Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au Tribunal administratif de Polynésie française, par quatre requêtes distinctes, d'annuler le courrier du 14 mars 2022 par lequel le haut-commissaire de la République en Polynésie française a émis un avis favorable à sa remise à disposition anticipée, la décision du 24 mars 2022 par laquelle le chef de cabinet de la ministre de l'éducation et de la modernisation de l'administration a, au nom de la ministre, mis fin de manière anticipée à sa mise à disposition auprès du gouvernement de la Polynésie française, l'arrêté du 13 mai 2022 par lequel le chef de service adjoint au directeur général des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale a décidé sa remise à disposition et sa réintégration dans son académie d'origine et enfin la décision par laquelle le ministre de l'éducation nationale a implicitement rejeté sa demande de protection fonctionnelle.
Par un jugement n° 2200216, 2200221, 2200231, 2200317 du 13 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Polynésie française, après avoir joint ces requêtes, a annulé les décisions du 24 mars 2022 et du 13 mai 2022, mis les frais des instances à la charge de la Polynésie française et rejeté le surplus des conclusions des demandes de Mme B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires en réplique enregistrés le 13 février 2023, le 28 mars 2024 et le 30 août 2024 Mme B..., représentée par Me Arvis, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200216, 2200221, 2200231, 2200317 du 13 décembre 2022 du tribunal administratif de Polynésie française en tant qu'il a rejeté, à son article 3, ses conclusions dirigées contre la décision implicite lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'éducation nationale lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de protection fonctionnelle dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'une omission à statuer sur le moyen tiré de ce que le ministre de l'éducation nationale était compétent pour lui refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle en application de l'article L. 122-1 du code général de la fonction publique ;
- compte tenu du conflit l'opposant à son administration d'accueil, seul le ministre de l'éducation nationale était compétent pour statuer sur sa demande de protection fonctionnelle ;
- en tout état de cause la décision implicite de refus de protection fonctionnelle peut être réputée comme adoptée par la Polynésie française, à qui l'Etat était tenu de transmettre une demande ne relevant pas de sa compétence ;
- en sa qualité de lanceuse d'alerte faisant l'objet de représailles elle avait droit à se voir octroyer la protection demandée en application des articles L. 135-1 et L. 135-2 du code général de la fonction publique.
Par un mémoire enregistré le 23 février 2024, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que seule l'administration d'accueil étant compétente pour statuer sur sa demande de protection fonctionnelle, il était tenu de rejeter la demande de Mme B... et l'ensemble des moyens dirigés contre cette décision étant inopérants les conclusions dirigées contre cette décision ont été à bon droit rejetées.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 février 2024, la Polynésie française, représentée par Me Quinquis, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 1 500 euros soit mis à la charge de Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle doit être mise hors de cause, l'appel ne portant que sur la légalité d'une décision dont elle n'est pas l'auteur ;
- Mme B... n'établit pas remplir les conditions pour l'octroi d'une protection fonctionnelle.
La présente requête a, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011, été communiquée à la Défenseure des Droits, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 ;
- la convention n° 99-16 du 22 octobre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bourgeois pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., attachée principale d'administration de l'Etat exerçant les fonctions d'agent comptable d'établissements publics locaux d'enseignement, a été mise à disposition, par arrêté du 28 mai 2021, du gouvernement de la Polynésie française à compter du 1er août 2021, pour une durée de deux ans, afin d'assurer les fonctions d'agent comptable d'un groupement comptable comprenant le lycée hôtelier de Tahiti, le conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et les collèges de Taiohae d'Atuona et de Ua-Pou aux Marquises. Après que Mme B... eut signalé, dès sa prise de poste en août 2021, diverses irrégularités dans la comptabilité du lycée hôtelier de Tahiti, le ministre de l'éducation et de la modernisation de l'administration de la Polynésie française l'a informée par courrier du 24 mars 2022 que le haut-commissaire de la République en Polynésie française avait émis, le 14 mars 2022, un avis favorable à sa remise à disposition anticipée et qu'elle serait remise à disposition de son académie au terme de l'année scolaire en cours. Par un arrêté du 13 mai 2022, le ministre de l'éducation nationale a décidé sa remise à disposition et a prononcé sa réintégration au sein de l'académie de la Réunion. Par ailleurs, la demande tendant à obtenir la protection fonctionnelle, adressée par Mme B... le 3 mai 2022 au ministre de l'éducation nationale, a été implicitement rejetée. Par un jugement du 13 décembre 2022 le Tribunal administratif de Polynésie française, saisi par Mme B..., a annulé la décision du 24 mars 2022 et l'arrêté du 13 mai 2022 et a rejeté le surplus des conclusions de la requérante tendant à l'annulation de l'avis du haut-commissaire de la République en Polynésie françaises du 14 mars 2022, ainsi que de la décision implicite refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle. Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision implicite refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 134-1 du code général de la fonction publique : " L'agent public ou, le cas échéant, l'ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire, dans les conditions prévues au présent chapitre ". L'article 10 de la délibération N° 95-215 du 14 décembre 1995 portant statut général de la fonction publique du territoire de la Polynésie française dispose que : " Les fonctionnaires bénéficient à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la Polynésie française conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spécifiques. (...) // La Polynésie française est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ". Aux termes de l'article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, applicable en Polynésie française par l'effet de son article 35 : " I. - Au sens de la présente loi, constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction. / Lorsqu'ils estiment se trouver dans une telle situation : (...) / 2° Sous réserve des exceptions prévues au deuxième alinéa de l'article 432-12 du code pénal, les personnes titulaires de fonctions exécutives locales sont suppléées par leur délégataire, auquel elles s'abstiennent d'adresser des instructions (...) ".
3. Si la protection résultant des dispositions précitées n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
4. Il résulte par ailleurs du principe d'impartialité que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison d'actes insusceptibles, à les supposer avérés, de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l'autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné.
5. En l'espèce il ressort des pièces du dossier que la demande de protection fonctionnelle adressée par Mme B... au ministre de l'éducation nationale était fondée sur sa dénonciation d'actes, précisément caractérisés, émanant exclusivement de sa hiérarchie directe au sein de son établissement d'affectation ainsi qu'au sein de l'administration de la Polynésie française. Par suite, quand bien même la Polynésie française, à disposition de laquelle l'intéressée était placée, serait en principe l'autorité compétente pour statuer sur une telle demande, en l'espèce celle-ci ne pouvait légalement statuer sur cette demande compte tenu de sa mise en cause directe (ainsi qu'il résulte des dispositions citées au point 3 de l'article 2 de la loi du 11 octobre 2013). Dans ces circonstances particulières, Mme B... est fondée à soutenir que le ministre de l'éducation nationale, en tant que gestionnaire de sa carrière d'attachée principale d'administration de l'Etat, était compétent pour statuer sur sa demande.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale n'était pas en situation de compétence liée pour rejeter la demande de Mme B... et que, par suite, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, les moyens soulevés par la requérante et dirigés contre cette décision implicite ne sont pas inopérants.
7. Aux termes de l'article 6 ter alors applicable de la loi du 13 juillet 1983, reprise à l'article L.135-1 du code général de la fonction publique : "Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un agent public pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, aux autorités judiciaires ou administratives de faits constitutifs d'un délit, d'un crime ou susceptibles d'être qualifiés de conflit d'intérêts au sens l'article L. 121-5 dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions",
8. Il ressort des pièces du dossier que les actes de sa hiérarchie en Polynésie française à raison desquels Mme B... a demandé la protection fonctionnelle sont constitués par un rapport défavorable, établi en février 2022 par le chef d'établissement du lycée hôtelier de Tahiti sur sa manière de servir après seulement quatre mois d'exercice effectif de ses fonctions, interrompus par un congé de maladie, ainsi que par la décision, dans un délai de quelques semaines suivant sa dénonciation des graves irrégularités entachant la comptabilité du lycée hôtelier de Tahiti, de mettre fin de manière anticipée à sa mise à disposition de la Polynésie française, la Défenseure des droits ayant relevé dans une décision du 8 juillet 2024 que cette mesure était constitutive de représailles à la suite des signalements opérés par Mme B.... Par ailleurs, ainsi que l'a également relevé la Défenseure de droits, aucun des griefs professionnels exprimés à l'encontre de Mme B... n'était de nature à justifier qu'il soit mis fin à sa mise à disposition de manière anticipée.
9. Dans ces conditions, Mme B... est fondée à soutenir que la décision implicite par laquelle le ministre de l'éducation nationale a refusé de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle est entachée d'une erreur d'appréciation et, par suite, à en demander l'annulation.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que Mme B... est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué du Tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision implicite du ministre de l'éducation nationale refusant de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. Compte tenu des motifs de l'annulation qu'il prononce, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le ministre de l'éducation nationale, qui ne fait état d'aucune considération qui s'y opposerait, octroie à Mme B... le bénéfice de la protection fonctionnelle.
Sur les frais de l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la Polynésie française demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française le versement à Mme B... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 13 décembre 2022 du Tribunal administratif de la Polynésie française est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la requête de Mme B... tendant à l'annulation de la décision par laquelle le ministre de l'éducation nationale a refusé de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle.
Article 2 : La décision par laquelle le ministre de l'éducation nationale a refusé d'octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle à Mme B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'éducation nationale d'accorder à Mme B... le bénéfice de la protection fonctionnelle dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat (ministre de l'éducation nationale) versera à Mme B... une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de la Polynésie française présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la Polynésie française et au ministre de l'éducation nationale.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française et à la défenseure des droits.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- M. Laforêt, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2024.
La rapporteure,
P. HAMONLe président,
B. AUVRAY
La greffière,
L. CHANALa République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA00592