Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/21-0330 du 15 mars 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de
10 000 euros et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.
Par un jugement n° 2211019 du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 juillet 2023, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision R/21-0330 du 15 mars 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 10 000 euros et de la décharger de l'obligation de payer cette somme ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure est irrégulière en ce que le procès-verbal a été rédigé le surlendemain du débarquement de la passagère en cause par un agent n'ayant pas personnellement constaté les faits ;
- dès lors que ses agents ne sont pas habilités à procéder à des contrôles d'identité, les éléments retenus pour justifier le caractère manifeste de l'usurpation ne doivent prendre en compte que les éléments du visage visibles lorsque le passager en cause est masqué.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 février 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 15 mars 2022, le ministre de l'intérieur a infligé à la société
Air France une amende de 10 000 euros pour avoir, le 28 août 2021, débarqué sur le territoire français une passagère de nationalité indéterminée en provenance de Pointe-Noire, démunie de document de voyage et en possession d'un passeport français usurpé. La société Air France relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Aux termes de l'article L. 821-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est passible d'une amende administrative de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien, maritime ou routier qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un État qui n'est pas partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 821-8 du même code : " L'amende prévue à l'article L. 821-6 (...) n'est pas infligée : (...) / 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste. / Elle ne peut être infligée pour des faits remontant à plus d'un an ".
3. Ces dispositions font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police en lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L. 6421-2 du code des transports, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende à une entreprise de transport aérien sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 821-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le manquement aux obligations de l'entreprise de transport est constaté par un procès-verbal établi par un agent relevant d'une catégorie fixée par décret en Conseil d'Etat. / L'entreprise de transport se voit remettre copie du procès-verbal et a accès au dossier. Elle est mise à même de présenter, dans un délai d'un mois, ses observations écrites sur le projet de sanction de l'autorité administrative ". Aux termes de l'article R. 821-4 du même code : " Le procès-verbal constatant le manquement de l'entreprise de transport, mentionné à l'article L. 821-12, comporte : / 1° Le nom de l'entreprise de transport ; / 2° Les références du vol ou du voyage concerné ; / 3° En cas de débarquement d'un étranger dépourvu des documents requis : l'identité du passager au titre duquel la responsabilité de l'entreprise de transport est susceptible d'être engagée, en précisant le motif du refus d'entrée ; / 4° En cas de défaut de réacheminement ou de prise en charge d'un étranger : l'identité du passager. / Il comporte également, le cas échéant, les observations de l'entreprise de transport ".
6. La seule circonstance que le procès-verbal du 30 août 2021 a été rédigé le surlendemain des faits constatés n'est en tout état de cause pas de nature à révéler qu'il n'aurait pas été rédigé par la personne ayant constaté le manquement pour lequel la société Air France a été sanctionnée et à l'entacher d'irrégularité.
7. En second lieu, l'obligation faite aux transporteurs aériens de s'assurer que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides, ne constitue pas un contrôle d'identité au sens de l'article 78-2 du code de procédure pénale. Dans ces conditions, un agent de l'entreprise de transport est habilité à solliciter le retrait du masque d'un ressortissant d'un Etat non membre de l'Union européenne dès lors que l'intéressé est tenu de justifier de son identité et que cette vérification n'entend pas conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique, mais a seulement pour objet l'examen de la régularité des documents requis. Par suite, la société Air France n'est pas fondée à soutenir que le caractère manifeste de l'usurpation d'identité par la passagère en cause, qui portait un masque, devait s'apprécier au regard des seules parties visibles de son visage.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Air France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Air France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 4 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bruston, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
E. FERNANDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03142