Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2022 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois.
Par un jugement n° 2216599 du 30 novembre 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 19 juillet 2022 du préfet de police, lui a enjoint de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement et de prendre, dans le délai de deux mois, toute mesure propre à mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2022, le préfet de police demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a annulé l'arrêté en litige au motif d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu de la nature et de la particulière gravité des faits commis par M. A... en 2002 et 2003 et en 2010 et 2011, qui lui ont valu deux condamnations en 2004 et 2013, dont l'une à quatre ans d'emprisonnement, des conditions du séjour en France de l'intéressé, qui s'y est maintenu de façon irrégulière depuis le mois de juillet 2009 et qui a été incarcéré entre les mois de décembre 2011 et octobre 2016, de l'absence d'une insertion professionnelle significative sur le territoire ainsi que de toute circonstance faisant obstacle à ce qu'il reconstitue, le cas échéant, sa cellule familiale avec son épouse en Inde où le couple y a manifestement conservé des attaches fortes ;
- la décision portant refus de titre de séjour a été signée par une autorité compétente ;
- elle est suffisamment motivée ;
- elle est exempte de vice de procédure, le préfet n'étant pas tenu de saisir pour avis les services de la main d'œuvre étrangère ;
- elle est exempte d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tandis que M. A... ne peut utilement se prévaloir des dispositions de la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur ;
- les conditions de notification de cette décision sont sans incidence sur sa légalité ;
- les moyens tirés de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination à raison de la prétendue illégalité de la décision portant refus de titre de séjour, ne peuvent qu'être écartés ;
- la décision portant refus de délai de départ volontaire est suffisamment motivée ;
- cette décision est exempte d'erreur de fait, d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est exempte d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé ;
- le moyen tiré de l'illégalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois à raison de la prétendue illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, ne peut qu'être écarté ;
- cette décision portant interdiction de retour est suffisamment motivée ;
- cette décision est exempte d'erreur d'appréciation ;
- le moyen tiré de l'illégalité du signalement de l'intéressé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen à raison de la prétendue illégalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, ne peut qu'être écarté.
Par un mémoire en défense et des pièces, enregistrés le 17 mars 2023, le 20 mars 2024 et le 10 octobre 2024, M. A..., représenté par Me Roufiat, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- c'est à bon droit que le tribunal administratif a annulé l'arrêté en litige au motif d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard à l'ancienneté de son séjour en France, à sa situation personnelle et familiale sur le territoire, à l'absence d'attache dans son pays d'origine et à l'ancienneté des faits et des condamnations qui lui sont reprochés ;
- la décision portant refus de séjour a été signée par une autorité incompétente ;
- elle est illégale dès lors que la mention des voies et délais de recours revêt un caractère incomplet ;
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est illégale à raison de l'attitude déloyale des services de la préfecture à son encontre ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination sont illégales à raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- la décision portant refus de délai de départ volontaire est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ;
- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet n'a pas exercé son pouvoir d'appréciation au regard de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale à raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation au regard des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen est illégal à raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur,
- et les observations de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant indien, né le 5 décembre 1962 et entré en France, selon ses déclarations, en 1989, a sollicité, le 14 mai 2021, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 3 septembre 2021, le préfet de police a, notamment, rejeté sa demande et l'a obligé à quitter le territoire français sans délai. Par un jugement n° 2118983 du 23 décembre 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. A..., après avoir soumis sa demande, pour avis, à la commission du titre de séjour, dans un délai de trois mois. Au vu d'un avis favorable à la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressé émis le 30 mai 2022 par cette commission et par un arrêté du 19 juillet 2022, le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de vingt-quatre mois. Le préfet de police fait appel du jugement du 30 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté du 19 juillet 2022, lui a enjoint de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois et de prendre, dans le délai de deux mois, toute mesure propre à mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais de l'instance.
Sur l'appel du préfet de police :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance (...) de la carte de séjour temporaire (...) ".
3. Les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure de refus de délivrance de titre de séjour et d'éloignement et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace pour l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.
4. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Il est constant que M. A... s'est rendu coupable, du 1er janvier 2002 au 31 mars 2003, de faits d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France, de faux dans un document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité (complicité), de participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni d'au moins 5 ans d'emprisonnement et d'usage de faux document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité, faits qui lui ont valu d'être condamné, par un jugement du 4 mars 2004 du tribunal correctionnel de Bobigny, à une peine de dix mois d'emprisonnement, dont six mois avec sursis, qui a été par la suite révoqué de plein droit. Il s'est, en effet, rendu coupable, courant 2010 et du 1er janvier 2011 au 5 décembre 2011, de faits d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France ou dans un Etat partie à la convention de Schengen, en bande organisée (récidive), de fourniture frauduleuse habituelle de document administratif, de participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement et de participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni d'au moins 5 ans d'emprisonnement, faits pour lesquels il a été condamné, par un jugement du 18 janvier 2013 du tribunal correctionnel de Paris, à une peine de quatre ans d'emprisonnement et à une amende de 20 000 euros. Pour ces faits, qui revêtent un caractère répété et d'une gravité certaine, l'intéressé a été incarcéré du 8 décembre 2011 au 26 octobre 2016.
6. Toutefois, à la date de l'arrêté contesté, soit le 19 juillet 2022, les faits reprochés à M. A..., commis, respectivement, plus de dix-neuf ans et plus de dix ans auparavant, revêtent un caractère ancien, à l'instar des deux condamnations dont il a fait l'objet pour ces faits, en 2004 et 2013, soit il y a plus de dix-huit ans pour la première et plus de neuf ans pour la seconde. De plus, libéré le 26 octobre 2016, l'intéressé a purgé les peines prononcées à son encontre et le préfet de police ne fait état d'aucun autre élément défavorable à l'encontre de M. A... depuis sa sortie de prison en 2016, ni même durant sa détention entre 2011 et 2016. En outre, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas sérieusement contesté que M. A..., qui déclare être entré en France en 1989 et qui justifie y résider habituellement au moins depuis le mois d'août 2003, date de la délivrance de son premier titre de séjour, soit depuis près de dix-neuf ans à la date de l'arrêté attaqué, y vit avec son épouse, une compatriote avec laquelle il s'est marié en 1982, titulaire d'une carte de séjour temporaire depuis l'année 2003, régulièrement renouvelée depuis lors, puis d'une carte de séjour pluriannuelle depuis l'année 2017, également renouvelée depuis lors. Par ailleurs, l'intéressé justifie également des liens effectifs qu'il entretient avec ses deux enfants majeurs, nés respectivement en 1983 et 1987, qui vivent en France depuis de nombreuses années et qui ont acquis la nationalité française, ainsi qu'avec ses quatre petits-enfants, nés en France respectivement en 2011, 2013, 2017 et 2020 et qui sont également de nationalité française. Enfin, M. A..., qui est, au demeurant, propriétaire de son logement, exerce depuis le mois de septembre 2018, soit depuis près de quatre ans à la date de l'arrêté attaqué, une activité salariée, sous contrat à durée indéterminée et à temps complet, en qualité d'" employé polyvalent " auprès de la Sarl " JP Foods ", dont la gérante est son épouse. Par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de l'ancienneté des faits reprochés à M. A..., de la nature et de l'intensité des liens personnels et familiaux dont il peut se prévaloir en France ainsi que des garanties sérieuses de réinsertion et de non réitération qu'il présente depuis plusieurs années et alors même que l'intéressé, dont les parents sont décédés respectivement en 2003 et 2019, ne serait pas dépourvu de toute attache en Inde, le préfet de police, en estimant, par son arrêté du 19 juillet 2022, que sa présence en France constituait une menace pour l'ordre public et qu'en outre, ses liens personnels et familiaux sur le territoire étaient insuffisants pour justifier une admission au séjour et, en conséquence, en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts de ce refus, en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 19 juillet 2022.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressé au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. d'Haëm, président,
- M. Pagès, premier conseiller,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024.
Le président-rapporteur,
R. d'HAËML'assesseur le plus ancien,
D. PAGESLa greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA05523