Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Société des Brasseries et Glacières Internationales a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt mises à sa charge au titre des exercices clos en 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009.
Par un jugement n° 2011841 du 17 mars 2022, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 3 mai 2022, la Société des Brasseries et Glacières Internationales, représentée par Me Laurent, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 17 mars 2022 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de condamner l'Etat aux dépens de première instance et d'appel.
Elle soutient que :
- les opérations effectuées par le service au titre des années 2005 à 2010 sont constitutives de l'engagement d'une vérification de comptabilité, qui aurait dû être précédée par l'envoi d'un avis de vérification en application de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ;
- le délai de reprise de l'administration était prescrit le 15 décembre 2015, date à laquelle la proposition de rectification relative aux années 2005 à 2010 a été notifiée à la société Vins Alcools et Spiritueux de France ;
- la propriétaire effective des parts des sociétés chinoises Yantai et Langfang était la société gibraltarienne Zaida, et non la société française Vins Alcools et Spiritueux de France, et cette dernière ne peut dès lors être réputée avoir perçu des indemnités de gérance provenant des sociétés chinoises.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 13 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 mai 2023 à 12 heures.
Un mémoire et une pièce, présentés pour la Société des Brasseries et Glacières Internationales, ont été enregistrés les 2 et 5 février 2024, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'ont pas été communiqués.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,
- et les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Entre 2005 et 2009, la Société des Brasseries et Glacières Internationales (ci-après la société BGI ou société requérante) était la société mère d'un groupe fiscalement intégré comprenant la société Vins Alcools et Spiritueux de France (ci-après la société VASF), qui exerce notamment une activité de vente en ligne de vins et spiritueux. A l'issue d'un contrôle sur pièces du dossier fiscal de la société VASF, celle-ci a été assujettie, notamment, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt au titre des exercices clos en 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009. Par un document du 15 mai 2018, l'administration fiscale a informé la société BGI, en tant que société mère de ce groupe fiscalement intégré, des conséquences financières du contrôle fiscal diligenté à l'encontre de sa filiale, la société VASF. Un avis de mise en recouvrement de ces impositions, émis le 15 juin 2018, a été notifié à la société BGI en tant que seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et la société VASF. Après avoir vainement réclamé, la société BGI a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, de ces impositions mises à sa charge. La société BGI fait appel du jugement 17 mars 2022 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin de décharge :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " L'administration des impôts contrôle les déclarations ainsi que les actes utilisés pour l'établissement des impôts, droits, taxes et redevances / (...) / A cette fin, elle peut demander aux contribuables tous renseignements, justifications ou éclaircissements relatifs aux déclarations souscrites ou aux actes déposés / (...) ". Aux termes de l'article L. 13 de ce livre, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " I. - Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables / (...) ". Aux termes de l'article L. 47 du même livre, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " (...) une vérification de comptabilité (...) ne peut être [engagée] sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification (...) / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix / (...) ".
3. Lorsque l'administration fait usage du droit que lui confèrent les dispositions précitées de contrôler sur pièces les déclarations du contribuable, en lui demandant, le cas échéant, des justifications complémentaires ou en se procurant des éléments auprès de tiers au titre de son droit de communication, sans toutefois procéder à un examen critique des documents comptables, cette procédure ne peut être assimilée à une vérification de comptabilité. En revanche, l'administration procède à la vérification de comptabilité d'une entreprise lorsqu'en vue d'assurer l'établissement d'impôts ou de taxes totalement ou partiellement éludés par les intéressés, elle contrôle sur place la sincérité des déclarations fiscales souscrites par cette entreprise en les comparant avec les écritures comptables ou les pièces justificatives dont elle prend alors connaissance et dont, le cas échéant, elle peut remettre en cause l'exactitude. L'exercice régulier du droit de vérification de comptabilité suppose le respect des garanties légales prévues en faveur du contribuable vérifié, au nombre desquelles figure, notamment, l'envoi ou la remise de l'avis de vérification auquel se réfère l'article L. 47 du livre des procédures fiscales.
4. Il résulte de l'instruction, notamment des mentions mêmes de la proposition de rectification du 15 décembre 2015 adressée à la société VASF, que celle-ci a fait l'objet d'un contrôle sur pièces, réalisé sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, dès lors que le vérificateur s'est en effet borné à réintégrer aux résultats de la société VASF des produits non déclarés au titre des exercices clos en 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009, ainsi qu'il résultait des renseignements contenus dans les documents obtenus le 24 mars 2015 dans le cadre du droit de communication exercé par le vérificateur auprès d'un juge d'instruction près le Tribunal de grande instance de Bordeaux, ces documents consistant notamment en des procès-verbaux d'audition, des statuts de sociétés, des contrats de gérance-mandat ainsi que des accords et mouvements bancaires recueillis par l'autorité judiciaire dans le cadre d'une information judiciaire ouverte contre X en 2012 du chef de faux et usage de faux et publication et présentation de faux bilans, à la suite du dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile notamment contre la société VASF pour des faits de faux et usage de faux et publication et présentation de comptes inexacts relatifs à cette société. S'il est constant que le droit de communication a été exercé à la faveur d'une vérification de comptabilité de la société VASF portant sur les années 2012 et 2013 au cours de laquelle le vérificateur a notamment, par courriel du 12 novembre 2015, demandé à la société VASF de lui fournir les tableaux 2058 A et 2058 B afférents aux exercices clos en 2005, 2006, 2007 et 2008, cette circonstance est toutefois sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition en litige, dès lors qu'il résulte de l'instruction que, s'agissant des années 2005 à 2009, le vérificateur, qui a uniquement contrôlé les déclarations fiscales de la société VASF au regard des seuls éléments recueillis dès le 24 mars 2015 dans le cadre de son droit de communication, qui ne constituent pas des documents comptables propres à la société contribuable, n'a pas excédé les limites d'un contrôle sur pièces et qu'il n'a pas de la sorte engagé une quelconque vérification de comptabilité de la société VASF. Par suite, dès lors que, contrairement à ce que soutient la société requérante, le vérificateur n'a pas réalisé de vérification de comptabilité de la société VASF au titre des années 2005 à 2009, le moyen tiré de ce que, faute d'avoir adressé à la société VASF un avis de vérification, l'administration a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions supplémentaires :
5. En premier lieu, en vertu du premier alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige, le droit de reprise de l'administration s'exerce, pour l'impôt sur les sociétés, jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. Aux termes de l'article L. 188 C de ce livre, dans sa rédaction applicable au présent litige, issue de l'article 10 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, qui reprend en substance les dispositions de l'article L. 170 du même livre : " Même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ". Il résulte de ces dispositions que des informations ne peuvent être regardées comme ayant été révélées par une instance s'il est établi que l'administration fiscale disposait, avant de les recevoir, d'éléments suffisants lui permettant, par la mise en œuvre des procédures d'investigations dont elle dispose, d'établir ces insuffisances ou omissions d'imposition dans le délai normal de reprise prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales.
6. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a fait application du délai spécial de reprise prévu à l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales au motif que les omissions d'imposition en litige, relatives à l'absence de déclaration des indemnités de gérance dues par la société de droit chinois Yantai Changyu Pioneer Wine Co. Ltd. (ci-après la société Pioneer), qu'elle a regardées comme étant destinées à la société VASF, avaient été révélées par l'instance ouverte en 2012 contre X devant le Tribunal de grande instance de Bordeaux. Si la société BGI a entendu soutenir que le délai de reprise de l'administration était prescrit à la date du 15 décembre 2015 à laquelle la proposition de rectification relative aux années 2005 à 2010 a été notifiée à la société VASF, il ne résulte toutefois pas de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas allégué, que l'administration fiscale aurait eu en sa possession, avant la communication des documents obtenus de l'autorité judiciaire le 24 mars 2015 et même après l'expiration du délai normal de reprise, des éléments suffisamment précis pour établir, au besoin par la mise en œuvre des procédures d'investigations dont elle dispose, les omissions d'imposition en litige. Ainsi, les omissions relevées à l'encontre de la société VASF doivent être regardées comme ayant été révélées par une instance au sens des dispositions précitées de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration fiscale ne pouvait pas faire application de ces dispositions au cas présent.
7. En second lieu, aux termes de l'article 38 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises (...) / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés / (...) ".
8. Il est constant qu'afin de développer la production et la vente de vin sur le marché chinois alors en plein essor, la société VASF et la société Pioneer ont constitué en Chine en 2001 deux co-entreprises de droit chinois - ou " joint-ventures " -, la première dénommée Yantai Changyu Castel Wine Chateau Co. Ltd. (ci-après la société Yantai) et la seconde dénommée Langfang Castel Changyu Wine Co. Ltd. (ci-après la société Langfang). La société VASF détenait alors 30 % du capital de la société Yantai et 51 % de celui de la société Langfang. Par ailleurs, les sociétés Langfang et Yantai ont conclu avec la société Pioneer un contrat de gérance-mandat, signé le 21 septembre 2001 pour la première et le 29 septembre 2002 pour la seconde. Selon ces contrats, qui ont été renouvelés le 20 décembre 2006, la gestion et l'exploitation des co-entreprises chinoises sont confiées à la société Pioneer, et la société VASF reçoit de ces co-entreprises une indemnité de gérance dont le versement incombe à la société Pioneer.
9. Pour réintégrer dans les résultats imposables de la société VASF les rémunérations prévues par les contrats de gérance-mandat, que cette société a omis de déclarer au titre des exercices clos en 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009 pour des montants respectifs de 531 573 euros, 669 754 euros, 658 029 euros, 417 510 euros et 432 180 euros, l'administration fiscale a considéré qu'en vertu des statuts des co-entreprises chinoises et des contrats de gérance-mandat, tels qu'ils ont été décrits au point précédent, la société VASF s'est présentée aux yeux des tiers, et notamment à ceux de l'administration fiscale, comme la propriétaire de parts dans le capital des sociétés Langfang et Yantai et que, ce faisant, les rémunérations prévues par les contrats de gérance-mandat doivent être imposées entre les mains de la société VASF, alors même qu'elles auraient été versées à la société Zaida au cours des années d'imposition en litige.
10. Compte tenu de la situation juridique apparente que la société VASF a elle-même créée, les circonstances dont la société BGI se prévaut, tirées notamment de ce que la société VASF n'était pas la propriétaire réelle des parts des co-entreprises chinoises en raison de deux conventions de portage du 8 août 2001 par lesquelles elle se serait engagée, en qualité de mandataire occulte de la société Zaida, à reverser à cette société toutes les sommes lui revenant en raison de la détention de ces parts, que la société Zaida aurait inscrit à son bilan de l'exercice clos en 2001 les titres en litige et qu'enfin, la société VASF n'aurait acquis lesdites parts auprès de la société Zaida que le 9 décembre 2010, date à laquelle ces deux sociétés auraient conclu un contrat de cession mettant fin aux conventions de portage du 8 août 2001, ne sont pas en tout état de cause opposables à l'administration fiscale, qui était ainsi en droit d'imposer les indemnités de gérance en litige conformément aux dispositions précitées de l'article 38 du code général des impôts, en s'en tenant à l'apparence créée par la société VASF, dès lors que cette société a entendu conserver un caractère occulte aux éléments dont elle se prévaut désormais, faute d'en avoir révélé l'existence dans ses déclarations fiscales des années d'imposition en litige.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société BGI n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une quelconque somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est, pas plus en appel qu'en première instance, la partie perdante.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la Société des Brasseries et Glacières Internationales est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Société des Brasseries et Glacières Internationales et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur chargé de la direction des vérifications nationales et internationales.
Délibéré après l'audience du 6 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mars 2024.
Le rapporteur,
M. DESVIGNE-REPUSSEAULe président,
B. AUVRAY
La greffière,
L. CHANA
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA02024