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07/11/2024 | FRANCE | N°22PA02711

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 07 novembre 2024, 22PA02711


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 17 mai 2021 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion du territoire français et l'arrêté du même jour du ministre fixant le Maroc comme pays de destination.



Par un jugement n° 2112880 du 11 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregist

rée le 13 juin 2022, M. B..., représenté par Me Bescou, demande à la Cour :



1°) d'annuler ce jugement ;



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 17 mai 2021 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion du territoire français et l'arrêté du même jour du ministre fixant le Maroc comme pays de destination.

Par un jugement n° 2112880 du 11 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 13 juin 2022, M. B..., représenté par Me Bescou, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ces deux arrêtés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision d'expulsion est entachée d'un vice de procédure et d'un détournement de procédure dès lors que la commission d'expulsion n'a pas été préalablement saisie, conformément aux dispositions de l'article L. 632-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreurs de fait ;

- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale à raison de l'illégalité de la décision d'expulsion ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant marocain, né le 21 septembre 1989 et entré en France le 30 septembre 1993 dans le cadre d'une procédure de regroupement familial, fait appel du jugement du 11 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 mai 2021 du ministre de l'intérieur prononçant son expulsion du territoire français et de l'arrêté ministériel du même jour fixant le Maroc comme pays de destination.

Sur la légalité de la décision d'expulsion :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3 ". Aux termes de l'article L. 631-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : / 1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; / 2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans (...) ".

3. Par l'arrêté contesté du 17 mai 2021, le ministre de l'intérieur a prononcé, en application des dispositions de l'article L. 631-3 précité, l'expulsion du territoire français de M. B... en estimant que son comportement, eu égard, notamment, à sa radicalisation croissante, sa participation à la diffusion de la propagande djihadiste sur les réseaux sociaux, ses liens avec des individus appartenant à la mouvance islamiste radicale, son adhésion à l'idéologie djihadiste prônée par Daech et sa haine manifestée à l'égard des " mécréants ", laissant craindre un passage à l'acte violent, devait être regardé comme étant lié à des activités à caractère terroriste. Pour porter cette appréciation, l'autorité ministérielle s'est, notamment, fondée sur une note des services de renseignement, qui a été versée au débat contradictoire.

4. Cette note indique d'abord, sans être contestée sur ce point, que, le 5 novembre 2014, M. B..., employé comme responsable de sécurité au sein d'un centre commercial, après avoir reproché à un collègue d'avoir demandé à une femme d'ôter son voile ou niqab pour entrer dans le magasin, lui a déclaré : " arrêtez d'avoir une sale image des salafistes, je suis salafiste, je suis pour la charia et pour l'Etat islamique " et " tu connais ce que tu veux connaître du Coran, dans le verset 25, on doit tuer tous les chrétiens et les traîtres musulmans ". Son interlocuteur ayant évoqué la vision modérée de l'islam diffusée par certains imams, l'intéressé lui a répondu : " ça c'est des traîtres, moi je vais te présenter un imam (...), tu vas voir ce que c'est un vrai imam ". Suite à cette altercation, M. B... a été licencié. La note mentionne ensuite que, le 23 juillet 2015, lors d'un entretien administratif avec un service de police, l'intéressé, qui s'est décrit comme très croyant et pratiquant, a indiqué qu'il fréquentait occasionnellement une mosquée située à Décines-Charpieu (Rhône), alors proche du courant des frères musulmans, a déclaré qu'il n'adhérait pas à la mouvance salafiste, mais qu'il se reconnaissait à travers le salafisme en ces termes : " le salafisme est la voie véritable de l'islam puisque les compagnons, ces prédécesseurs, sont la base de cette religion, si on ne suit pas eux, on ne suit pas l'islam " et a précisé qu'il participait aux conférences organisées par cette mosquée, délivrées par des " savants " provenant d'Arabie Saoudite et par M. A... D.... S'agissant de ces différents éléments, en se bornant à indiquer que le procès-verbal de cette audition n'a pas été produit, qu'il ne s'est rendu que " très rarement " dans cette mosquée et qu'il n'a participé qu'à une seule conférence au cours de laquelle est intervenu M. C... F..., prédicateur qualifié, selon lui, de " star du web ", le requérant ne les conteste pas sérieusement. La note fait état également de ce que, pendant l'année 2017, M. B..., en revêtant une tenue militaire, a exprimé ostensiblement son hostilité à tous les individus de type européen qu'il croisait en les qualifiant de " mécréants ". Sur ce point, en se bornant à faire valoir que, travaillant comme agent de sécurité, il était soumis à un " contrôle de moralité ", qu'il entretenait une relation avec une ressortissante française " parfaitement européenne " et qu'aucune plainte n'a été déposée à son encontre pour menaces ou violences, l'intéressé ne conteste pas davantage sérieusement un tel comportement, alors qu'il a été licencié fin 2014 ou début 2015 et ne fournit aucun élément de justification sur une telle activité professionnelle d'agent de sécurité en 2017 et que l'attestation de son ex-compagne, versée au dossier, admet, en particulier, " l'idéologie islamiste " de l'intéressé au moins à cette époque. La note indique, en outre, qu'en 2017 et au cours de l'année 2019, M. B... a consulté des sites internet relayant la propagande djihadiste, que, titulaire d'un compte Facebook, il a entretenu, sous un pseudonyme, des liens avec des individus djihadistes présents sur la zone-irakienne ou de retour sur le territoire français et que, parmi ses contacts, sont apparus plusieurs individus connus pour leur adhésion à l'islam radical, dont l'un a été condamné le 12 février 2019 par le tribunal correctionnel de Paris à sept ans d'emprisonnement pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Sur ces différents points, le requérant se borne à faire valoir, sans convaincre, que " les relations sur Facebook sont dématérialisées sans que l'identité des personnes qui échangent ne soit connue " ou que " les personnes rencontrées via ce compte Facebook ne se sont nullement présentées sous le jour présenté par le ministre " et qu'il " en a été victime ".

5. La note mentionne également que l'intéressé a, sur son compte Facebook, publié une photographie comportant la formule : " Return of the Khilafah " (" Retour du Califat "), y a diffusé le " takbîr " (" Allahu akbar ") et y a posté une photographie comportant la " chahada " (profession de foi musulmane) en lettres blanches sur fond noir, présentation correspondant à celle utilisée par les fractions djihadistes et rappelant la bannière de l'organisation terroriste Daech, et qu'il s'est abonné, sur son compte, à des pages dédiées à la diffusion de l'islam rigoriste. S'agissant de ces éléments, le requérant, qui se borne à contester, en des termes très généraux, ces abonnements, fait valoir, sans davantage convaincre, que la formule " Retour du Califat " n'a été qu'une simple référence, qui " n'était pas violente mais au contraire apaisée ", au califat originel, tel que dépeint par des historiens musulmans entre le VIIIème et le Xème siècle, et que la présentation de la profession de foi musulmane en lettres blanches sur fond noir relève de la liberté de religion ou d'expression, à l'instar du slogan " Je suis Charlie ". La note fait état par ailleurs, sans être contredite sur ce point, que, le 5 avril 2019, M. B..., en commentant la photographie d'un militaire français mort au Mali quelques jours auparavant, s'est réjoui de cette mort en ces termes : " bien fait pour sa gueule... qu'Allah les tue tous ". Il ressort également de cette note et il n'est pas sérieusement contesté que, durant l'année 2019, M. B... a tenu des discours prosélytes et utilisé la rhétorique djihadiste à l'égard d'un individu rencontré à la mosquée Kaplan de Villefranche-sur-Saône (Rhône) en l'encourageant notamment à s'éloigner des " kouffars ", ce dernier prenant rapidement ses distances avec l'intéressé. De plus, la note indique que M. B... a renoncé progressivement à ses loisirs et a évité toute mixité dans ses activités, qu'il a imposé également à sa compagne un certain mode de vie, en lui imposant l'écoute de versets coraniques et des restrictions alimentaires et en lui interdisant d'exercer une activité professionnelle et que, travaillant de nuit, l'intéressé n'a pas négligé pour autant la pratique de sa foi qu'il a exercée sur son lieu de travail. Si le requérant conteste certains de ces éléments, il se borne à indiquer, notamment, qu'il pratiquait une activité sportive, sans la préciser, ainsi que la " photographie de rue ", les quelques photographies produites, au demeurant non datées, ne permettant pas d'attester d'une telle activité en 2019, et à se référer à une attestation de son ex-compagne, qui reconnaît d'ailleurs s'être convertie et avoir porté, un temps, le voile, mais ne conteste aucun des éléments précis susmentionnés, ainsi qu'à des attestations de son père, de ses frères ou de proches, qui ne permettent pas davantage, compte tenu des termes dans lesquelles elles sont rédigées, de remettre en cause la matérialité de ces faits.

6. Il ressort également de cette note que M. B... a, en particulier, exhorté ses proches à faire des dons au profit d'associations islamiques fournissant une aide humanitaire aux populations musulmanes dans le monde, telle que l'association " BarakaCity ", connue pour sa proximité avec les milieux salafistes et qui a été dissoute par décret du 28 octobre 2020 pour avoir propagé des idées prônant l'islamisme radical et diffusé et invité à la diffusion d'idées haineuses, discriminatoires et violentes par l'intermédiaire de ses comptes Facebook et Twitter et du compte personnel Twitter de son président. A cet égard, l'intéressé ne conteste pas sérieusement ces faits, tandis que l'attestation de son ex-compagne mentionne le versement de dons à cette association. Par ailleurs, la note précise, sans être nullement contestée sur ce point, que M. B... a, au cours du mois de juin 2019, partagé sur un compte Facebook un enregistrement vidéo de Turki al-Binali, membre important de l'organisation terroriste Daech décédé en 2017, défendant la propagande djihadiste de cette organisation terroriste. La note fait état, de plus, d'un changement de comportement à cette même période de M. B... qui, en abandonnant la danse, en manifestant son engouement pour la propagande djihadiste et en nourrissant, un temps, des velléités de se rendre en Syrie, s'est rapproché de membres du courant islamiste turc Kaplan évoluant dans le secteur de Villefranche-sur-Saône, mouvement pro-djihadiste associant un rigorisme religieux marqué et un projet politique islamiste, aspirant au rétablissement du Califat et à l'instauration de la charia, a fréquenté la salle de prière Kaplan de cette ville, gérée par l'association du centre culturel islamique turc, et a entretenu des liens étroits avec son vice-président, qui a exercé un fort ascendant sur l'intéressé qui l'a considéré comme son mentor. Sur ce point, en se bornant à indiquer que ce vice-président " n'a jamais été un mentor " et qu'il " s'en est toujours détaché ", le requérant ne conteste pas sérieusement ces différents éléments, ni, en particulier, avoir fréquenté ce lieu de culte et ce courant islamiste. Enfin, il ressort de cette note que la visite domiciliaire effectuée le 18 février 2021 chez M. B... a permis, après saisie du smartphone et d'une tablette lui appartenant et analyse des données informatiques contenues dans ces appareils, la découverte d'un historique de recherches internet faisant état de nombreuses consultations relatives à l'organisation terroriste Daech et au djihad ainsi que de nombreux fichiers audio de chants polyphoniques propres à la propagande djihadiste (" anasheed "), issus de la principale société de production de Daech et ayant vocation à glorifier la violence et la mort en " martyr ", et plusieurs chants à la gloire de Daech. Cette visite domiciliaire a permis également la découverte de plusieurs ouvrages religieux radicaux, dont les argumentaires sont régulièrement repris dans la propagande djihadiste.

7. Par ailleurs, si M. B... conteste, en des termes très généraux, une partie du contenu de la note des services de renseignement, en niant ou en minimisant certains de ses éléments et en se prévalant, notamment, de sa relation depuis 2017 avec une ressortissante française, d'une activité professionnelle depuis plusieurs années impliquant un " contrôle de moralité " et, en particulier, de son dernier emploi, depuis le mois de décembre 2020, comme " agent d'accueil " auprès du foyer Notre-Dame des sans-abri à Lyon, de ses activités de loisirs, telle que la " photographie de rue ", du fait qu'aucun des membres de sa famille ne s'est signalé défavorablement pour une quelconque radicalisation ainsi que d'attestations de membres de sa famille ou de proches, ces seules circonstances ne sauraient suffire à remettre en cause la matérialité des différents éléments, précis et circonstanciés, figurant dans cette note et sur lesquels le ministre de l'intérieur s'est fondé, le 17 mai 2021, pour prononcer son expulsion du territoire français. En particulier, la circonstance qu'il a occupé différents emplois, après son licenciement fin 2014 ou début 2015 pour les faits rappelés au point 4, ne saurait remettre en cause les éléments attestant de son adhésion à l'idéologie pro-djihadiste, d'une radicalisation croissante, de ses consultations ou diffusions sur internet ou les réseaux sociaux de la propagande djihadiste ou encore de ses liens avec des individus appartenant à la mouvance islamiste radicale. De même, les attestations produites, compte tenu des termes dans lesquelles elles sont rédigées et dont certaines, au demeurant, font état des recherches effectuées sur internet par M. B... sur la mouvance islamiste radicale ou sur Daech, voire de son idéologie islamiste ou de sa radicalisation, ne permettent pas davantage de démentir les éléments précis et circonstanciés ayant justifié la mesure d'expulsion en litige. A cet égard, l'attestation de son ex-compagne traduit, en particulier, l'inquiétude certaine de celle-ci quant aux consultations de l'intéressé de sites de propagande djihadiste et à ses interactions sur son compte Facebook, son ex-compagne indiquant l'avoir questionné à plusieurs reprises, l'avoir surveillé et lui avoir demandé d'arrêter son activité sur internet par " peur qu'un recruteur le prenne en proie ", selon ses propres dires. De même, ainsi qu'il a été dit au point 5, les quelques photographies produites, au demeurant non datées, ne permettant pas d'attester, pour les années 2019 à 2021, d'une activité de " photographie de rue ". En outre, la circonstance que M. B... n'a jamais été poursuivi, ni condamné pour des activités ou actes de terrorisme est, contrairement à ce que soutient le requérant, sans incidence sur l'exercice, par l'autorité administrative compétente, de son pouvoir d'apprécier si sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public. Enfin, si M. B... fait valoir que les enquêteurs, à la suite de la visite domiciliaire du 18 février 2021, " n'auraient pas pris le soin de relever ses recherches faites sur les autres courants de la religion musulmane, ni même les ouvrages et documents liés à la pratique d'un islam apaisé ", il ne fournit à cet égard aucune précision concrète et crédible, ni aucun élément sur ces prétendues recherches ou sur ces ouvrages. De surcroît, les résultats de cette visite domiciliaire, alors que M. B... n'ignorait pas qu'il était " fiché S " et surveillé par les services de renseignements depuis au moins l'année 2015, confirment la persistance de son profil radicalisé, sans que le requérant n'apporte aucun commencement d'explication, ni aucun élément probant quant à une quelconque distanciation avec la mouvance islamiste radicale ou l'idéologie djihadiste.

8. Il suit de là, alors même, ainsi que le fait valoir le requérant, qu'il n'était pas engagé dans la conception effective d'un acte ou opération à caractère terroriste, que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de l'évolution de son comportement entre 2014 et 2021, de son attrait persistant pour l'idéologie et la propagande pro-djihadiste, de ses liens avec des individus appartenant à la mouvance islamiste radicale, en particulier sur les réseaux sociaux ou avec le courant islamiste turc Kaplan, de sa persistance à diffuser ou à consulter, sur internet et les réseaux sociaux, des contenus relevant de la propagande djihadiste, confirmée lors de la visite domiciliaire du 18 février 2021, ainsi que de ses propos violents et menaçants, empreints de la rhétorique islamiste, laissant craindre légitimement à un passage à l'acte violent, le ministre de l'intérieur, en estimant, par son arrêté du 17 mai 2021, que son comportement était lié à des activités à caractère terroriste et, en conséquence, en prononçant son expulsion du territoire français, n'a commis aucune erreur de droit ou de fait, ni aucune erreur d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 632-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'expulsion ne peut être édictée que dans les conditions suivantes : / 1° L'étranger est préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ; / 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative et qui est composée : / a) du président du tribunal judiciaire du chef-lieu du département, ou d'un juge délégué par lui, président ; / b) d'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal judiciaire du chef-lieu du département ; / c) d'un conseiller de tribunal administratif. / Le présent article ne s'applique pas en cas d'urgence absolue ".

10. Si M. B... fait valoir que la décision d'expulsion du 17 mai 2021 en urgence absolue n'a été prise que trois mois après la visite domiciliaire du 18 février 2021, le ministre de l'intérieur fait valoir, sans être d'ailleurs contesté sur ce point, que la saisie du smartphone et d'une tablette appartenant à l'intéressé lors de cette visite par les services compétents a nécessité un temps de travail d'exploitation et d'analyse des données recueillis sur ces appareils, ce travail ayant révélé, en particulier, de nombreuses recherches effectuées à partir de mots-clés relevant d'un champ lexical abondant autour du thème de Daech et du djihad. En outre, la circonstance que la décision d'expulsion a été notifiée à l'intéressé quinze jours après son prononcé n'a pas d'incidence sur le caractère d'urgence absolue de cette mesure d'expulsion. Enfin, compte tenu, d'une part, du contexte de menace terroriste particulièrement élevée prévalant à la date de la décision contestée, caractérisé, en particulier, par les attentats terroristes perpétrés à proximité des anciens locaux de Charlie Hebdo à Paris le 25 septembre 2020, à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020, à Nice le 29 octobre 2020 et le 23 avril 2021 à Rambouillet et, d'autre part, des motifs énoncés aux points 3 à 8, notamment du profil radicalisé de M. B..., manifesté notamment par son activité persistante sur internet et les réseaux sociaux révélant son adhésion à l'idéologie pro-djihadiste, ses liens avec certains individus radicalisés, la réitération de propos violents et menaçants ainsi que, en dernier lieu, les résultats de la visite domiciliaire du 18 février 2021 confirmant cette adhésion, laissant craindre légitimement un passage à l'acte violent à tout moment, le ministre de l'intérieur n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant qu'il y avait urgence absolue à l'expulser. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été irrégulièrement privé des garanties de procédure prévues à l'article L. 632-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni que la décision en litige serait entachée d'un détournement de procédure.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

12. M. B... se prévaut de sa présence en France depuis l'âge de quatre ans ainsi que celle de ses parents, titulaires de carte de résident, de ses trois frères, de nationalité française, et fait valoir, notamment, qu'il a entretenu " au long court " une relation avec une ressortissante française dont il a eu deux enfants, nés respectivement le 21 juillet 2018 et le 8 septembre 2021. Toutefois, en l'espèce, le droit à mener une vie familiale normale se trouve déjà garantie par la protection particulière dont M. B... bénéficie au titre des dispositions précitées de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en tant qu'étranger résidant habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans et en tant qu'étranger résidant régulièrement sur le territoire depuis plus de vingt ans, qui n'autorisent son expulsion qu'en raison de son comportement dont la particulière gravité justifie, ainsi qu'il a été dit aux points 3 à 8, son éloignement durable du territoire français alors même que ses attaches y sont fortes. En tout état de cause, l'intéressé, âgé de trente-et-un ans à la date de la décision attaquée et qui a travaillé en dernier lieu, en intérim ou sous contrat à durée déterminée et par intermittences, comme " éducateur spécialisé " ou " agent d'accueil " entre 2018 et 2021, ne justifie pas d'une insertion professionnelle stable et ancienne sur le territoire. En outre, l'intéressé n'établit, ni n'allègue d'ailleurs, avoir partagé une vie commune avec son ex-compagne, de nationalité française, dont il n'a reconnu l'enfant né le 21 juillet 2018 que le 6 juillet 2021, soit postérieurement à la date de la décision attaquée. A cet égard, l'attestation du père du requérant, qui mentionne un projet de déménagement de son fils au mois de septembre 2021 pour entamer une vie commune avec son ex-compagne, confirme cette absence de vie commune avant l'intervention de cette décision. De même, en se bornant à produire des photographies de ses deux enfants ainsi qu'une preuve de remise de chèque du 16 mars 2022 d'un montant de 150 euros, qui ne comporte, au demeurant, aucune précision quant à son émetteur ou son destinataire, M. B... ne justifie pas avoir contribué, avant la décision en litige, à l'entretien et à l'éducation de son fils né en 2018. Au surplus, il ne justifie pas davantage d'une telle contribution effective, après l'intervention de cette décision, aux besoins de ses deux enfants. Enfin, il n'établit, ni n'allègue aucune circonstance particulière de nature à faire obstacle à ce qu'il poursuive normalement sa vie privée et familiale au Maroc où résident plusieurs de ses oncles, tantes et cousins et où il s'est rendu tous les étés jusqu'en 2015, ainsi qu'il l'a déclaré lors de son audition par les services de police le 2 juin 2021. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la gravité du comportement qui est reproché à l'intéressé, la décision prononçant son expulsion du territoire français ne peut être regardée comme ayant porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excédant ce qui était nécessaire à la défense de l'ordre public. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.

13. En dernier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

14. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12, la situation familiale de M. B..., qui ne justifie pas d'une vie commune passée avec son ex-compagne, de nationalité française, dont il a eu deux enfants nés en 2018 et 2021 et dont il est d'ailleurs aujourd'hui séparé, ni avoir contribué effectivement à l'éducation et à l'entretien de ses deux enfants, ni avoir conservé des liens effectifs avec eux, n'est pas de nature à faire obstacle à son expulsion du territoire français en application des dispositions de l'article L. 521-3 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

15. D'une part, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision d'expulsion en litige, ne peut qu'être écarté.

16. D'autre part, si M. B... reprend son moyen de première instance tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ne développe au soutien de ce moyen aucun argument de droit ou de fait pertinent, ni ne produit aucune pièce nouvelle de nature à remettre en cause l'analyse et la motivation retenues par le tribunal administratif. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 15 à 17 de leur jugement.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 29 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- M. Pagès, premier conseiller,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseur le plus ancien,

D. PAGESLa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA02711


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02711
Date de la décision : 07/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARL BS2A BESCOU ET SABATIER AVOCATS ASOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-07;22pa02711 ?
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