Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Charabel a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 3 février 2021 par laquelle le directeur général de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge, d'une part, la contribution spéciale prévue à l'article
L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 14 600 euros, et d'autre part, la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine, pour un montant de 4 248 euros et, à titre subsidiaire, de prononcer la réduction du montant des contributions mises à sa charge.
Par un jugement n° 2104257 du 19 septembre 2023, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 2 octobre 2023 et 15 mars 2024, la société Charabel, représentée par Me Guetta, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 2104257 du 19 septembre 2023 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler la décision du 3 février 2021 par laquelle le directeur général de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge, d'une part, la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 14 600 euros, et d'autre part, la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement d'un étranger dans son pays d'origine, pour un montant de 4 248 euros ;
3°) à titre subsidiaire, de prononcer la réduction du montant des contributions mises à sa charge.
Elle soutient que :
- elle a fait l'objet d'un jugement de relaxe du juge pénal ;
- son président avait bien procédé aux vérifications nécessaires en se faisant remettre les cartes d'identité portugaise et italienne des deux salariés et en faisant des photos, et était convaincu qu'ils étaient ressortissants européens et sa bonne foi justifie donc l'exonération des contributions litigeuses ;
- la commission de recours de l'URSSAF l'a déchargée du redressement infligé pour travail dissimulé, en tirant les conséquences du jugement correctionnel de relaxe ;
- la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement ne peut être infligée qu'à l'issue d'une procédure contradictoire ;
- les deux salariés en cause ont établi des témoignages attestant que leurs déclarations dans le procès-verbal d'audition étaient dues à des menaces et à la peur d'être renvoyés dans leur pays ;
- à titre subsidiaire le montant des deux contributions doit être réduit pour prendre en compte la bonne foi des dirigeants de la société et le contexte de crise sanitaire qui impliquait la fermeture des restaurants.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2024, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 500 euros soit mis à la charge de la société Charabel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Charabel ne sont pas fondés.
Par lettre enregistrée le 15 mai 2024 l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a informé la Cour que, pour tirer les conséquences de l'abrogation par la loi n° 2024-642 du 26 janvier 2024 " pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration ", de l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il a annulé la contribution forfaitaire pour frais de réacheminement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2024-642 du 26 janvier 2024 " pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration " ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. A l'occasion d'un contrôle effectué le 19 novembre 2020 dans un restaurant à l'enseigne " Villa Mogador " exploité par la société Charabel, sur le territoire de la commune de Saint-Maur-des-Fossés, les services de police ont constaté la présence de deux ressortissants marocains dépourvus de titres les autorisant à travailler et séjourner en France. Un procès-verbal d'infraction a été établi et transmis à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) en application de l'article L. 8271-17 du code du travail. Par une décision du 3 février 2021, le directeur général de l'OFII a mis à la charge de la société Charabel la contribution spéciale mentionnée à l'article
L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 14 600 euros et la contribution forfaitaire prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 4 248 euros. La société Charabel a saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de cette décision ainsi que de celle du 25 février 2021 par laquelle le directeur général de l'OFII a rejeté son recours gracieux, mais le tribunal a rejeté cette demande par un jugement du 19 septembre 2023 dont la société Charabel relève dès lors appel.
Sur le bien-fondé du jugement :
Sur la contribution spéciale :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ". Aux termes de l'article L. 8252-2 du même code : " Le salarié étranger a droit au titre de la période d'emploi illicite : 1° Au paiement du salaire et des accessoires de celui-ci, (...) A défaut de preuve contraire, les sommes dues au salarié correspondent à une relation de travail présumée d'une durée de trois mois (...) " En application de l'article L. 8253-1 du même code dans sa rédaction alors applicable : " (...) l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale (...) est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux (...) ".
3. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail que la contribution qu'il prévoit a pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d'une part, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité. En outre, lorsqu'un salarié s'est prévalu, lors de son embauche, de la nationalité française ou de sa qualité de ressortissant d'un Etat pour lequel une autorisation de travail n'est pas exigée, l'employeur ne peut être sanctionné s'il s'est assuré que ce salarié disposait d'un document d'identité de nature à en justifier et s'il n'était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d'une usurpation d'identité.
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions citées ci-dessus, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient, également, de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur. Par ailleurs, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs permettant d'établir que le salarié non muni de titre de travail l'autorisant à exercer une activité salariée en France a été embauché, employé, directement ou indirectement par une personne quelconque ou encore, qu'il a été conservé au service direct ou indirect d'une personne.
5. Il résulte de l'instruction que, lors du contrôle effectué le 19 novembre 2020 dans le restaurant à l'enseigne " Villa Mogador " exploité par la société Charabel, sur le territoire de la commune de Saint-Maur-des-Fossés, les services de police ont constaté la présence de deux ressortissants marocains dépourvus de titres les autorisant à travailler et séjourner en France, Ms Igenfer et A.... Dans son procès-verbal d'audition, interrogé sur les documents fournis lors de son embauche, M. B... a déclaré avoir " donné son passeport, (sa) carte belge et (sa) carte italien " et si, dans une attestation ultérieure du 28 novembre suivant, produite par la société requérante, il indique que le gérant " a sincèrement cru que ma nationalité était italienne " et s'il soutient également avoir fait l'objet de pressions de la part des agents quant à ses déclarations sur ses horaires de travail et sur la perception d'un complément de rémunération, ce qui est en tout état de cause sans lien avec la procédure d'infliction d'une contribution spéciale par l'OFII, il ressort également de cette attestation qu'il y confirme avoir produit lors de son embauche " des documents d'identité italienne, puis belge ", ce qui suffisait à mettre l'employeur en mesure de comprendre que ces documents revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité. Enfin, alors que la société requérante soutient dans sa requête que son gérant s'est vu remettre par M. B... le jour de son embauche une carte d'identité italienne, ledit gérant, dans son procès-verbal d'audition, n'en a pas fait mention, se bornant à soutenir qu'il " pensait que M. B... avait une carte d'identité belge et pouvait travailler en France ". M. A... pour sa part a déclaré dans son procès-verbal d'audition avoir fourni au gérant lors de son embauche " une carte AME. Il m'a dit de faire un titre de séjour européen et je lui ai fourni un faux " ; s'il a ensuite, lui aussi, établi une attestation en date du 28 novembre 2020 revenant sur ses déclarations en faisant état de pressions exercées sur lui par les agents de police et en soutenant qu'il aurait, lors de son embauche, présenté une fausse carte d'identité portugaise, cette déclaration et la production au dossier de la carte en cause ne sauraient suffire à établir l'inexactitude des mentions du procès-verbal, qui font foi jusqu'à preuve du contraire. De plus, à supposer même que ce fait puisse être tenu pour établi nonobstant ses déclarations antérieures, il n'en ressort pas, en tout état de cause, que le gérant de la société se serait alors livré au moindre examen de ladite carte pour tenter d'apprécier son authenticité. Ainsi, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la force probante des attestations émises par les deux salariés le 28 novembre 2020 ni sur la gravité des accusations qu'elles comportent quant à d'éventuelles pressions exercées par les forces de l'ordre, il ne ressort pas, en tout état de cause, de l'ensemble du dossier, qui comporte de nombreuses contradictions et imprécisions, que le gérant de la société requérante, à supposer même qu'il se soit vu présenter par les salariés en cause une carte d'identité portugaise pour l'un, et des cartes d'identité italienne et belge pour l'autre, aurait procédé à un examen même sommaire de celles-ci. Dès lors la matérialité des faits reprochés est établie et l'OFII n'a commis ni erreur de droit ni erreur d'appréciation ni illégalité quelle qu'elle soit en appliquant à cette société, s'agissant de ces deux personnes, la contribution spéciale prévue aux dispositions précitées, et la société Charabel n'est dès lors pas fondée à soutenir que, compte tenu des diligences effectuées par son gérant, elle devrait être exonérée de la contribution litigieuse.
6. En deuxième lieu, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative. Il n'en va autrement que lorsque la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale, l'autorité de la chose jugée s'étendant alors exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal.
7. Or les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail, citées au point 2, ne subordonnent pas la mise à la charge de l'employeur de la contribution spéciale qu'elles instaurent à la condition que les faits qui les fondent constituent une infraction pénale. Par suite l'existence d'une décision pénale de relaxe, décidée par le tribunal judiciaire de Créteil le 21 mai 2021, ne faisait pas obstacle au prononcé de la sanction administrative prévues par l'article L. 8253-1 du code du travail.
8. En troisième lieu la circonstance que la commission de recours de l'URSSAF a déchargé la société requérante du redressement infligé pour travail dissimulé est sans incidence sur la légalité de la décision de l'OFII du 3 février 2021 mettant à la charge de cette société la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail.
Sur les conclusions tendant à la réduction du montant de la contribution spéciale :
9. Les dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa version applicable et celles de l'article R. 8253-2, dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du
4 juin 2013, n'autorisent l'administration à minorer le montant de la contribution spéciale que dans le cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 3, l'existence d'un élément intentionnel n'est pas nécessaire à la caractérisation du manquement. Ainsi la société requérante ne peut, en tout état de cause, sous l'empire des dispositions applicables, faire utilement état de sa bonne foi, pas plus que de difficultés, au demeurant non établies, résultant de la crise sanitaire du COVID, pour solliciter la réduction du montant de la contribution en litige.
Sur la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement :
10. Il résulte des pièces du dossier que, pour tirer les conséquences de l'intervention de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 " pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration ", dont l'article 34 abroge les dispositions de l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a, par lettre du 15 mai 2024, notifié au requérant qu'il procédait à l'annulation de la contribution forfaitaire de réacheminement mise à sa charge sur le fondement de ces dispositions. Par suite les conclusions dirigées contre la décision du 3 février 2021 en tant qu'elle le condamnait au versement d'une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger sont désormais dépourvues d'objet. Dès lors il n'y a plus lieu d'y statuer.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Charabel n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'est pas la partie perdante la somme demandée par la société Charabel au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Charabel une somme de 1 500 euros à verser à l'Office français de l'immigration et de l'intégration au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 8 février 2021 en tant qu'elle condamne la société Charabel au versement d'une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Charabel est rejeté.
Article 3 : La société Charabel versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Charabel et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère ;
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.
La rapporteure,
M-I. C...
Le président,
I. LUBENLa greffière,
N. DAHMANILa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23PA04217