Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 5 avril 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de renouveler sa carte de séjour pluriannuelle, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Par une ordonnance n° 2406088 du 18 juin 2024, le président de la 10ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 juillet 2024 et le 25 octobre 2024, M. B..., représenté par Me Mileo, demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis ou à tout autre préfet territorialement compétent de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation, dans le même délai, et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et de procéder à l'effacement de son signalement dans le système d'information Schengen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité dès lors, d'une part, que le premier juge s'est borné à répondre aux moyens soulevés à l'encontre de la décision portant refus de titre de séjour, alors qu'il avait soulevé également des moyens, tirés du défaut de motivation et de l'erreur d'appréciation, à l'encontre des décisions portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français, d'autre part, qu'il a considéré à tort qu'il n'avait soulevé que des moyens de légalité externe, alors qu'il avait invoqué également des moyens de légalité interne, tirés notamment de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, enfin, qu'il a méconnu le principe du contradictoire en n'ayant pas fixé de date de clôture de l'instruction et en ne l'ayant pas invité au préalable à produire un mémoire complémentaire ;
- la décision portant refus de renouvellement de titre de séjour est entachée d'un vice de procédure dès lors que la commission du titre de séjour n'a pas été préalablement saisie de son cas en application des articles L. 423-23 et L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que le préfet ne produit aucun élément permettant de s'assurer que l'agent ayant consulté le traitement d'antécédents judiciaires aurait été individuellement désigné et spécialement habilité à cette fin ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale à raison de l'illégalité de la décision portant refus de renouvellement de titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant refus de délai de départ volontaire est illégale à raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale à raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans est illégale à raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
La requête de M. B... a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit d'observations.
Par un courrier du 2 septembre 2024, une mesure d'instruction a été diligentée par la Cour.
Par un mémoire en production de pièces, enregistré le 3 septembre 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis a répondu à cette mesure.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. d'Haëm, rapporteur,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Mileo, avocate de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant égyptien, né le 1er juillet 1979 et qui a sollicité, le 9 janvier 2023, le renouvellement de sa carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale ", fait appel de l'ordonnance du 18 juin 2024 par laquelle le président de la 10ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté, sur le fondement des dispositions du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 avril 2024 du préfet de la Seine-Saint-Denis refusant de renouveler son titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ". L'article L. 433-1, inséré au sein de la section 1, intitulée " Renouvellement du titre de séjour ", du chapitre III, intitulé " Conditions de renouvellement des titres de séjour ", du titre III du livre IV de la partie législative de ce code, dispose que : " (...) le renouvellement de la carte de séjour temporaire ou pluriannuelle est subordonné à la preuve par le ressortissant étranger qu'il continue de remplir les conditions requises pour la délivrance de cette carte (...) ". L'article L. 433-4, inséré au sein de la section 2, intitulée " Obtention d'une carte de séjour pluriannuelle sans changement de motif ", de ce chapitre III, prévoit que : " Au terme d'une première année de séjour régulier en France accompli au titre d'un visa de long séjour tel que défini au 2° de l'article L. 411-1 ou, sous réserve des exceptions prévues à l'article L. 433-5, d'une carte de séjour temporaire, l'étranger bénéficie, à sa demande, d'une carte de séjour pluriannuelle dès lors que : / 1° Il justifie de son assiduité, sous réserve de circonstances exceptionnelles, et du sérieux de sa participation aux formations prescrites par l'Etat dans le cadre du contrat d'intégration républicaine conclu en application de l'article L. 413-2 ; / 2° Il continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire. / La carte de séjour pluriannuelle porte la même mention que la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire. / L'étranger bénéficie, à sa demande, du renouvellement de cette carte de séjour pluriannuelle s'il continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il été précédemment titulaire ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 412-5 du même code : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle (...) ".
4. Enfin, aux termes de l'article L. 432-13 de ce code : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : / 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles (...) L. 423-23 (...) à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance (...) ".
5. Si le préfet n'est tenu de saisir la commission que du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues par ces textes auxquels il envisage de refuser le titre de séjour sollicité et non de celui de tous les étrangers qui s'en prévalent, la circonstance que la présence de l'étranger constituerait une menace à l'ordre public ne le dispense pas de son obligation de saisine de la commission. Il en va, en particulier, ainsi du cas de l'étranger qui sollicite le renouvellement d'une carte de séjour pluriannuelle obtenue sur le fondement des dispositions des articles L. 423-23 et L. 433-4 précités, qui continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il été précédemment titulaire et pour lequel l'autorité administrative envisage de refuser de renouveler son titre de séjour en lui opposant la réserve liée à l'ordre public prévue à l'article L. 412-5 précité.
6. Il ressort des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas contesté, le préfet de la Seine-Saint-Denis ayant expressément mentionné, dans l'arrêté contesté, qu'eu égard à sa situation personnelle et familiale, " l'intéressé aurait pu prétendre au bénéfice des dispositions des articles L. 423-23 et L. 433-4 " précités, que M. B..., qui séjourne habituellement en France depuis le 21 novembre 2007 et qui est titulaire d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " depuis le 13 avril 2015, soit depuis près de neuf ans à la date de l'arrêté attaqué, y vit avec son épouse, une ressortissante marocaine en situation régulière, avec laquelle il a eu cinq enfants, nés sur le territoire, respectivement, en 2010, 2012, 2018 et 2020, sa fille aînée étant de nationalité française. Eu égard aux liens personnels et familiaux en France dont il pouvait ainsi se prévaloir, l'intéressé remplissait effectivement les conditions pour obtenir le renouvellement de sa carte de séjour pluriannuelle sur le fondement des dispositions des articles L. 423-23 et L. 433-4 précités du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce renouvellement lui ayant été refusé sur le seul fondement de l'article L. 412-5 précité du même code au motif que sa présence en France constituait une menace pour l'ordre public. Par suite, le préfet de la Seine-Saint-Denis ne pouvait prendre la décision portant refus de renouvellement de titre de séjour en litige, sans saisir préalablement pour avis la commission du titre de séjour, dont la consultation constitue une garantie pour l'étranger concerné. Il suit de là que le requérant est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de cette décision et, par voie de conséquence, de celles portant obligation de quitter le territoire français, refus de délai de départ volontaire, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans qui l'assortissent.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de régularité et de légalité soulevés par le requérant, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 10ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 avril 2024 du préfet de la Seine-Saint-Denis.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ".
9. D'une part, eu égard au motif d'annulation retenu au point 6, le présent arrêt n'implique pas nécessairement que soit délivré à M. B... un titre de séjour. En revanche, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, après avoir saisi la commission du titre de séjour du cas de l'intéressé, et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
10. D'autre part, l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français implique l'effacement du signalement de M. B... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de faire procéder à cet effacement dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2406088 du 18 juin 2024 du président de la 10ème chambre du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du 5 avril 2024 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la situation de M. B... et, au préalable, de saisir pour avis la commission du titre de séjour, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et de faire procéder à l'effacement du signalement de M. B... aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans un délai de deux mois à compter de cette notification.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. d'Haëm, président,
- M. Pagès, premier conseiller,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024.
Le président-rapporteur,
R. d'HAËML'assesseur le plus ancien,
D. PAGESLa greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA03224 2