016, être entrée en contact et avoir échangé avec des individus radicalisés et candidats au jihad en Syrie par le biais de comptes ouverts sous de fausses identités sur différents réseaux sociaux, notamment Facebook, Twitter et l'application cryptée Telegram. Si l'intéressée a tenté de se justifier en prétextant qu'il s'agissait d'un travail de recherche pour une candidature au concours d'entrée à l'Institut d'études politiques de Paris (Sciences-Po) dans le cadre du programme " égalité des chances ", il est apparu qu'elle n'était inscrite à aucune préparation à ce concours, ni ne pouvait prétendre à ce programme et que les épreuves d'admission à Sciences-Po ne comportaient pas un tel travail de recherche et de documentation. De même, Mme A... a été très proche d'une camarade de lycée, qui a fait l'objet d'une mesure d'opposition à la sortie du territoire d'un mineur à la demande de ses parents, le 28 juin 2016, en raison de son attrait pour l'organisation terroriste Etat islamique et de son souhait de rejoindre la zone syro-irakienne. De plus, à la suite d'une perquisition administrative, le 14 septembre 2016, du domicile familial de l'intéressée, dans l'Oise, qui s'est avérée négative, le juge des enfants près le tribunal de grande instance de Senlis a prononcé à son encontre, le 22 septembre 2016 et afin d'éviter son départ vers la zone syro-irakienne, une interdiction de sortie du territoire (IST), qui a pris fin à sa majorité le 30 janvier 2017. En outre, lors d'un nouvel entretien administratif du 8 février 2017, Mme A..., qui a maintenu une présence active sur les réseaux sociaux, a reconnu avoir été en contact en 2016, à travers l'application téléphonique cryptée " ON-OFF" permettant l'attribution d'un nouveau numéro de téléphone virtuel et provisoire afin de préserver l'anonymat de ses conversations, avec O..., interpellée, écrouée et condamnée le 14 février 2018 pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

5. Par ailleurs, l'intéressée a été interpellée et gardée à vue à deux reprises dans le cadre de plusieurs procédures judiciaires diligentées en matière de terrorisme, une première fois le 28 février 2017, avant d'être laissée libre le 3 mars suivant et, eu égard à son adhésion à la cause jihadiste et à ses relations entretenues avec des individus radicalisés, assignée à résidence dans le cadre de l'état d'urgence par un arrêté du 24 mars 2017, et une seconde fois le 26 novembre 2018, avant d'être laissée libre le 29 novembre suivant. A l'occasion de cette seconde garde à vue et au vu des éléments de procédure, il est apparu que, via notamment la messagerie cryptée Telegram, Mme A... a été en relation, courant 2016, avec des personnes proches de la mouvance islamiste radicale, relations au cours desquelles celles-ci ont exprimé leur souhait de départ en zone irako-syrienne, l'intéressée ayant été mise en cause par certaines des personnes mises en examen pour son rôle actif au sein d'un groupe Telegram, son discours en faveur de l'Etat islamique ainsi que son désir exprimé de départ sur zone. Il est également apparu que Mme A... a été en contact, avec le dénommé T..., un des deux auteurs de l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) du 26 juillet 2016, quelques semaines avant les faits. Entendue, Mme A... a contesté les faits reprochés et tenté de nouveau de justifier ses discussions pro Etat islamique ainsi que ses consultations de sites Internet faisant l'apologie du terrorisme par le fait d'avoir " infiltré " un groupe Telegram afin de préparer un mémoire indispensable, selon elle, pour entrer à Sciences-Po, les vérifications effectuées auprès de cet institut infirmant ses déclarations. Cette volonté de dissimulation s'est retrouvée tout au long de sa garde à vue, qu'il s'agisse de ses déclarations sur ses relations au sein de la mouvance islamiste radicale ou de sa pratique religieuse, l'intéressée ayant indiqué s'être détournée de l'islam au profit d'une autre religion alors que les éléments découverts lors de la perquisition de son domicile à Brest ont permis d'établir une pratique toujours rigoriste de la religion musulmane. Au cours de cette seconde garde à vue, elle a également été interrogée, dans le cadre d'une commission rogatoire relative à l'attentat de Magnanville (Yvelines) commis le 13 juin 2016, sur ses relations, notamment via les réseaux sociaux, avec une des personnes mises en examen, proche du terroriste Z..., auteur de cet attentat.

6. Enfin, la note blanche des services de renseignement indique que l'intéressée a utilisé, jusqu'à très récemment, l'application de messagerie cryptée Telegram et que figuraient parmi ses contacts plusieurs personnes connues pour être proches de la mouvance islamiste radicale, ce qui démontre une volonté certaine de l'intéressée de maintenir des liens au sein cette mouvance. La note, qui relève que l'exploitation des supports informatiques et numériques saisis à son domicile et les investigations menées ont permis de confirmer son ancrage dans la mouvance islamiste radicale, en contradiction avec ses déclarations, met également en exergue son manque de sincérité et sa capacité de dissimulation, qui ont pu être constatées par les enquêteurs tout au long de sa garde à vue.

7. Il suit de là que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de l'adhésion de Mme A... à la cause djihadiste, des relations qu'elle a entretenues avec des personnes proches ou membres de la mouvance islamiste radicale, de sa volonté manifeste de dissimulation de ses convictions réelles et de son profil psychologique, et alors que la commission d'expulsion, qui a relevé, en particulier, qu'un rapport psychologique de mars 2017 faisait état de ce qu'elle présentait des " failles narcissiques ", a d'ailleurs émis le 1er août 2019 un avis favorable à son expulsion, le ministre de l'intérieur, en estimant, par son arrêté du 25 octobre 2019, que sa présence en France constituait une menace grave pour l'ordre public et que son comportement était lié à des activités terroristes et, en conséquence, en prononçant son expulsion du territoire français, n'a pas fait une inexacte application des dispositions des articles L. 521-1 et L. 521-3 précités du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. S'il est constant que Mme A..., entrée en France au titre du regroupement familial à l'âge de six ans, réside habituellement en France depuis lors et que ses parents, titulaires d'une carte de résident, y séjournent, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'à la date de la décision contestée, l'intéressée, âgée de vingt ans, ne vivait pas avec ses parents et était célibataire et sans charge de famille sur le territoire français. En outre, elle n'établit, ni n'allègue qu'elle serait dépourvue de toute attache privée et familiale dans son pays d'origine, le Maroc. Enfin, son comportement justifiait légalement, ainsi qu'il est dit aux points 4 à 7, qu'elle soit expulsée du territoire français en application des dispositions des articles L. 521-1 et L. 521-3 précités du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision d'expulsion attaquée n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excédant ce qui était nécessaire à la défense de l'ordre public. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- Mme Marion, première conseillère,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseure la plus ancienne,

I. MARIONLa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22P A01742

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01742
Date de la décision : 10/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : NOGUERAS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-10-10;22pa01742 ?
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