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29/07/2024 | FRANCE | N°20PA03847

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 29 juillet 2024, 20PA03847


Vu la procédure suivante :



Par un arrêt avant dire droit n°s 23PA03847, 23PA03848 du 13 avril 2022, la cour a ordonné la réalisation d'un complément d'expertise avant de statuer sur les requêtes présentées par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), et a réservé tous moyens et conclusions des parties sur lesquels elle n'avait pas statué.



Par une ordonnance du 27 avril 2022, M. D... a été désigné en qualité d'expert, et par une ordonnance du 16 juin

2022, M. B... a été désigné en qualité de sapiteur.



Le rapport d'expertise a été...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt avant dire droit n°s 23PA03847, 23PA03848 du 13 avril 2022, la cour a ordonné la réalisation d'un complément d'expertise avant de statuer sur les requêtes présentées par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), et a réservé tous moyens et conclusions des parties sur lesquels elle n'avait pas statué.

Par une ordonnance du 27 avril 2022, M. D... a été désigné en qualité d'expert, et par une ordonnance du 16 juin 2022, M. B... a été désigné en qualité de sapiteur.

Le rapport d'expertise a été déposé le 15 mars 2024.

I) Par deux mémoires enregistrés les 10 avril 2024 et 2 mai 2024, sous le n° 20PA03847, le centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts, représenté par Me Le Prado, conclut à sa mise hors de cause.

Il soutient que :

- l'infection contractée par A... F... trouvant son origine dans une cause étrangère à l'hospitalisation, il doit être mis hors de cause ;

- en tout état de cause, le taux de déficit fonctionnel permanent en résultant étant de 28 %, l'indemnisation incomberait à l'ONIAM au titre de la solidarité nationale ;

- une éventuelle faute liée à une mauvaise tenue du dossier médical serait dépourvue de tout lien avec le dommage.

Par un mémoire enregistré le 19 avril 2024, l'ONIAM, représenté par Me Saumon, demande à la cour :

1°) d'annuler les jugements du tribunal administratif de Paris du 5 avril 2019 et du 9 octobre 2020 ;

2°) de rejeter les demandes de première instance et d'appel de Mmes F... ;

3°) de statuer ce que de droit sur les dépens.

Il soutient que :

- il n'est pas établi que l'infection subie par A... F... aurait été contractée au cours ou au décours d'une prise en charge médicale, notamment au regard des délais d'incubation généralement constatés ;

- la réalité et la date d'une consultation le 23 ou le 24 octobre 2008 ne sont pas établies ; l'infection ne peut donc être imputée aux soins ;

- l'infection résulte de l'état antérieur de Mme F... ;

- la nécrose ayant affecté Mme F... n'ouvre pas droit à réparation au titre de la solidarité nationale.

II) Par deux mémoires enregistrés les 10 avril 2024 et 2 mai 2024, sous le n° 20PA03848, le centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts, représenté par Me Le Prado, conclut à sa mise hors de cause.

Il soutient que :

- - l'infection contractée par A... F... trouvant son origine dans une cause étrangère à l'hospitalisation, il doit être mis hors de cause ;

- en tout état de cause, le taux de déficit fonctionnel permanent en résultant étant de 28 %, l'indemnisation incomberait à l'ONIAM au titre de la solidarité nationale ;

- une éventuelle faute liée à une mauvaise tenue du dossier médical serait dépourvue de tout lien avec le dommage.

Par un mémoire enregistré le 30 avril 2024, l'ONIAM, représenté par Me Saumon, demande à la cour :

1°) d'annuler les jugements du tribunal administratif de Paris du 5 avril 2019 et du 9 octobre 2020 ;

2°) de rejeter les demandes de première instance et d'appel de Mmes F... ;

3°) de statuer ce que de droit sur les dépens.

Il soutient que :

- il n'est pas établi que l'infection subie par A... F... aurait été contractée au cours ou au décours d'une prise en charge médicale, notamment au regard des délais d'incubation généralement constatés ;

- la réalité et la date d'une consultation le 23 ou le 24 octobre 2008 ne sont pas établies ; l'infection ne peut donc être imputée aux soins ;

- l'infection résulte de l'état antérieur de Mme F... ;

- la nécrose ayant affecté Mme F... n'ouvre pas droit à réparation au titre de la solidarité nationale.

La clôture de l'instruction est intervenue le 13 mai 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bouaziz, représentant Mmes F....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... F..., née le 16 juillet 1998, était suivie en Algérie depuis sa naissance en raison d'un glaucome congénital bilatéral, plusieurs fois opéré. En février 2008, les services médicaux algériens ont recommandé une prise en charge spécifique au sein du CHNO des Quinze-Vingts, sa tension oculaire n'étant pas contrôlée par le traitement local suivi depuis plusieurs années. Le 25 février 2008, elle a été opérée à l'œil droit, puis le 26 mai 2008, à l'œil gauche, en vue de la pose d'une " valve d'Ahmed ", système de drainage et de régulation de la pression oculaire. Les suites de la seconde opération ont été marquées par une inflammation et un déplacement de la valve, impliquant une reprise chirurgicale. Mme A... F... a été à nouveau opérée le 7 août 2008, la valve de l'œil gauche étant alors changée. Après une fuite d'humeur aqueuse entraînant un décollement choroïdien, elle a subi une intervention le 15 septembre 2008 pour une réfection conjonctivale de l'œil gauche, réalisée en ambulatoire. Elle a été à nouveau opérée le 27 octobre 2008 pour une ablation de la " valve d'Ahmed ". Un syndrome inflammatoire est survenu sur ce même œil, et, le 29 octobre 2008, un prélèvement a mis en évidence la présence de germes streptococcus pneumoniae. Une endophtalmie infectieuse a entraîné la perte fonctionnelle définitive de l'œil gauche.

2. Le 5 mars 2010, Mme C... F..., mère A..., a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation d'Île-de-France, qui a fait réaliser une expertise. Un rapport a été établi le 13 janvier 2011, et par un avis du 19 juillet 2011, la commission a conclu au rejet de la demande indemnitaire. L'ONIAM demande à la cour d'annuler les jugements du 5 avril 2019 et du 9 octobre 2020 par lesquels le tribunal administratif de Paris a retenu le caractère nosocomial de l'infection, a ordonné une nouvelle expertise et l'a condamné à verser à Mme C... F... la somme de 5 000 euros, et à Mme A... F... la somme totale de 108 409 euros.

3. Par un arrêt avant dire droit du 13 avril 2022, la cour a joint les requêtes enregistrées sous les numéros 23PA03847 et 23PA03848, a ordonné la réalisation d'un complément d'expertise avant de statuer sur ces requêtes, et a réservé tous moyens et conclusions des parties sur lesquels elle n'avait pas statué. Le rapport d'expertise du docteur M. D... a été déposé le 15 mars 2024.

Sur le bien-fondé des jugements attaqués :

4. Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ; (...) ". Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du même code : " (...) Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. ". Enfin, aux termes du II de ce même article : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. ".

5. Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial, au sens de ces dispositions, une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge. Il n'y a pas lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection a le caractère d'un accident médical non fautif ou a un lien avec une pathologie préexistante.

6. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise, que la perte définitive de l'œil gauche de Mme A... F... résulte de l'infection dont elle a été victime par des germes streptococcus pneumoniae, identifiés le 29 octobre 2008, et non de la nécrose présente avant l'opération du 15 septembre 2008. Il résulte par ailleurs du rapport d'expertise du docteur D..., infectiologue, assisté d'un sapiteur ophtalmologue, que l'inflammation n'a pas débuté le 9 octobre 2008, contrairement à ce qui avait été envisagé par l'expert désigné par la commission de conciliation et d'indemnisation d'Île-de-France, alors que la patiente avait subi au CHNO des Quinze-Vingts, le 15 septembre 2008, une intervention chirurgicale en ambulatoire. Il résulte du rapport d'expertise du docteur D... que les premiers signes évocateurs de l'infection ayant conduit au dommage ont été décelés par une infirmière le matin du 27 octobre 2008, alors que l'enfant avait été réhospitalisée en vue de l'ablation de la valve d'Ahmed à l'œil gauche. Cette date d'apparition des symptômes inflammatoires exclut toute possibilité de contamination au cours ou au décours de l'intervention réalisée en ambulatoire le 15 septembre 2008, au regard du délai d'incubation des germes en cause, de quelques heures selon l'expert, et au maximum de quarante-huit heures. L'infection à l'origine de la perte de l'œil gauche de Mme A... F... n'a ainsi pu être contractée que quelques heures avant le 27 octobre 2008, et ne saurait donc résulter de la prise en charge de l'intéressée par le CHNO des Quinze-Vingts le

15 septembre 2008. S'il résulte de l'instruction qu'une nouvelle consultation a peut-être eu lieu le 24 octobre 2008, celle-ci n'est pas mentionnée au dossier médical de la patiente, et il ne saurait donc en être déduit que la patiente aurait alors été prise en charge et qu'elle aurait pu, lors de cette consultation, contracter l'infection.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Paris l'a condamné à verser à Mme A... F... la somme totale de 108 409 euros et à Mme C... F... la somme de 5 000 euros, et que les demandes indemnitaires de Mmes F... présentées devant le tribunal et, par la voie de l'appel incident, devant la cour, doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par la cour, taxés et liquidés à la somme de 3 060 euros par une ordonnance du 26 mars 2024 en ce qui concerne le docteur D..., et à la somme de 1 200 euros par une ordonnance du même jour en ce qui concerne le docteur B..., sapiteur.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'ONIAM, qui n'est pas la partie perdante au cours de la présente instance, le versement d'une somme à Mmes F... au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1802631/6-1 du 5 avril 2019 et l'article 1er du jugement n° 1802631/6-1 du 9 octobre 2020 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les demandes de première instance et les conclusions d'appel de Mmes F... sont rejetées.

Article 3 : Les frais et honoraires d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 3 060 euros par en ce qui concerne le docteur D..., et à la somme de 1 200 euros en ce qui concerne le docteur B..., sapiteur, sont mis à la charge définitive de l'ONIAM.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Les jugements attaqués sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à Mme A... F..., à Mme C... F... et au centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts.

Délibéré après l'audience du 22 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juillet 2024.

La rapporteure,

G. E...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 20PA03847, 20PA03848


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA03847
Date de la décision : 29/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : LE PRADO;LE PRADO;LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-29;20pa03847 ?
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