Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 27 novembre 2023 par lequel la préfète du Val-de-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2327389 du 17 janvier 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Sangue, demande à la Cour :
1°) d'annuler de ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation ;
4°) à titre subsidiaire, de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Paris ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors, d'une part, qu'il comporte de nombreuses erreurs matérielles et omet de répondre à plusieurs moyens opérants, d'autre part, que la première juge a statué sur sa demande alors que la préfète n'avait pas produit les décisions attaquées, contrairement aux prescriptions résultant des articles R. 776-13-1, R. 776-13-2 et R. 776-18 du code de justice administrative ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été signée par une autorité incompétente, faute de justification d'une délégation de signature à cet effet régulièrement publiée ;
- elle a été signée par une autorité territorialement incompétente, l'exposant ayant été interpellé dans un autre département ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors qu'il n'a pas été informé au préalable des modalités d'introduction d'une demande de protection internationale ;
- elle a été prise en méconnaissance de son droit à être entendu ;
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français a été signée par une autorité incompétente, faute de justification d'une délégation de signature à cet effet régulièrement publiée ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation.
La requête de M. A... a été communiquée à la préfète du Val-de-Marne qui n'a pas produit d'observations.
Par des courriers du 23 août 2024 et 17 septembre 2024, deux mesures d'instruction ont été diligentées par la Cour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant bangladais, né le 1er mars 1997, fait appel du jugement du 17 janvier 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 novembre 2023 de la préfète du Val-de-Marne l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l'acte attaqué (...) ". Par dérogation, l'article R. 776-18 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige et auquel renvoyaient les articles R. 776-13-1 et R. 776-13-2 de ce code s'agissant des recours formés contre les décisions d'obligation de quitter le territoire français prises sur le fondement des 1°, 2° ou 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour et du droit des étrangers, dispose que : " (...) Les décisions attaquées sont produites par l'administration ".
3. Il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif de Paris que M. A... l'a saisi, le 29 novembre 2023, d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 novembre 2023 de la préfète du Val-de-Marne l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans et n'a produit, à l'appui de sa demande, que la dernière page de cet arrêté. En outre, cette demande a été communiquée à la préfète du Val-de-Marne qui n'a produit aucun mémoire, ni aucune pièce, ni, a fortiori, fait valoir que la décision d'obligation de quitter le territoire français en litige n'aurait pas été prise sur le fondement des dispositions du 1°, 2° ou 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, le tribunal administratif a demandé à la préfète de produire une copie de cet arrêté par un courrier du 8 janvier 2024 qui est resté sans réponse. Dans ces conditions, en statuant sur la demande présentée par M. A... et, en particulier, en écartant ses différents moyens de légalité soulevés à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige, sans disposer au dossier de l'intégralité de l'arrêté contesté et sans tirer les conséquences de l'absence de toute production en défense, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif a méconnu son office et entaché son jugement d'irrégularité. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de régularité, M. A... est fondé à demander l'annulation de ce jugement.
4. Il y a lieu, pour la Cour, de se prononcer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 27 novembre 2023.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
5. En dépit de trois demandes adressées les 8 janvier 2024, 23 août 2024 et 17 septembre 2024 à la préfète du Val-de-Marne, tendant à la communication de l'arrêté contesté, l'autorité préfectorale ne l'a pas produit, ni, a fortiori, n'a fait valoir que la décision d'obligation de quitter le territoire français en litige n'aurait pas été prise sur le fondement des dispositions du 1°, 2° ou 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que cette mesure d'éloignement est entachée d'une insuffisance de motivation doit être regardé comme fondé. Dès lors, le requérant est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision attaquée portant obligation de quitter le territoire français et, par voie de conséquence, celles portant refus de délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français qui l'assortissent.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ".
7. Eu égard à l'annulation prononcée par le présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre à la préfète du Val-de-Marne ou à tout préfet territorialement compétent de statuer à nouveau sur le cas de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2327389 du 17 janvier 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 27 novembre 2023 de la préfète du Val-de-Marne sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Val-de-Marne ou à tout préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à la préfète du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. d'Haëm, président,
- M. Pagès, premier conseiller,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024.
Le président-rapporteur,
R. d'HAËML'assesseur le plus ancien,
D. PAGESLa greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA00336 2