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07/11/2024 | FRANCE | N°24PA01281

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 07 novembre 2024, 24PA01281


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de police a rejeté sa demande de titre de séjour.



Par une ordonnance n° 2403686 du 13 mars 2024, le vice-président de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 mars 2024 et 24 octobre 2024, M

. A..., représenté par Me Sangue, demande à la Cour :



1°) d'annuler cette ordonnance ;



2°) d'annuler, p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de police a rejeté sa demande de titre de séjour.

Par une ordonnance n° 2403686 du 13 mars 2024, le vice-président de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 mars 2024 et 24 octobre 2024, M. A..., représenté par Me Sangue, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans le même délai et sous la même astreinte, et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a rejeté sa demande comme tardive dès lors, d'une part, qu'en l'absence d'un accusé de réception comportant les mentions figurant à l'article R. 112-5 du code des relations entre le public et l'administration, aucun délai de recours ne lui était opposable, d'autre part, que, n'ayant eu connaissance de la décision implicite de rejet en litige qu'à la date à laquelle il a demandé communication des motifs de la décision implicite par un courrier du 13 janvier 2024, sa demande tendant à l'annulation de cette décision, enregistrée le 15 février 2024, soit dans le délai raisonnable d'un an, était recevable, enfin, qu'ayant demandé la communication des motifs de la décision contestée, le délai de recours contentieux a été prorogé en application des dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration ;

- en l'absence de réponse de l'administration dans le délai d'un mois à sa demande de communication des motifs de la décision attaquée, cette dernière ne satisfait pas aux exigences de motivation ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2024, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. d'Haëm, président-rapporteur.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant marocain, né le 19 janvier 1994 et qui a présenté, le 1er avril 2022, une demande d'admission exceptionnelle au séjour auprès des services de la préfecture de police, fait appel de l'ordonnance du 13 mars 2024 par laquelle le vice-président de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté, comme irrecevable, sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite née du silence gardé par le préfet de police sur cette demande de délivrance de titre de séjour.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : / (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article R.* 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le silence gardé par l'autorité administrative sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet ". Aux termes de l'article R. 432-2 du même code : " La décision implicite de rejet mentionnée à l'article R.* 432-1 naît au terme d'un délai de quatre mois (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet (...) ".

4. Enfin, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

5. Les règles énoncées au point 4, relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, sont également applicables à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. La preuve d'une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande. Elle peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration, notamment à l'occasion d'un recours gracieux dirigé contre cette décision. Le demandeur, s'il n'a pas été informé des voies et délais de recours, dispose alors, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a déposé, le 1er avril 2022, une demande d'admission exceptionnelle au séjour auprès des services de la préfecture de police. En application des dispositions des articles R.* 432-1 et R. 432-2 précités, le silence gardé par le préfet de police sur sa demande a fait naître, au terme d'un délai de quatre mois, une décision implicite de rejet, intervenue le 1er août 2022. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A..., lors de la présentation de sa demande, se serait vu délivrer l'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration mentionnant, notamment, si sa demande était susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ainsi que les délais et les voies de recours à l'encontre de cette décision, ni, en tout état de cause, qu'il aurait été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, ni, a fortiori, des voies et délais de recours à l'encontre de cette décision. Sur ce point et contrairement à ce que soutient le préfet en défense, la délivrance à l'intéressé, lors du dépôt de sa demande de titre de séjour, d'une " confirmation de dépôt " se bornant à indiquer qu'il sera " informé de l'avancement et de la suite donnée à [sa] démarche par sms ou courrier postal " et que " le délai indicatif de réponse est de 4 mois ", ne saurait constituer une information claire sur ces conditions de naissance d'une décision implicite. Ainsi et contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, l'intéressé ne saurait être " réputé avoir eu connaissance d'une décision implicite de rejet le 2 août 2022 ". Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision implicite de rejet intervenue le 1er août 2022 ait été par la suite expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration avant le courrier en date du 2 janvier 2024 par lequel son conseil a demandé au préfet de police de lui en communiquer les motifs. Cette date du 2 janvier 2024 doit ainsi être regardée comme étant celle de l'événement établissant que M. A... a eu connaissance de cette décision implicite de rejet, date à compter de laquelle le délai raisonnable d'un an mentionné au point 4 a commencé à courir. Ainsi, la demande de M. A..., enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 15 février 2024, soit dans ce délai, était recevable. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le vice-président de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme tardive et, dès lors, à demander l'annulation de cette ordonnance.

7. Il y a lieu, pour la Cour, de se prononcer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les conclusions de la demande de M. A... tendant à l'annulation la décision implicite de rejet en date du 1er août 2022.

En ce qui concerne la légalité de la décision attaquée :

8. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".

9. Ainsi qu'il a été dit au point 6, par un courrier du 2 janvier 2024 reçu par les services préfectoraux le 13 janvier suivant, soit dans les délais du recours contentieux, M. A... a sollicité auprès du préfet de police la communication des motifs de la décision implicite de rejet née le 1er août 2022. En outre, si, par un courrier du 6 mars 2024, le préfet de police a entendu communiquer à l'intéressé les motifs de cette décision, il n'a pas procédé à cette communication dans le délai d'un mois après la demande formulée par M. A.... En l'absence de communication des motifs dans ce délai d'un mois imparti par les dispositions précitées, la décision implicite du préfet se trouve entachée d'illégalité.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par le requérant, que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision du 1er aout 2022 portant refus de titre de séjour.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ".

12. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 9, le présent arrêt n'implique pas nécessairement que soit délivré à M. A... un titre de séjour ou une autorisation de travail. En revanche, il y a lieu d'enjoindre au préfet de police de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2403686 du 13 mars 2024 du vice-président de la 5ème section du tribunal administratif de Paris et la décision implicite par laquelle le préfet de police a refusé de délivrer à M. A... un titre de séjour sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 29 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. d'Haëm, président,

- M. Pagès, premier conseiller,

- Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024.

Le président-rapporteur,

R. d'HAËML'assesseur le plus ancien,

D. PAGESLa greffière,

E. TORDO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24PA01281 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA01281
Date de la décision : 07/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. D’HAEM
Rapporteur ?: M. Rudolph D’HAEM
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SANGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-07;24pa01281 ?
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