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21/03/2024 | FRANCE | N°23PA00978

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 1ère chambre, 21 mars 2024, 23PA00978


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. A... F... et Mme C... G... D..., agissant en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur, E..., ont demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler la décision du 7 avril 2022 par laquelle le préfet des Yvelines a refusé de délivrer à ce dernier une carte nationale d'identité et un passeport et, d'autre part, d'enjoindre à cette autorité de délivrer les titres sollicités, ou, à défaut, de réexaminer leur demande, sous astreinte

de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... et Mme C... G... D..., agissant en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur, E..., ont demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler la décision du 7 avril 2022 par laquelle le préfet des Yvelines a refusé de délivrer à ce dernier une carte nationale d'identité et un passeport et, d'autre part, d'enjoindre à cette autorité de délivrer les titres sollicités, ou, à défaut, de réexaminer leur demande, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 2206847 du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 8 mars 2023 et un mémoire enregistré le 10 juillet 2023, M. A... F... et Mme C... G... D..., agissant en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur E..., représentés par Me Roques, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2206847 du 26 janvier 2023 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du 7 avril 2022 par laquelle le préfet des Yvelines a refusé de délivrer à leur fils mineur, E..., une carte nationale d'identité et un passeport ;

3°) d'enjoindre au préfet des Yvelines, ou toute autre préfecture compétente, de délivrer à leur enfant E... les titres sollicités ou, à défaut, de réexaminer leur demande de titres et de prendre une nouvelle décision dans un délai d'une semaine conformément aux articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision litigieuse est entachée d'erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 juin 2023, le ministre de l'intérieur et des Outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Par ordonnance du 15 novembre 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 13 décembre 2023 à 12 heures.

Vu :

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité ;

- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Diémert,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- et les observations de Me Matiatou, substituant Me Roques, avocat de M. F... et de Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... F... a sollicité le 30 décembre 2020, pour l'enfant E..., né le 16 septembre 2021 à Eaubonne, la délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport. Par une décision du 7 avril 2022, le préfet des Yvelines a refusé de lui délivrer les titres sollicités. M. F... et Mme C... G... D..., agissant en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur E..., ont demandé l'annulation de cette décision au tribunal administratif de Melun, lequel a rejeté cette demande par un jugement du 26 janvier 2023 dont les intéressés relèvent appel devant la Cour.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français ". L'article 30 du même code prévoit que : " La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. / Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants ". D'autre part, l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports prévoit : " Le passeport est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande. (...) ". L'article 2 du décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité dispose : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout français qui en fait la demande. (...) ". Pour l'application de ces dispositions, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge administratif, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité et d'un passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement du titre demandé.

3. Pour refuser de procéder à la délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport à l'enfant mineure E..., le préfet des Yvelines s'est fondé sur une suspicion de reconnaissance frauduleuse de paternité dans le but d'obtenir la régularisation de la situation sur le territoire français de la mère de l'enfant, Mme B... G... D..., en se prévalant d'un faisceau d'indices résultant de la situation irrégulière de la mère, de l'absence de vie commune entre les parents, de la reconnaissance de l'enfant par anticipation, avant sa naissance rapidement suivie du dépôt d'une demande de titre, d'une demande de carte nationale d'identité par la mère seulement trois mois après la naissance de l'enfant, de l'absence de contribution effective du père à l'éducation et à l'entretien de l'enfant et, enfin, de la circonstance que M. F... s'est abstenu de répondre aux convocations de l'administration.

4. Toutefois, ces seuls éléments, alors même qu'ils pourraient en principe contribuer utilement à l'établissement d'un comportement frauduleux, ne suffisent pas, dans les circonstances de l'espèce, à les regarder comme fondant un doute suffisant pour rejeter la demande de délivrance de carte nationale d'identité et de passeport présentée par les intéressés, dès lors que l'absence de vie commune résulte d'une relation extraconjugale du père, qui au demeurant contribue, certes épisodiquement, à l'entretien de l'enfant, et que les démarches entreprises par la mère ne caractérisent pas, par elles-mêmes, un comportement frauduleux mais s'inscrivent dans les possibilités offertes par le droit positif à l'étranger parent d'un enfant français. En particulier, il ne ressort en outre des pièces du dossier, ni qu'une procédure pénale aurait été ouverte à l'encontre des intéressés, ni l'existence de déclarations de l'intéressé reconnaissant ne pas être le père de l'enfant ou reconnaissances de paternité multiples, ni la séparation physique des parents au moment présumé de la conception, ou encore une enquête administrative mettant en évidence des récits contradictoires des prétendus parents.

5. Il résulte de ce qui précède que, en l'état du droit positif, l'administration ne pouvait se fonder sur les seules suspicions mentionnées au point 3, non étayées par des éléments précis et circonstanciés de nature à établir un comportement frauduleux, pour refuser la délivrance des titres sollicités. M. F... et Mme G... D... sont donc fondés à soutenir que la décision litigieuse est entachée, sur ce point, d'une erreur de droit et à demander l'annulation de la décision litigieuse pour ce motif, qui est le seul, en l'état du dossier, à fonder leurs conclusions à cette fin.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. L'exécution du présent arrêt implique qu'il soit enjoint au préfet des Yvelines, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de délivrer à l'enfant E... une carte nationale d'identité et un passeport, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais du litige :

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État, qui succombe à l'instance, le versement aux requérants d'une somme globale de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2206847 du 26 janvier 2023 du tribunal administratif de Melun et la décision du 7 avril 2022 par laquelle le préfet des Yvelines a refusé de délivrer à l'enfant E... F... une carte nationale d'identité et un passeport, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Yvelines, de délivrer à l'enfant E... F... une carte nationale d'identité et un passeport dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État (ministère de l'intérieur et des Outre-mer) versera à M. F... et à Mme D... une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F..., à Mme C... G... D... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Yvelines.

Délibéré après l'audience du 29 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2024.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23PA00978


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23PA00978
Date de la décision : 21/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : ROQUES

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-21;23pa00978 ?
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