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07/08/2024 | FRANCE | N°24PA02192

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 8ème chambre, 07 août 2024, 24PA02192


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le syndicat Fédération sud commerces et services a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 31 octobre 2023 du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d'Ile-de-France homologuant le document unilatéral portant sur le projet de licenciement économique collectif fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) de la société New Naf Naf, complété par l'accord collecti

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Par un jugement n° 2315322 du 19 mars 2024, le tri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat Fédération sud commerces et services a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 31 octobre 2023 du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d'Ile-de-France homologuant le document unilatéral portant sur le projet de licenciement économique collectif fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) de la société New Naf Naf, complété par l'accord collectif signé le 23 octobre 2023.

Par un jugement n° 2315322 du 19 mars 2024, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision attaquée.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 14 mai 2024 et 13 juin 2024, la SAS New Naf Naf, prise en la personne de ses administrateurs provisoires, Me Bleriot et Me Deshayes, représentée par Me Kerouaz, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par la Fédération sud commerces et services devant le tribunal administratif de Montreuil ;

3°) de mettre à la charge de la Fédération sud commerces et services la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la détermination des catégories professionnelles concernées par le projet de licenciement collectif par voie d'accord collectif, qui n'est pas moins favorable que par la voie d'un document unilatéral déterminé par l'employeur, n'est prohibée par aucun texte ;

- l'administration a effectué le contrôle restreint auquel elle était tenue de se livrer s'agissant de l'accord collectif ayant déterminé le périmètre d'application des critères et la détermination des catégories professionnelles, les échanges qui se sont tenus entre l'employeur et la DRIEETS n'ayant pas eu pour simple objet de renvoyer à l'accord collectif ;

- les erreurs purement matérielles qui affectent le contenu de la décision attaquée ne sauraient caractériser une insuffisance de sa motivation ;

- les administrateurs ont accompli les diligences nécessaires pour trouver les postes disponibles en reclassement dans les entreprises du groupe ;

- la société a parfaitement identifié le risque pour la santé et la sécurité des travailleurs, arrêté des actions précises et concrètes, au nombre de celles prévues aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail pour y remédier, qui prises dans leur ensemble, sont, au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs ;

- l'absence de mise à jour du document unique d'évaluation des risques professionnels ne pouvait à elle seule suffire à établir que l'information du CSE n'avait pas été suffisante pour qu'il se prononce en connaissance de cause.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juin 2024, et un mémoire en réplique enregistré le 27 juin 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué en application du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, la Fédération sud commerces et services, représentée par la Selarl Dellien associés, agissant par Me Mangou, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 7 200 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- lorsqu'est soumis à son contrôle un document unilatéral complété par un accord collectif de droit commun qui ne porte pas sur le PSE mais seulement sur des éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2 du code du travail, l'administration doit conformément à l'article L. 1233-57-3 de ce code, appliquer la procédure de l'homologation pour le tout et vérifier la conformité du contenu de l'accord aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles et ne saurait ainsi procéder au contrôle restreint prévu à l'article L. 1233-57-2 du même code concernant le contenu de l'accord collectif de droit commun ;

- l'article L. 1233-5 du code du travail, qui rend possible la définition des critères d'ordre et de leur périmètre d'application par un accord collectif de droit commun, ne peut trouver à s'appliquer s'agissant de la définition des catégories professionnelles dans le cadre d'un PSE ;

- seul un accord collectif majoritaire et portant sur le contenu du PSE peut librement définir les critères d'ordre des licenciements ainsi que les catégories professionnelles dans le cadre de la mise en place d'un PSE ;

- aucune des dispositions de l'accord collectif en cause ne portant sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi qui a été déterminé uniquement par la voie du document unilatéral, le régime de l'accord collectif portant PSE ne pouvait trouver à s'appliquer, et l'administration aurait dû vérifier que le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements retenu était conforme aux dispositions légales et conventionnelles applicables et que les catégories professionnelles déterminées regroupaient l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune ;

- aucun des échanges ne retraçant la moindre explication et justification concernant la détermination des catégories professionnelles opérée par l'accord collectif en cause, la DRIEETS n'a fait porter son contrôle ni sur la définition des catégories professionnelles ni sur les critères d'ordre ;

- l'administration a commis des erreurs de fait et de droit dans son contrôle du respect des obligations relatives, d'une part, à l'identification des postes de reclassement interne à la société et, d'autre part, à la recherche des postes de reclassement au sein des sociétés du groupe SY International situées en France ;

- la décision d'homologation est entachée d'une erreur d'appréciation de la régularité de la procédure d'information et consultation du conseil social et économique sur l'identification et l'évaluation des conséquences de la réorganisation de la société New Naf Naf sur la santé ou la sécurité des travailleurs ainsi que sur les actions projetées pour les prévenir en application de l'article L. 4121-1 du code du travail ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit dans la mesure où l'administration a omis de contrôler si les mesures de prévention des risques de la santé et de la sécurité des salariés concernés prises par l'employeur étaient précises et concrètes et, pour le moins, d'une erreur d'appréciation de la suffisance de ces mesures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Menasseyre, présidente rapporteure,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Kerouaz, pour la SAS New Naf Naf et de Me Pouyé pour la Fédération sud commerces et services.

Considérant ce qui suit :

1. Par jugement rendu le 6 septembre 2023, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SAS New Naf Naf. Ses administrateurs judiciaires ont alors envisagé une réorganisation passant par le déménagement des fonctions du siège d'Asnières à Bondy, et la fermeture de magasins induisant la suppression de 28 emplois au siège, de 60 emplois dans les magasins, la proposition de 41 modifications de contrats de travail au siège et de 6 dans les magasins. Le 23 octobre 2023, un accord collectif a été signé par le président de la société, les administrateurs judiciaires et la déléguée syndicale CFDT en vue de déterminer les catégories professionnelles, les critères d'ordre et le cadre géographique restreint d'application des critères dans le cadre de ce plan de restructuration. Par une décision du 31 octobre 2023, le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral portant sur le projet de licenciement collectif fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société New Naf Naf, complété par l'accord collectif signé le 23 octobre 2023. Par un jugement du 19 mars 2024, le tribunal administratif de Montreuil, saisi par le syndicat Fédération Sud Commerces et Services a annulé cette décision. La société New Naf Naf, relève, par la voie de ses administrateurs judiciaires, appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 1233-58 du code du travail : " I.-En cas de redressement (...) judiciaire, l'employeur, l'administrateur (...) qui envisage des licenciements économiques, met en œuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4 (...) / II. Pour un licenciement d'au moins dix salariés dans une entreprise d'au moins cinquante salariés, l'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 est validé et le document mentionné à l'article L. 1233-24-4, élaboré par l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, est homologué dans les conditions fixées aux articles L. 1233-57-1 à L. 1233-57-3, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 1233-57-4 et à l'article L. 1233-57-7. (...) / Par dérogation au 1° de l'article L. 1233-57-3, sans préjudice de la recherche, selon le cas, par l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, des moyens du groupe auquel l'employeur appartient pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi, l'autorité administrative homologue le plan de sauvegarde de l'emploi après s'être assurée du respect par celui-ci des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 au regard des moyens dont dispose l'entreprise. (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-24-4 de ce code : " A défaut d'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1, un document élaboré par l'employeur après la dernière réunion du comité social et économique fixe le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et précise les éléments prévus aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles en vigueur. ". Et aux termes de l'article L. 1233-57-3 du même code : " En l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique, le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : / 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; / 2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; / 3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L. 6321-1. (...) ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail : " La validité d'un accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à sa signature par, d'une part, l'employeur ou son représentant et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants. ".

3. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir est saisi d'une requête dirigée contre une décision d'homologation d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi d'une entreprise, il lui appartient, s'il est saisi de moyens tirés de ce que l'administration aurait inexactement apprécié le respect de conditions auxquelles l'homologation est subordonnée, de se prononcer lui-même sur le bien-fondé de l'appréciation portée par l'autorité administrative sur les points en débat au vu de l'ensemble des pièces versées au dossier. Il lui appartient ainsi de rechercher, au vu non de la seule motivation de la décision administrative mais de l'ensemble des pièces du dossier, si l'autorité administrative a effectivement vérifié le respect des conditions mises en cause et si elle a pu à bon droit considérer qu'elles étaient remplies, sans s'arrêter, sur ce dernier point, sur une erreur susceptible d'affecter, dans le détail de la motivation de la décision administrative, une étape intermédiaire de l'analyse faite par l'administration.

4. Enfin, et ainsi que l'a jugé le tribunal, eu égard à la liberté contractuelle qui découle des sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958, même dans le cas d'un licenciement collectif pour lequel l'employeur est tenu d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi, un accord collectif d'entreprise, signé dans les conditions de droit commun définies par l'article L. 2232-12, qui fixe un périmètre d'application des critères d'ordre à un niveau inférieur à celui de l'entreprise et arrête les catégories professionnelles concernées est applicable à ce licenciement, alors même qu'il ne consiste pas en un accord majoritaire fixant, conformément à l'article L. 1233-24-1 du même code, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi.

5. En présence d'un tel accord, s'il incombe à l'autorité administrative de vérifier la conformité du contenu du document élaboré par l'employeur aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux points mentionnés aux 1°, 3° et 5° de l'article L. 1233-24-2 du code du travail, elle ne saurait exercer un contrôle identique sur les points traités par l'accord. S'agissant de ces derniers, il lui appartient, en pareille hypothèse, de se livrer au contrôle prévu par l'article L. 1233-57-3 du code du travail à l'exception du contrôle portant sur la conformité des points ainsi traités aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives à la pondération et au périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements ou à la détermination des catégories professionnelles concernées, points pour lesquels il lui appartient seulement de vérifier que les stipulations en cause ne sont pas entachées de nullité, en raison notamment de ce qu'elles revêtiraient un caractère discriminatoire.

6. Pour annuler la décision du 31 octobre 2023, le tribunal administratif de Montreuil, après avoir jugé que rien ne faisait obstacle à la conclusion, à l'occasion de l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, d'un accord d'entreprise portant sur la pondération et le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements ainsi que sur les catégories professionnelles concernées, a toutefois considéré que l'administration s'était abstenue, à tort, de vérifier que le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements retenu par l'accord collectif signé le 23 octobre 2023 était conforme aux dispositions légales et conventionnelles applicables et que les catégories professionnelles déterminées regroupaient l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.

7. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et des échanges de courriels entre les administrateurs judiciaires et la DRIEETS produits pour la première fois en appel, faisant apparaître les interrogations de cette dernière sur les méthodes de détermination des catégories professionnelles et la possibilité de les déterminer par voie conventionnelle, que l'autorité administrative, qui a pris soin de préciser dans la décision attaquée que l'accord litigieux avait été signé par une organisation syndicale ayant recueilli plus de 50 % de suffrages exprimés en faveur des organisations reconnues représentatives et constituait ainsi un accord majoritaire, s'est effectivement livrée, s'agissant des points traités par l'accord, au contrôle auquel elle était tenue, tel que précisé au point 5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil s'est fondé, pour annuler la décision attaquée, sur l'absence de contrôle, par l'administration, d'une part, de la conformité aux dispositions légales et conventionnelles applicables du périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements retenu par l'accord collectif signé le 23 octobre 2023 et, d'autre part, du fait que les catégories professionnelles déterminées regroupaient l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.

8. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le syndicat Fédération Sud commerces et services devant le tribunal administratif de Montreuil et devant la cour.

Sur l'appréciation portée par la décision d'homologation litigieuse sur le caractère suffisant du plan de reclassement :

9. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 1233-61, L. 1233-62 et L. 1233-57-3 du code du travail que, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier la conformité de ce document et du plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables, en s'assurant notamment du respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du même code. A ce titre, elle doit, au regard de l'importance du projet de licenciement, apprécier si les mesures contenues dans le plan sont précises et concrètes et si, à raison, pour chacune, de sa contribution aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à ces objectifs compte tenu, d'une part, des efforts de formation et d'adaptation déjà réalisés par l'employeur et, d'autre part, des moyens dont disposent l'entreprise et, le cas échéant, l'unité économique et sociale et le groupe. A cet égard, il revient notamment à l'autorité administrative de s'assurer que le plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité. L'employeur doit, à cette fin, avoir identifié dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise. En outre, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, l'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement, doit avoir procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement sur le territoire national dans les autres entreprises du groupe, quelle que soit la durée des contrats susceptibles d'être proposés pour pourvoir à ces postes. Pour l'ensemble des postes de reclassement ainsi identifiés l'employeur doit avoir indiqué dans le plan leur nombre, leur nature et leur localisation.

10. Il ressort de l'examen du document unilatéral élaboré par l'employeur que ce dernier identifiait onze possibilités internes de reclassement, correspondant à neuf créations de poste et deux postes vacants. Si la décision homologuant ce document relève à tort une absence de possibilité de reclassement interne au sein de l'entreprise, il appartient néanmoins à la cour, ainsi qu'indiqué au point 3 du présent arrêt, de rechercher, au vu non de la seule motivation de la décision administrative mais de l'ensemble des pièces du dossier, si l'autorité administrative a pu à bon droit considérer que le plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi était de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, sans s'arrêter, sur ce dernier point, sur l'erreur affectant ainsi, dans le détail de la motivation de la décision administrative, cette étape intermédiaire de l'analyse faite par l'administration. Il ressort de la lecture du document unilatéral qu'il identifie deux postes de chef de produit Junior, un poste de chargé de maintenance, un poste de responsable des ressources humaines, un poste de responsable des systèmes informatiques, un poste de responsable artistique, un poste de responsable commercial, un poste de responsable production, un poste de comptable général, un poste de chef de projet 360 et un poste de responsable administratif et financier. Si ce document ne fait pas mention de la localisation de ces postes, il résulte suffisamment clairement de ce document unilatéral qu'eu égard à leur nature, ils se situent tous au siège de l'entreprise. Le document précisant par ailleurs la nature et le nombre des postes proposés, l'absence de précision quant à la quotité de travail et la durée de ces emplois ne saurait, dans les circonstances de l'espèce, conduire à conclure à une absence de recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement interne. Si le document unilatéral mentionne également que seront sollicitées les sociétés Flara Influo, Naf Naf Manco et A... dont M. A... est, directement ou indirectement, actionnaire et/ou partenaire, il ressort des pièces du dossier que le dirigeant de la société mère du groupe a été interrogé le 19 octobre 2023 sur les possibilités de reclassement au sein des trois filiales françaises précitées, en joignant la liste des emplois menacés de suppression. L'administrateur judiciaire a également produit un courrier en date du 20 octobre 2019 par lequel ce dernier a confirmé l'absence de possibilité de reclassement. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la Fédération sud commerces et services n'est pas fondée à soutenir que l'administration ne pouvait légalement homologuer le document unilatéral arrêtant ce plan de sauvegarde de l'emploi au motif que les recherches des postes disponibles sur le territoire national pour un reclassement interne ou dans les autres entreprises du groupe n'auraient pas été sérieuses.

Sur le contrôle du respect, par l'employeur, de ses obligations en matière d'évaluation et de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés :

11. Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, dont la rédaction est, pour l'essentiel, issue de celle résultant de la loi du 31 décembre 1991 modifiant le code du travail et le code de la santé publique en vue de favoriser la prévention des risques professionnels et portant transposition de directives européennes relatives à la santé et à la sécurité du travail, en l'espèce, la directive CE n° 89/391 du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ". En vertu de l'article L. 4121-2 du même code, l'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement de principes généraux de prévention, au nombre desquels figurent, entre autres, l'évaluation des risques qui ne peuvent pas être évités, la planification de la prévention en y intégrant, notamment, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales, et la prise de mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle.

12. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi, de vérifier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A ce titre, il lui revient de contrôler tant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée, ce contrôle n'étant pas séparable du contrôle auquel elle est tenue en application de l'article L. 1233-57-3 du même code, dans les conditions exposées au point 3. S'agissant du contrôle du respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, il en découle qu'il incombe à l'administration, dans le cadre de son contrôle global de la régularité de la procédure d'information et de consultation, de vérifier que l'employeur a adressé au CSE, avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité ou à des observations ou des injonctions formulées par l'administration, parmi tous les éléments utiles qu'il doit lui transmettre pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, des éléments relatifs à l'identification et à l'évaluation des conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou la sécurité des travailleurs, ainsi que, en présence de telles conséquences, les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale.

En ce qui concerne les informations transmises au CSE relatives à l'identification et l'évaluation des risques du projet de réorganisation sur la santé ou la sécurité des salariés et aux actions pour les prévenir et les en protéger :

13. Il ressort des pièces du dossier que le CSE a été informé et consulté sur le contenu du plan et ses conséquences sur les conditions de travail par quatre réunions qui se sont tenues les 10, 13, 18 et 23 octobre 2023, réunions dont les procès-verbaux sont versés au dossier. Il ressort de ces comptes-rendus que, hormis une demande portant sur la mise à jour du document unique d'évaluation des risques professionnels, cette instance n'a pas formulé d'observations particulières sur l'insuffisance de son information au sujet des risques que présente le projet de réorganisation pour la sécurité et la santé des salariés. Si le CSE a présenté, lors de la dernière réunion en date du 23 octobre 2023, des observations portant sur l'insuffisance des mesures destinées à prévenir les risques, elles ne portaient pas sur l'absence ou le manque d'information. Dans sa version en date du 13 octobre 2023, puis dans les versions modifiées des 18 et 23 octobre 2023, le document unilatéral identifie les risques psychosociaux que sont susceptibles de générer les perspectives de perte ou de modification des emplois, l'insécurité de l'évolution professionnelle, les incertitudes quant au déroulement de la restructuration et les perturbations dans le travail au quotidien. Il identifie les facteurs de risques professionnels que sont la charge de travail, la perte de confiance, l'appréhension du changement du fait du redéploiement des activités de l'entreprise et explicite ces risques au regard de la nomenclature retenue par l'institut national de recherche et de sécurité ainsi que leur niveau d'intensité et de gravité. Le document expose également les mesures générales de prévention des risques que sont l'information, la sensibilisation, l'écoute, la promotion du télétravail. Il insiste sur la nécessité de coopérer avec les acteurs de la prévention que sont notamment la médecine du travail et l'assistante sociale et explicite les modalités selon lesquelles l'information sera assurée aux salariés tout au long de l'établissement du projet. S'agissant du projet de déménagement des locaux situés à Asnières-sur-Seine vers Bondy, le document explicite le descriptif et le déroulé du projet, ainsi que les modalités juridiques du changement du lieu de travail, à l'occasion desquelles l'employeur envisage la possible opposition des salariés au changement d'affectation géographique dans le contexte déjà difficile et anxiogène de la réorganisation. Au regard de ce risque, il précise que, afin de privilégier l'adhésion volontaire et éclairée des salariés, l'employeur se placera sur le terrain de la modification du contrat de travail pour motif économique alors même qu'il lui aurait été juridiquement possible d'imposer le changement dans le cadre de l'exécution des contrats de travail. Ces informations, relatives à l'identification et à l'évaluation des risques de la réorganisation sur la santé et la sécurité des travailleurs, aux mesures destinées à prévenir ces risques et à l'identification de ceux spécifiquement liés au déménagement, étaient suffisantes pour mettre le CSE à même de donner son avis en toute connaissance de cause, en dépit de l'absence de mise à jour du document unique d'évaluation des risques professionnels.

En ce qui concerne le contrôle des mesures de prévention :

14. En premier lieu, il résulte des termes même de la décision contestée que son auteur s'est attaché à vérifier que l'employeur s'était acquitté du respect de ses obligations en matière de prévention des risques tant dans le cadre de la procédure d'information et de consultation qu'au stade du contrôle du contenu du document qui lui était soumis.

15. En deuxième lieu, le document unilatéral prévoit la sensibilisation du service des ressources humaines en vue de remonter les informations sur les situations individuelles signalées, la sensibilisation des salariés et plus particulièrement des encadrants aux signes révélateurs de l'état de stress, la diffusion d'une information transparente sur le contexte du redressement judiciaire et ses impacts, la promotion du télétravail à 100 % pour les salariés en souffrance sur le lieu de travail, l'ouverture d'une ligne d'écoute qui pourra être complétée par des réunions en présentiel, la formation d'équipes de suivi des problèmes de détresse. Pour la mise en œuvre de ces mesures, le document unilatéral précise que les délégués syndicaux et les représentants du personnel bénéficieront de deux déplacements par mois sur le site de leur choix durant tout le processus d'information consultation. Il détaille également les modalités de la communication avec les salariés et les représentants du personnel ainsi que des remontées d'information par l'intermédiaire des managers. Il prévoit la mise en place d'une commission de suivi du PSE qui intègrera le suivi des impacts du projet sur la santé et les conditions de travail. Le document insiste sur la coopération avec les acteurs de prévention que sont notamment le médecin du travail et l'assistante sociale et explicite les structures d'intervention de la médecine du travail sur les différents sites. Enfin, en ce qui concerne spécifiquement le déménagement, outre la promotion du télétravail déjà mentionnée, il précise que l'employeur proposera aux salariés, bien qu'il ne s'y estime pas juridiquement tenu, une modification du contrat de travail pour motif économique, afin de privilégier leur adhésion volontaire et éclairée. Il résulte de ces éléments que si le document unilatéral a prévu des mesures types en considération de risques inhérents à tout licenciement collectif, il a également envisagé des mesures particulières, tels que le télétravail et la modification des contrats pour motif économique, pour répondre aux risques spécifiquement liés au déménagement. Dans ces conditions, la Fédération sud commerces et services n'est pas fondée à soutenir que l'administration ne pouvait légalement homologuer le document unilatéral arrêtant ce plan de sauvegarde de l'emploi en raison de l'insuffisance des mesures destinées à prévenir les risques pour la sécurité et la santé des travailleurs.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la Société New Naf Naf prise en la personne de ses administrateurs est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision du 31 octobre 2023 du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France homologuant le document unilatéral complété par l'accord collectif signé le 23 octobre 2023, fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société New Naf Naf.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société New Naf Naf prise en la personne de ses administrateurs qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la Fédération sud commerces et services demande au titre des frais de l'instance. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Fédération sud commerces et services le versement de la somme que demande l'appelante sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2315322 du 19 mars 2024 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la Fédération sud commerces et services devant le tribunal administratif de Montreuil ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la SAS New Naf Naf prise en la personne de ses administrateurs judiciaires présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS New Naf Naf, à Me Philippe Blériot, à Me Nicolas Deshayes, à la Fédération sud commerces et services, à la ministre du travail de la santé et des solidarités, à la SELARL ASTEREN en la personne de Me Axel Chuine et à la SELAS MJS PARTNERS en la personne de Me Nicolas Soinne, liquidateurs de la SAS New Naf Naf.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- Mme Jayer, première conseillère,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 août 2024.

La présidente-rapporteure,

A. MenasseyreL'assesseure la plus ancienne,

M.-B...

Le greffier,

P. Tisserand

La République mande et ordonne à la ministre du travail de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA02192


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA02192
Date de la décision : 07/08/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Anne MENASSEYRE
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL DELLIEN ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-08-07;24pa02192 ?
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