La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/01/2024 | FRANCE | N°22PA02525

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 janvier 2024, 22PA02525


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme E... D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 97 911,72 euros en réparation des préjudices causés par le décès de leur fils, M. C... D..., survenu après sa prise en charge médicale à l'hôpital européen Georges Pompidou en 2016.r>


Par un jugement n° 2017141/6-1 du 8 avril 2022, le tribunal administratif de Par...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 97 911,72 euros en réparation des préjudices causés par le décès de leur fils, M. C... D..., survenu après sa prise en charge médicale à l'hôpital européen Georges Pompidou en 2016.

Par un jugement n° 2017141/6-1 du 8 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 2 juin 2022, M. et Mme D..., représentés par

Me Flory, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 avril 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l'AP-HP et l'ONIAM à leur verser la somme de 97 911,72 euros en réparation des préjudices causés par le décès de leur fils, M. C... D... ;

3°) de condamner l'AP-HP et l'ONIAM à leur verser 1 500 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le lâchage de suture du greffon, qui constitue un aléa thérapeutique, a provoqué des conséquences anormales au regard de l'état de santé de M. C... D... qui en est décédé, alors que la survie à 1 à 5 ans chez les patients atteints de mucoviscidose greffés de poumons est évaluée à 70-75% ; par suite, le tribunal ne pouvait conclure que la maladie de leur fils engageait son pronostic vital à court terme alors que la greffe visait à prolonger sa survie ;

- l'AP-HP a commis des fautes et des manquements dans la prise en charge de leur fils et en l'absence de communication du dossier médical, l'expert n'a pu procéder à toutes les vérifications ;

- ils sont fondés à solliciter les sommes de 2 275 euros et 30 000 euros en réparation des préjudices subis par leur fils C... au titre du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées ;

- ils sont en outre fondés à solliciter les sommes de 30 000 euros pour chacun d'entre eux au titre du préjudice d'affection, ainsi que la somme de 5 636,72 euros en remboursement des frais d'obsèques.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 mars 2023, l'ONIAM représentée par

Me Welsch, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 octobre 2023, l'AP-HP, représentée par Me Tsouderos, conclut à titre principal au rejet de la requête et à titre subsidiaire, à ce que les demandes indemnitaires soient réduites à de plus justes proportions.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne qui n'a pas présenté de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de la sécurité sociale,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Julliard,

- et les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... D..., né le 7 décembre 1990, était atteint de la mucoviscidose et a présenté, notamment, une insuffisance respiratoire terminale aggravée et une insuffisance pancréatique externe, ce qui l'a conduit à bénéficier d'une greffe des deux poumons dans la nuit du 16 au 17 novembre 2016 à l'hôpital européen Georges Pompidou (HEGP), établissement dépendant de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP). Présentant une pneumonie, il a été réintubé le 21 novembre puis une reprise chirurgicale a été nécessaire le 22 novembre, des sutures ayant sauté. Devant la persistance de l'infection et d'une fuite sur les sutures, M. D... a été branché le 29 novembre 2016 sur une machine " ECMO ", destinée à oxygéner son sang tout en laissant ses poumons au repos, puis a été de nouveau opéré le 20 décembre 2016 pour une reprise au niveau de la plèvre droite, et enfin le

27 janvier 2017 pour une thoracostomie droite. Le 9 février 2017, ainsi que l'indique la fiche de suivi, un staphylocoque a été mis en évidence et une antibiothérapie lui a été prescrite. Il a de nouveau fait un important choc septique le 17 février 2017 et est décédé le jour même à 13 h 10. Estimant que la prise en charge de leur fils a été défaillante, les époux D... ont saisi le tribunal administratif de Paris, qui a désigné, par une ordonnance du 18 mai 2018, un expert judiciaire, le professeur F... chirurgien thoracique, puis par ordonnance du

7 février 201, lui a adjoint un sapiteur, le docteur G..., infectiologue. Les experts ont rendu leur rapport le 6 février 2020. Par un courrier du 23 juillet 2020, les époux D... ont demandé à l'AP-HP de les indemniser des préjudices résultant du décès de leur fils, demande qui a été rejetée le 15 octobre 2020. Ils relèvent appel du jugement du 8 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur requête tendant à la condamnation de l'AP-HP et de l'ONIAM à leur verser la somme totale de 97 911,72 euros en réparation des préjudices causés par le décès de leur fils.

Sur la responsabilité de l'AP-HP :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. -Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'indication de double greffe était pleinement justifiée dès lors qu'il s'agissait de la seule possibilité de remédier à l'insuffisance respiratoire terminale dont souffrait M. D..., sans alternative thérapeutique, que le traitement chirurgical a été conforme aux règles de l'art, y compris la réduction volumique des deux greffons, ainsi que la prise en charge du risque infectieux tout au long de l'hospitalisation du patient, notamment par un traitement infectieux prophylactique et des mesures d'isolement. Enfin, le décès de M. D... a été provoqué par le lâchage de la suture sur le greffon pulmonaire droit, à l'origine de l'infection pulmonaire et des chocs septiques successifs dans un contexte de traitement immunosuppresseur lourd, nécessaire pour éviter le rejet des greffons, diminuant les défenses immunitaires naturelles d'un patient particulièrement exposé à un risque infectieux majeur à raison de sa maladie, la mucoviscidose. Il en résulte qu'ainsi que l'ont estimé les experts, la prise en charge de

M. D... a été conforme aux règles de l'art et il n'est relevé aucun manquement, notamment dans la prise en charge des complications post opératoires. En outre, si les parents de M. D... invoquent un défaut de vigilance des personnels hospitaliers, responsable d'une dénutrition de leur fils et de deux chutes, ces fautes, à les supposées établies, ne sont pas à l'origine de son décès. Il en résulte que la responsabilité fautive de l'AP-HP doit être écartée.

4. Enfin, si l'AP-HP ne conteste pas avoir manqué à son obligation d'information sur les causes du décès de M. C... D... et de transmission de son dossier médical complet à ses parents, ces derniers ne sollicitent pas d'indemnisation à ce titre.

Sur la prise en charge par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale :

5. En premier lieu, aux termes du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissement, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins " sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.

6. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que l'organisme de M. D... était porteur, du fait de sa mucoviscidose, de bactéries et de champignons présentant un caractère pathogène et multirésistant constituant un foyer infectieux lors de son admission à l'hôpital. Par suite, les infections nouvelles qu'il a développées lors de son séjour hospitalier résultent de ce tableau infectieux préexistant et ne peuvent être regardées comme nosocomiales au sens des dispositions précitées.

7. En second lieu, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique :

" (...) / II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ". Enfin, en vertu des articles L. 1142-17 et L. 1142-22 du même code, la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par l'ONIAM.

8. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

9. D'une part, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que le lâchage de la suture sur le greffon pulmonaire droit, à l'origine de l'infection pulmonaire et des complications ayant entraîné le décès de M. C... D..., constitue un aléa thérapeutique, comme l'a à bon droit estimé le tribunal administratif. Il résulte également de l'instruction qu'avant sa prise en charge médicale à l'HEGP, M. D... était porteur d'une mucoviscidose se manifestant par une insuffisance respiratoire terminale nécessitant une oxygénothérapie permanente, une colonisation chronique de ses voies respiratoires par des bactéries devenues multi résistantes du fait de nombreuses antibiothérapies et des champignons, par une insuffisance pancréatique exocrine et endocrine responsable de troubles nutritionnels et d'un diabète insulino-requérant et par une insuffisance rénale chronique non dialysée. Ainsi qu'il a été dit au point 3 du présent arrêt, il n'existait pas d'alternative thérapeutique à la double greffe de poumons pour remédier à l'insuffisance respiratoire terminale dont souffrait M. D... et qui engageait son pronostic vital. Par suite, la condition d'anormalité du dommage prévue par les dispositions précitées ne peut être considérée comme remplie dès lors que les conséquences de sa prise en charge n'ont pas été notablement plus graves que celles auxquelles il était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de greffe pulmonaire.

10. D'autre part, l'ONIAM soutient sans être contredit qu'un lâchage de la suture sur un greffon pulmonaire survient dans 5 à 20% des cas. En outre, le risque de contracter une infection pulmonaire chez un patient aussi vulnérable que M. D... a été qualifié de majeur par les experts. Par suite, dans les conditions où la double greffe a été pratiquée sur

M. D... dont l'état de santé était très altéré, eu égard aux risques et complications inhérents à la lourdeur de ce geste chirurgical, la survenance du dommage qui s'est réalisé ne présentait pas une probabilité faible.

11. En conséquence, les conditions de prise en charge par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale des dommages subis par les appelants ne sont pas réunies.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Par suite, leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête des époux D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D..., à M. B... D..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2024.

La rapporteure,

M. JULLIARDLe président,

I. LUBEN

La rapporteure,

M-I. LABETOULLE

Le président,

I. LUBENLa greffière

N. DAHMANI

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

22PA02525 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02525
Date de la décision : 12/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : TSOUDEROS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-12;22pa02525 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award