Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2016, outre les intérêts de retard et pénalités dont ces cotisations ont été assorties.
Par un jugement n° 2113521 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 septembre 2023 et 13 mars 2024, M. B..., représenté par Me Schiele, avocat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 13 juillet 2023 ;
2°) de prononcer la décharge, en principal, intérêts de retard et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2016 à hauteur de 318 961 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les juges de première instance ont omis de statuer sur l'ensemble de ses conclusions en s'abstenant de répondre à nombre de ses arguments ;
- le jugement contesté est entaché d'erreurs de fait et de droit et d'une dénaturation des pièces du dossier ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu que les motifs de son licenciement reposaient sur une cause réelle et sérieuse ; son licenciement est intervenu verbalement le 27 février 2015 ou à tout le moins de manière implicite et est, de fait, sans cause réelle et sérieuse ; il repose par ailleurs sur des griefs dépourvus de fondement ;
- l'indemnité transactionnelle qui lui a été accordée n'est pas imposable dès lors qu'elle entre dans les cas d'exonération prévues à l'article 80 duodecies du code général des impôts.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés ;
- si le licenciement de M. B... devait être regardé comme étant sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité transactionnelle de 656 141 euros en litige ne pourrait pas être exonérée en totalité dès lors qu'elle n'a pas pour seul objet de réparer le préjudice né du licenciement. En application du 3° du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts, la somme de 33 310 euros versée à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement ne peut être exonérée. La somme de 150 000 euros ne trouve pas sa source dans le contrat de travail.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lorin,
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,
- et les observations de Me Schiele, représentant M. B....
Une note en délibéré a été enregistrée le 28 décembre 2024 pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., qui occupait le poste de directeur financier du groupe Imerys depuis le mois d'octobre 2009, a été licencié pour motif personnel par une décision du 30 mars 2015. Le 28 juillet 2016, l'intéressé a conclu un protocole d'accord transactionnel aux termes duquel son employeur s'engageait à lui verser une indemnité de 656 141 euros. A l'appui de sa déclaration des revenus de l'année 2016, M. B... a expressément indiqué que cette indemnité transactionnelle n'était pas imposable, dès lors que son licenciement n'était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse, cette indemnité étant par voie de conséquence exonérée d'impôt sur le revenu en vertu des dispositions du 1° du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts. A la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a toutefois réintégré à son revenu imposable le montant de cette indemnité transactionnelle par une proposition de rectification du 28 septembre 2018 dont il a résulté des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus qui ont été mises en recouvrement le 30 juin 2019. Par la présente requête, M. B... relève régulièrement appel du jugement du 13 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, d'une part, si M. B... reproche au tribunal un défaut de réponse à des conclusions, il résulte du dossier de première instance, transmis à sa demande à la Cour, que les premiers juges ont statué sur l'ensemble des conclusions qui leur étaient soumises par M. B... dans ses écritures de première instance. Le moyen tiré de l'omission à statuer sur des conclusions doit, par suite, être écarté comme non fondé. D'autre part, il ressort de la lecture des points 7 et 8 du jugement attaqué que les juges de première instance, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments présentés par l'intéressé contrairement à ce qu'il soutient, ont énoncé de manière suffisamment précise les éléments de faits pertinents au soutien de leur raisonnement et les motifs par lesquels ils ont écarté le moyen tiré de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
3. En second lieu, dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé des impositions en litige. Par suite, si M. B... soutient que les premiers juges ont entaché leur jugement d'erreurs de droit et de fait et d'une dénaturation des pièces, de tels moyens, qui ne critiquent pas la régularité du jugement, sont inopérants.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Le 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " Toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve des dispositions suivantes. / Ne constituent pas une rémunération imposable : / 1° Les indemnités mentionnées aux articles L. 1235-1, L. 1235-2, L. 1235-3 et L. 1235-11 à L. 1235-13 du code du travail ; / (...) 3° La fraction des indemnités de licenciement versées en dehors du cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi au sens des articles L. 1233-32 et L. 1233-61 à L. 1233-64 du code du travail, qui n'excède pas : / a) Soit deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l'année civile précédant la rupture de son contrat de travail, ou 50 % du montant de l'indemnité si ce seuil est supérieur, dans la limite de six fois le plafond mentionné à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale en vigueur à la date du versement des indemnités ; (...) ". Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date du 30 mars 2015 : " Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. / Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9 ".
5. Pour déterminer si une indemnité versée en exécution d'une transaction conclue à l'occasion de la rupture d'un contrat de travail est imposable, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt, de rechercher la qualification à donner aux sommes qui font l'objet de la transaction. Ces dernières ne sont susceptibles d'être regardées comme une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mentionnée à l'article L. 1235-3 du code du travail que s'il résulte de l'instruction que la rupture des relations de travail est assimilable à un tel licenciement. Dans ce cas, les indemnités accordées au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse sont exonérées. Il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt, au vu de l'instruction, de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction, en recherchant notamment si elles ont entendu couvrir, au-delà des indemnités accordées au titre du licenciement, la réparation de préjudices distincts, afin de déterminer dans quelle proportion ces sommes sont susceptibles d'être exonérées.
6. La lettre de licenciement pour motif personnel adressée le 30 mars 2015 à M. B... précise qu'il a été nommé au poste de directeur financier par l'ancien directeur général d'Imerys et antérieurement responsable hiérarchique de l'intéressé pour " compenser par la proximité relationnelle, certaines de ses insuffisances ". Il lui est reproché des objectifs financiers prioritaires fixés pour l'année 2014 qui n'auraient pas été tenus et, en dépit d'observations faites par son supérieur hiérarchique au cours de l'année ou de relances réitérées, un défaut d'implication et de résultats dans différentes missions qui lui incombaient, telles que sa participation aux revues budgétaires au mois de novembre 2014, la gestion de travaux transversaux, les enjeux financiers du changement de système de retraite à prestations définies du Royaume Uni, l'évolution des paramètres financiers du système de bonus 2015 ou de rétention à long terme, ou la résolution des questions posées par le département informatique, ainsi que l'absence d'anticipation de la réorganisation de la direction financière, le défaut de prise en charge de sujets relatifs aux structures implantées aux Etats-Unis, le défaut d'implication dans le projet d'acquisition de la société SetB, ainsi que le manque d'information et de coordination des différents contrôleurs financiers. Si cette lettre fait état d'insuffisances professionnelles résultant d'une dégradation de la prestation de travail du salarié dans les missions qui lui étaient confiées et d'un manque d'investissement, les griefs ainsi exprimés à l'encontre de M. B... sont énoncés en termes généraux, ne sont pas suffisamment caractérisés et ne sont pas mis en perspective avec des objectifs précisément identifiables et vérifiables. Ils ne sont corroborés par aucun autre élément de l'instruction et ont fait l'objet, de la part de l'intéressé, d'une contestation précise, argumentée et documentée pour chacun d'eux, contrairement à ce que retient l'administration en défense. Il résulte par ailleurs de l'instruction que M. B... a été licencié après seize années de service au cours desquelles il a été promu à différents postes à responsabilités avant de prendre la direction financière du groupe en 2009, qu'il a régulièrement bénéficié d'augmentations de salaires depuis cette nomination et de gratifications financières substantielles versées au titre des performances annuelles, de l'attribution à titre gratuit de stock-options et d'actions. Il résulte également de l'instruction que la direction financière d'Imerys a obtenu en 2013 le prix de la meilleure direction financière dans le secteur de l'industrie et que le président directeur général du groupe a personnellement félicité M. B... de son implication personnelle, des résultats opérationnelles du groupe et de ses capacités à contribuer à son développement au titre des années 2013 et 2014. Il résulte enfin de l'instruction que son licenciement est intervenu à l'issue d'une procédure d'acquisition de la société SetB qui a conduit la direction du groupe Imerys à informer, par voie de communiqué de presse du 27 février 2015, soit antérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement, que la direction financière serait désormais confiée au directeur général de la société nouvellement acquise venant en remplacement de M. B.... Eu égard à ce contexte, en l'absence de toute autre précision et pièces justificatives permettant d'établir l'exactitude des griefs reprochés à l'intéressé et compte tenu de la contradiction qui apparaît entre, d'une part, ces griefs et les éléments d'appréciation énoncés ci-dessus, la rupture des relations de travail doit être regardée en l'espèce comme assimilable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
7. En second lieu, M. B... soutient que l'intégralité de l'indemnité transactionnelle versée en application du protocole d'accord doit être exonérée dès lors qu'elle n'a pas vocation à réparer des préjudices distincts de ceux résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement. Il résulte de ce protocole signé le 28 juillet 2016, que la société a accepté de verser à l'intéressé la somme de 33 310 euros bruts à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement, celle de 150 000 euros bruts à titre d'indemnité en compensation de la perte des actions de performance et celle de 520 000 euros bruts globale, définitive et forfaitaire à titre de dommages et intérêts transactionnels, correspondant à une somme globale nette de 656 141 euros.
8. D'une part, il résulte de l'instruction que la société avait versé à M. B... les sommes de 241 610 euros et 76 080 euros au mois de septembre 2015 au titre de l'indemnité conventionnelle non soumise à imposition. Compte tenu de ces versements, si la somme de 33 310 euros tend à réparer le préjudice résultant de la rupture du contrat de travail, laquelle, ainsi qu'il a été énoncé au point 6, est dénuée de cause réelle et sérieuse, le cumul de cette indemnité avec les sommes précédemment versées excède en revanche le plafond mentionné à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale visé par les dispositions du a) du 3° du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts. Compte tenu du dépassement de ce seuil, cette indemnité ne peut par suite être exonérée d'imposition.
9. D'autre part, la somme de 150 000 euros versée à titre d'indemnité de compensation de la perte des actions de performance n'a pas pour objet de réparer le préjudice lié au licenciement de M. B... mais tend à indemniser le gain que ce dernier aurait réalisé s'il avait pu exercer son droit d'option. Cette indemnité qui trouve sa source dans le contrat de travail de l'intéressé, même si, à la date où elle a été accordée, celui-ci avait pris fin, est par voie de conséquence imposable sur le fondement des dispositions des articles 79 et 82 du code général des impôts, comme l'auraient été les revenus issus de la levée d'options si M. B... avait pu y procéder.
10. Il résulte des points 8 et 9 que c'est par suite à bon droit que l'administration fiscale a réintégré ces sommes aux revenus imposables de M. B....
11. En revanche, il ne résulte pas des stipulations de cette convention que la somme de 520 000 euros bruts aurait vocation à réparer des préjudices distincts de ceux résultant de la rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse de M. B..., cette somme étant par voie de conséquence elle-même exonérée d'imposition.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris n'a pas réduit la base des impositions supplémentaires mises à sa charge au titre de l'année 2016 d'une somme de 520 000 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au bénéfice de M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La base de l'impôt sur le revenu de M. B... au titre de l'année 2016 est réduite d'une somme de 520 000 euros.
Article 2 : Il est accordé à M. B... la décharge des impositions correspondant aux réductions de base d'imposition définies à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 13 juillet 2023 est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France et de Paris (service du contentieux d'appel déconcentré - SCAD).
Délibéré après l'audience du 20 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Lemaire, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 17 janvier 2025.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
S. CARRERE La greffière,
E. LUCE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA04017