Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 10 avril 2024 par lequel la préfète du Val-de-Marne a décidé son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2404838 du 27 juin 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 1er août 2024, M. B..., représenté par Me Caradot, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 27 juin 2024 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 avril 2024 de la préfète du Val-de-Marne ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Val-de-Marne de réexaminer sa demande et de lui délivrer un formulaire de demande d'asile en application de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté de transfert méconnaît l'article 19, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dès lors qu'il a quitté le territoire des Etats membres pendant plus de trois mois ;
- il risque de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Italie, eu égard aux conditions d'accueil des étrangers dans ce pays.
La requête a été communiqué au préfet du Val-de-Marne, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fombeur
- et les observations de Me Caradot, avocat de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant turc né le 6 avril 2002, a sollicité son admission au séjour en France au titre de l'asile. La consultation du fichier " Eurodac " ayant montré qu'il avait précédemment demandé l'asile auprès des autorités italiennes, la préfète du Val-de-Marne a saisi ces dernières d'une demande de reprise en charge, qu'elles ont acceptée le 22 février 2024. Par un arrêté du 10 avril 2024, la préfète du Val-de-Marne a décidé son transfert aux autorités italiennes, en vue de l'examen de sa demande d'asile. M. B... fait appel du jugement du 27 juin 2024 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 19, paragraphe 2, du règlement (UE) n ° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " Les obligations prévues à l'article 18, paragraphe 1, cessent si l'État membre responsable peut établir, lorsqu'il lui est demandé de prendre ou reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres pendant une durée d'au moins trois mois, à moins qu'elle ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité délivré par l'État membre responsable. / Toute demande introduite après la période d'absence visée au premier alinéa est considérée comme une nouvelle demande donnant lieu à une nouvelle procédure de détermination de l'État membre responsable ". Par un arrêt de grande chambre du 7 juin 2016, George Karim c/ Migrationsverket, affaire C-155/15, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 19, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être interprété en ce sens que cette disposition, notamment son second alinéa, est applicable à un ressortissant d'un pays tiers qui, après avoir introduit une première demande d'asile dans un État membre, apporte la preuve qu'il a quitté le territoire des États membres pendant une durée d'au moins trois mois, avant d'introduire une nouvelle demande d'asile dans un autre État membre, et que l'article 27, paragraphe 1, de ce règlement, lu à la lumière du considérant 19 de ce dernier, doit être interprété en ce sens qu'un demandeur d'asile peut invoquer, dans le cadre d'un recours exercé contre une décision de transfert prise à son égard par le second Etat membre, la méconnaissance de la règle énoncée à l'article 19, paragraphe 2, second alinéa.
3. A l'appui de son appel, M. B... produit plusieurs documents, notamment d'ordre médical, dont l'authenticité n'est pas contestée par le préfet, faisant apparaître qu'il a résidé en Turquie entre février et novembre 2023. Il doit ainsi être regardé comme apportant la preuve qu'il a quitté le territoire des Etats membres de l'Union européenne pendant une durée d'au moins trois mois après avoir demandé l'asile auprès des autorités italiennes le 26 octobre 2022. Par suite, sa demande d'asile devait être considérée comme une nouvelle demande donnant lieu à une nouvelle procédure de détermination de l'État membre responsable et l'arrêté du 10 avril 2024 prononçant son transfert aux autorités italiennes a été pris en méconnaissance de l'article 19, paragraphe 2, du règlement (UE) n ° 604/2013 du 26 juin 2013.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de sa requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'il attaque, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
5. Compte tenu du motif d'annulation retenu au point 3, la présente décision implique que le préfet territorialement compétent au regard du lieu de résidence de M. B... procède de nouveau à la détermination de l'État membre responsable de sa demande d'asile. Il y a lieu d'enjoindre à ce préfet d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté de la préfète du Val-de-Marne du 10 avril 2024 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet territorialement compétent de procéder de nouveau à la détermination de l'État membre responsable de la demande d'asile de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la Cour, rapporteure ;
- Mme Bonifacj, présidente ;
- M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2024.
La présidente de chambre,
J. BONIFACJ La présidente-rapporteure,
P. FOMBEUR
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA03487 2