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20/10/2023 | FRANCE | N°22PA05479

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 20 octobre 2023, 22PA05479


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'ordonner une expertise médicale en vue d'obtenir tous les éléments utiles sur les préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la prise du Mediator et de condamner solidairement l'Etat et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à lui verser une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.

Par un jugement avant-dire droit n° 1312676 du 7 août 2014, le tribunal administratif de Paris a

rejeté les conclusions de la demande de M. A... dirigées contre l'ANSM, a déclaré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'ordonner une expertise médicale en vue d'obtenir tous les éléments utiles sur les préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la prise du Mediator et de condamner solidairement l'Etat et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à lui verser une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.

Par un jugement avant-dire droit n° 1312676 du 7 août 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de la demande de M. A... dirigées contre l'ANSM, a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables éventuelles pour M. A... de la prise du Mediator à partir du 7 juillet 1999, a ordonné une expertise et a rejeté la demande de provision.

Par un jugement n° 1312676 du 23 octobre 2015, le tribunal a rejeté les conclusions indemnitaires de M. A....

Par un arrêt n° 14PA04079 -15PA04749 du 28 février 2018, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. A... contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 23 octobre 2015 et a prononcé un non-lieu à statuer sur l'appel formé par le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes contre le jugement avant-dire droit

du 7 août 2014.

Par une décision n° 420025 du 31 décembre 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par M. A..., a annulé l'arrêt n°14PA04079 - 15PA04749 du 28 février 2018 de la Cour administrative d'appel de Paris et lui a renvoyé l'affaire.

Par un arrêt n°20PA00052 du 2 juin 2022, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement n° 1312676 du 23 octobre 2015 du Tribunal administratif de Paris et lui a renvoyé l'affaire.

Par un jugement n° 1312676 du 25 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. A....

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 23 décembre 2022, M. A... représenté par la société Verdier et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 25 novembre 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'ordonner la mesure d'expertise sollicitée ;

3°) de condamner l'Etat au versement de la somme de 15 000 euros à titre de provision ;

4°) en toutes hypothèses, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété ;

5°) de débouter l'Etat de toutes ses demandes ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais de première instance et d'appel.

Il soutient que :

- la réalisation d'une expertise est nécessaire dès lors que le collège de l'ONIAM, dont les conclusions ont été suivies par le tribunal, a statué sans expertise, que le rapport d'expertise judiciaire est ancien et qu'il a été réalisé par un expert dont il a été démontré ultérieurement qu'il avait des liens avec l'industrie pharmaceutique ;

- cette expertise s'impose dès lors qu'il a été exposé au Mediator de juin 2001 à janvier 2006, qu'il ne présentait aucun antécédent cardiaque, qu'un épaississement aortique avec fuite mitrale a été constaté pour la première fois le 25 août 2003, que son cardiologue conclut que les valvulopathies émergentes présentées peuvent être attribuées à son exposition au Mediator en l'absence d'autre cause retrouvée et que son état de santé s'aggrave ;

- en toutes hypothèses, son préjudice d'anxiété doit être réparé.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 février 2023, l'ANSM, représentée par Me Schmelck conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les conclusions au titre du préjudice d'anxiété sont irrecevables et que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 septembre 2023, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

L'ANSM a produit un nouveau mémoire enregistré le 27 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Julliard,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Sergent, représentant l'ANSM.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A... s'est vu prescrire du Mediator, spécialité à base de benfluorex, de juin 2001 à janvier 2006. Il a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), venue aux droits et obligations de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, de l'indemniser des préjudices qu'il estime subir du fait de son exposition au benfluorex. Par un jugement avant-dire droit du 7 août 2014, depuis définitif, le tribunal a jugé, d'une part, que seule la responsabilité de l'Etat, au nom duquel ont été prises les décisions du directeur général de l'ANSM, pouvait être recherchée, et, d'autre part, que l'absence de suspension ou de retrait de l'autorisation de mise sur le marché du Mediator à compter de juillet 1999 revêtait le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Il a en outre ordonné une expertise judiciaire. L'expert désigné par le vice-président du tribunal a déposé un rapport de carence, sur le fondement de l'article R. 621-12-1 du code de justice administrative, le 15 février 2015. Par ailleurs, M. A... a saisi le 26 août 2014 l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) en vue d'obtenir la réparation par la société Les Laboratoires Servier de ses préjudices en lien avec la prise de benfluorex, conformément à la procédure non contentieuse prévue aux articles L. 1142-24-1 et suivants du code de la santé publique. Par un jugement du 23 octobre 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes indemnitaires de M. A... au motif que ce dernier, qui souhaitait alors attendre l'avis du collège d'experts de l'ONIAM saisi par ses soins, avait décliné l'expertise ordonnée avant-dire droit le 7 août 2014 et que la juridiction ne disposait pas de ce fait des éléments d'information indispensables à la détermination du lien de causalité et de l'étendue des préjudices dont il réclamait la réparation. Toutefois et en dernier lieu, par un arrêt du 2 juin 2022, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé intégralement le jugement du

23 octobre 2015, pour irrégularité, au motif qu'aucune mise en demeure n'avait été adressée à M. A... afin qu'il s'acquitte du versement à l'expert désigné de l'allocation provisionnelle qui lui avait été accordée avant le dépôt par l'expert judiciaire de son rapport de carence, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 621-12-1 du code de justice administrative et a renvoyé le jugement de l'affaire au tribunal. Dans le cadre de la procédure non contentieuse engagée parallèlement par M. A..., le collège d'experts de l'ONIAM a rendu un avis en date du 15 septembre 2016 tendant au rejet de sa demande de règlement amiable, en raison de l'absence chez ce patient de déficit fonctionnel imputable à l'administration de benfluorex. M. A... relève appel du jugement du 25 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que soit ordonné une nouvelle expertise médicale en vue d'obtenir tous les éléments utiles sur les préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la prise du Mediator avant qu'il ne statue sur ses conclusions indemnitaires à l'encontre de l'Etat.

Sur les conclusions tendant à la réalisation avant dire droit d'une nouvelle expertise et au versement d'une provision :

2. Aux termes de l'article L. 1142-24-4 du code de la santé publique : " Un collège d'experts placé auprès de l'office procède à toute investigation utile à l'instruction de la demande, dans le respect du principe du contradictoire, et diligente, le cas échéant, une expertise, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou industriel. (...). ". Aux termes de son article R. 1142-63-9 : " Le collège s'assure que le demandeur justifie de l'existence d'un déficit fonctionnel imputable au benfluorex. Il peut, pour ce faire, diligenter une expertise. ".

3. M. A... soutient que la réalisation d'une expertise avant-dire droit est nécessaire dès lors que le collège de l'ONIAM, dont les conclusions ont été suivies par le tribunal, a statué sans expertise, et qu'aucune discussion contradictoire avec un médecin-conseil n'a pu avoir lieu ni dans la cadre de la procédure amiable ni dans le cadre de l'expertise judiciaire très sommaire et ancienne.

4. Il résulte toutefois de l'instruction que l'avis du collège d'experts de l'ONIAM du

15 septembre 2016 a été émis au vu d'une expertise sur pièces réalisée le 4 février 2016 et notifiée à M. A... le 30 mai suivant, sans qu'il émette d'observations, et que le collège d'experts a examiné toutes les analyses médicales produites par M. A... lui-même et réalisées entre le 1er avril 1997 et le 27 mai 2014, soit sur sept années d'observation. Il résulte de cet avis, qui se prononce sur le lien de causalité entre les pathologies rapportées par M. A... et son exposition au Mediator que : " S'agissant du rétrécissement aortique calcifié serré, le collège d'experts considère que la pathologie présentée par le demandeur ne correspond pas à une forme d'atteinte valvulaire décrite par la littérature scientifique, comme étant liée à une origine toxique ou médicamenteuse en général et à la prise de benfluorex en particulier. Par ailleurs, selon le collège d'experts, au vu des pièces médicales produites, l'atteinte valvulaire physiologique décrite, à savoir une " micro " régurgitation mitrale " banale " (notamment au vu des examens de 2003,2011 et 2013) ne présente pas les caractéristiques admises par la littérature scientifique comme déterminant, une origine toxique ou médicamenteuse en général, et comme étant imputable à la prise de benfluorex en particulier. ". Par suite, ainsi que l'a estimé à bon droit le tribunal, le collège a pu se prononcer en toute connaissance de cause sur l'état de santé du requérant sur la base des très nombreuses pièces qui lui avaient été transmises, sans qu'il lui soit nécessaire de diligenter des mesures d'expertise complémentaires sur le fondement de l'article R. 1142-63-9 du code de la santé publique, telles qu'un examen du patient.

5. En outre, la circonstance que le rapport d'expertise judiciaire ordonnée par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre le 30 avril 2012, retenu à titre d'information tant par le collège d'experts que par le tribunal, et dont il est constant qu'il a également écarté le lien de causalité entre les pathologies de M. A... et son exposition au benfluorex, soit ancien, est sans incidence dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, M. A... a bénéficié d'une nouvelle expertise réalisée le 4 février 2016. De plus, ses allégations relatives à l'absence d'impartialité de l'expert judiciaire ne sont assorties d'aucun début de preuve. Il n'y a dès lors pas lieu d'écarter cette expertise.

6. Enfin, si M. A..., qui ne produit aucune nouvelle pièce à l'appui de sa requête d'appel, soutient qu'une nouvelle expertise s'impose dès lors qu'il fait toujours l'objet d'un suivi médical régulier et que son état de santé s'aggrave, il ne l'établit pas.

7. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à la réalisation d'une nouvelle expertise et au versement d'une provision ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices corporels :

8. D'une part, M. A... ne conteste pas devant la Cour les motifs du jugement attaqué selon lesquels l'ensemble des médecins, consultés sur le possible lien entre le rétrécissement aortique calcifié serré dont il souffre et la prise du Mediator, l'a écarté au motif que cette pathologie n'avait jamais été décrite dans la littérature scientifique comme pouvant être en lien avec une origine toxique ou médicamenteuse de manière générale et, a fortiori, avec la prise de benfluorex, sans qu'il puisse utilement se prévaloir de la note technique établie le 1er juin 2012 par son médecin-conseil le docteur B... dès lors que celle-ci indique que la maladie aortique de M. A... " ne peut être attribuée en effet du Mediator ".

9. D'autre part, M. A... n'apporte également aucun élément de nature à remettre en cause l'absence d'imputation, retenue tant par les experts du collège de l'ONIAM que par le tribunal, à sa prise de Mediator de la micro régurgitation mitrale " banale " dont il souffre, en se bornant à se prévaloir de la note technique précitée du docteur B... qui se borne à indiquer que la fuite est " compatible avec une exposition médicamenteuse " et " qu'il n'est donc pas possible en l'état d'exclure le rôle du Mediator ".

10. Dans ces conditions, M. A... n'établit pas l'existence d'un lien de causalité entre les affections dont il se plaint et son exposition au Mediator. Il en résulte que ses préjudices sont sans lien avec la faute de l'Etat retenue par le jugement avant-dire droit du 7 août 2014 et consistant en l'absence de suspension ou de retrait de l'autorisation de mise sur le marché du Mediator à compter du 7 juillet 1999. Il y a lieu en conséquence de rejeter ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser de ses préjudices corporels.

En ce qui concerne l'indemnisation du préjudice d'anxiété :

11. M. A... demande que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété qu'il qualifie de " profonde ". S'il est constant que la découverte du caractère dangereux du Mediator a pu susciter chez M. A... des interrogations et des inquiétudes, indépendamment du fait de développer une maladie cardiaque et une maladie pulmonaire (HTAP), il ne fait pas état d'éléments personnels et circonstanciés permettant de justifier de l'existence d'un préjudice direct et certain lié à la crainte de développer une pathologie grave après la prise de Mediator, qu'il a arrêtée en 2006, en se bornant à se référer à la littérature médicale générale relative aux risques de l'exposition au benfluorex. Dans ces conditions, sa demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété doit être rejetée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'irrecevabilité opposée à cette demande par l'ANSM et tirée de l'indemnisation allouée à ce titre par le jugement du 29 mars 2021 du Tribunal correctionnel de Paris, au demeurant non définitif.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Sur les frais de première instance et d'appel :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, verse à M. A... la somme qu'il demande au titre des frais de l'instance de première instance et d'appel.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au ministre de la santé et de la prévention, au directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2023.

La rapporteure,

M. JULLIARDLe président,

I. LUBENLe greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA05479


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA05479
Date de la décision : 20/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : SCHMELCK

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-20;22pa05479 ?
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