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24/01/2025 | FRANCE | N°24PA02817

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 9ème chambre, 24 janvier 2025, 24PA02817


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société anonyme (SA) Bouygues Télécom a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, d'annuler la décision du 13 avril 2018 par laquelle le chef du service national des enquêtes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) lui a infligé une amende administrative d'un montant de 315 000 euros et a ordonné la publication de cette décision sur le site Internet de la DGCCRF ainsi que sur les pages

de ses comptes Facebook et Twitter pendant une durée de deux mois, ensemble la décision...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Bouygues Télécom a demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, d'annuler la décision du 13 avril 2018 par laquelle le chef du service national des enquêtes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) lui a infligé une amende administrative d'un montant de 315 000 euros et a ordonné la publication de cette décision sur le site Internet de la DGCCRF ainsi que sur les pages de ses comptes Facebook et Twitter pendant une durée de deux mois, ensemble la décision du 14 août 2018 prise à la suite du recours gracieux du 14 juin 2018 qui fixe l'amende administrative à la somme de 300 000 euros et confirme les mesures de publicité sur le site internet de la DGCCRF précédemment ordonnées et, à titre subsidiaire, de réformer ces décisions.

Par un jugement n° 1818297 du 9 février 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société.

Par un arrêt n° 21PA01835 du 24 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Bouygues Télécom contre ce jugement.

Par une décision n° 472392 du 25 juin 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt n° 21PA01835 du 24 janvier 2023 et a renvoyé l'affaire à la Cour désormais enregistrée sous le n° 24PA02817.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un mémoire en reprise d'instance, enregistrés les 9 avril, 20 juin et 12 octobre 2021 et 15 octobre 2024, la SA Bouygues Télécom, représentée par la SCP Piwnica et Molinié, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1818297 du 9 février 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) à titre principal, d'annuler d'une part, la décision du 13 avril 2018 par laquelle le chef du service national des enquêtes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes lui a infligé une amende administrative d'un montant de 315 000 euros et a ordonné la publication de cette décision sur le site internet de la direction générale pendant une durée de deux mois et d'autre part, la décision du 14 août 2018 prise sur son recours gracieux du 14 juin 2018, qui fixe l'amende administrative à la somme de 300 000 euros et confirme les mesures de publicité précédemment ordonnées ;

3°) à titre subsidiaire, de moduler le montant de la sanction pécuniaire infligée et de prononcer la décharge du paiement de la somme déduite ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la minute du jugement n'étant pas signée, ce dernier est irrégulier ;

- le jugement est entaché de plusieurs erreurs de droit, notamment en considérant que l'article 3 de l'arrêté du 3 décembre 1987 et les avis du conseil national de la consommation (CNC), dont il n'est pourtant pas contesté qu'ils sont applicables, étaient inopérants, d'erreurs de fait et de qualification juridique ;

- le tribunal a dénaturé les pièces du dossier ;

- la procédure suivie à son encontre est entachée d'illégalité en l'absence de séparation des fonctions d'instruction et de sanction entre le service national d'enquête et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la DGCCRF doit être regardée comme étant un tribunal et les sanctions qu'elle prononce sont de nature pénale, au sens de la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme ; si le ministre de l'économie invoque la décision 2014-690 du Conseil constitutionnel rendue a priori sur la loi ayant accordé à la DGCCRF un pouvoir de sanction, elle ne tranche pas la question du droit pour une autorité administrative d'exercer un pouvoir, d'enquête, de sanction, d'ordonner des mesures de publicité de cette sanction, voire d'édicter une nouvelle norme ; l'avis du 21 décembre 2018 du Conseil d'Etat, ANAH, n'est pas transposable aux sanctions prononcées par la DGCCRF ; l'arrêt de la cour administrative d'appel du 7 juillet 2020 ne tranche pas davantage cette question ;

- l'arrêté du 3 décembre 1987 ne peut servir de fondement aux sanctions litigieuses dès lors qu'il est insuffisamment précis ;

- quand bien même elle serait applicable, la circulaire d'interprétation du 19 juillet 1988 est illégale en ce qu'elle va plus loin que l'arrêté du 3 décembre 1987 en introduisant l'idée que le prix total doit apparaître " d'emblée ", notion qui n'est pas visée par la DGCCRF dans son courrier du 11 août 2017 ; cette circulaire est le fondement des sanctions litigieuses ;

- l'article L. 112-1 du code de la consommation est illégal dès lors qu'il ne pouvait renvoyer à un arrêté le soin de définir le délit ; la loi est entachée d'une incompétence négative dès lors que la définition d'un prix qui affecte la liberté de commerce et d'industrie, relève exclusivement du domaine de la loi ; les règles en cause sont également relatives aux obligations civiles et commerciales et affectent la liberté du commerce, domaine de la loi ;

- les décisions litigieuses contreviennent au principe de légalité des délits et des peines ; la DGCCRF a, sous couvert d'interprétation de la norme, créé un nouveau délit qui n'était ni intelligible ni prévisible, en violation de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la DGCCRF a créé par son courrier du 11 août 2017 une nouvelle norme alors qu'elle n'en avait pas le pouvoir ;

- la pratique de Bouygues Télécom et sa communication sont conformes aux textes applicables ; les décisions sont entachées d'une erreur de fait ; le tribunal a inexactement décrit la pratique de Bouygues Télécom ; contrairement à ce qu'il a estimé, l'affichage du prix de la box n'était pas en petits caractères quand bien même il l'était dans une police inférieure au prix de l'abonnement ; tout au plus une absence d'affichage du prix total réclamé peut-elle être constatée pour le support n° 12 objet d'un contrôle sur internet le 2 février 2018 ;

- les sanctions prononcées ne respectent pas les principes d'individualisation et de proportionnalité des peines ; le choix de retenir la peine maximum pour chaque manquement n'est pas justifié alors que la pratique litigieuse a été considérée comme légale pendant dix ans et que la société a modifié sa pratique dans le délai de six mois prescrit par le courrier de la DGCCRF du 11 août 2017 ; la sanction prononcée à l'encontre d'Orange est d'un montant identique alors que ses parts de marché sont quatre fois supérieures à celles de Bouygues Télécom et que ses pratiques ont duré treize années ; le tribunal administratif n'a pas exercé son pouvoir de contrôle ;

- la DGCCRF ne pouvait procéder à un cumul des sanctions en multipliant une amende par un nombre de manquements constatés lors d'une même procédure de contrôle et correspondant à une pratique unique ; il appartiendrait, par conséquent, à la Cour de réformer le montant total de la sanction pécuniaire infligée à l'exposante à hauteur de cet unique manquement.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 août 2021 le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la consommation ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;

- la loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022 mettant fin aux régimes d'exception créés pour lutter contre l'épidémie liée à la covid-19 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- l'arrêté du 3 décembre 1987 relatif à l'information du consommateur sur les prix ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Boizot,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public ;

- et les observations de Me Carrasco pour la SA Bouygues Télécom.

Une note en délibéré a été présentée le 13 janvier 2025 pour la SA Bouygues Télécom par la SCP Piwnica et Molinié.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier en date du 11 août 2017, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a rappelé aux fournisseurs d'accès internet leur obligation d'indiquer, dans le cadre de leurs offres d'abonnement internet ligne fixe, la somme totale que devra payer le consommateur et leur précisait qu'ils devaient mettre leur pratique en conformité avec cette obligation au plus tard le 1er février 2018. Le contrôle de la SA Bouygues Télécom, mené par les agents de la DGCCRF le 2 février et le 9 février 2018 dans plusieurs boutiques et sur le site internet de la société ayant révélé que plusieurs supports présents en boutiques et sur les pages internet ne permettaient pas au consommateur de prendre connaissance d'emblée du prix total dont il devra s'acquitter pour un abonnement internet ligne fixe, un procès-verbal a été dressé le 22 février 2018 et communiqué à la SA Bouygues Télécom par un courrier en date du 26 février 2018 l'informant des sanctions envisagées. Par une décision du 13 avril 2018, le chef du service national des enquêtes de la DGCCRF a infligé à la SA Bouygues Télécom une amende d'un montant total de 315 000 euros en raison de 21 manquements retenus et a ordonné la publication de cette décision sur le seul site internet de la DGCCRF ainsi que sur les pages de ses comptes Facebook et Twitter pendant une durée de deux mois. A la suite du recours gracieux du 14 juin 2018 formé par la société, la sanction a été ramenée, par une décision du 14 août 2018, à la somme de 300 000 euros pour 20 manquements finalement retenus et les mesures de publicité précédemment ordonnées sur le site internet de la DGCCRF par la décision du 13 avril 2018 ont été confirmées. Par un jugement n° 1818297 du 9 février 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la SA Bouygues Télécom tendant à l'annulation des décisions des 13 avril et 14 août 2018 précitées. Par un arrêt n° 21PA01835 du 24 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel formé contre ce jugement. Saisi d'un pourvoi par la SA Bouygues Télécom, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt pour erreur de droit et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Aux termes de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif : " Durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée, il est dérogé aux dispositions législatives et réglementaires applicables aux juridictions administratives dans les conditions prévues au présent titre ". Aux termes de l'article 12 de cette ordonnance : " Par dérogation aux articles R. 741-7 à R. 741-9 du code de justice administrative, la minute de la décision peut être signée uniquement par le président de la formation de jugement ". Aux termes de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 : " Par dérogation aux dispositions de l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, l'état d'urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi. / (...) ". Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué, qui a été rendu pendant la période de l'état d'urgence sanitaire, laquelle s'est achevée le 31 juillet 2022, date d'entrée en vigueur de la loi du 30 juillet 2022 visée ci-dessus, est revêtue de la signature du président de la formation de jugement. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative manque ainsi en fait.

3. En deuxième lieu, il ressort des points 10 et 11 du jugement attaqué que les premiers juges, après avoir cité les dispositions du code de la consommation applicables en cas de manquement en concours, et relevé notamment que la société requérante ne pouvait utilement invoquer un cumul irrégulier des sanctions, ont apprécié, pour chacun des manquements sanctionnés, la proportionnalité des sanctions prononcées au regard de différents critères permettant d'apprécier la gravité des manquements commis au regard de la finalité des sanctions en cause. Ce faisant, et alors qu'ils ne disposent pas d'un pouvoir de modulation, s'agissant de sanctions administratives, ils ont régulièrement exercé leur contrôle de plein contentieux sur la proportionnalité des sanctions en litige.

4. En dernier lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La SA Bouygues Télécom ne peut donc utilement se prévaloir de la dénaturation des pièces du dossier et des erreurs de droit, de fait et de qualification juridique qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

Sur la régularité de la procédure :

5. Aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ". Aux termes de l'article L. 511-3 du code de la consommation : " Les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont habilités à rechercher et constater les infractions ou les manquements aux dispositions mentionnées à la présente section dans les conditions définies par celles-ci ".

6. Si les amendes administratives prononcées par la DGCCRF sur le fondement de l'article L. 131-5 du code de la consommation, sont des accusations en matière pénale, au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'en résulte pas que la procédure de sanction doive respecter les stipulations du 1 de cet article, dès lors, d'une part, que le directeur, compétent pour prendre les mesures de sanction, ne peut être regardé comme un tribunal au sens des stipulations de cet article, et, d'autre part, que la décision de sanction peut faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant la juridiction administrative, devant laquelle la procédure est en tous points conforme aux exigences de l'article 6. Par ailleurs, le principe d'impartialité, qui est un principe général du droit s'imposant à tous les organismes administratifs, n'impose pas qu'il soit procédé au sein de la DGCCRF, qui n'est pas une autorité administrative indépendante mais un service de l'Etat, à une séparation des fonctions de poursuite et de sanction dès lors que le pouvoir de sanction de l'administration est aménagé, sous le contrôle du juge, comme en l'espèce, de façon à assurer le respect des droits de la défense et des principes de légalité, de nécessité, de personnalité et de proportionnalité de la sanction, le caractère contradictoire de la procédure, et l'impartialité de la décision. En outre, dans l'exercice des pouvoirs de contrôle et de sanction qu'elle tient de l'article L. 131-5 du code de la consommation, la DGCCRF est tenue de se conformer au principe d'impartialité, principe général du droit s'imposant à tous les organismes administratifs. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité issu de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

Sur le bien-fondé des sanctions :

7. D'une part, aux termes de l'article L. 112-1 du code de la consommation : " Tout vendeur de produit ou tout prestataire de services informe le consommateur, par voie de marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié, sur les prix et les conditions particulières de la vente et de l'exécution des services, selon des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l'économie, après consultation du Conseil national de la consommation ". Aux termes de l'article L. 131-5 du même code : " Tout manquement aux dispositions de l'article L. 112-1 définissant les modalités d'information sur le prix et les conditions de vente ainsi qu'aux dispositions des arrêtés pris pour son application est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale ". D'autre part, aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 1987 relatif à l'information du consommateur sur les prix : " Toute information sur les prix de produits ou de services doit faire apparaître, quel que soit le support utilisé, la somme totale toutes taxes comprises qui devra être effectivement payée par le consommateur, exprimée en euros. Toutefois, peuvent être ajoutés à la somme annoncée les frais ou rémunérations correspondant à des prestations supplémentaires exceptionnelles expressément réclamées par le consommateur et dont le coût a fait l'objet d'un accord préalable ". Enfin, l'article 3 de cet arrêté dispose que : " Lorsque le prix annoncé ne comprend pas un élément ou une prestation de services indispensables à l'emploi ou à la finalité du produit ou du service proposés, cette particularité doit être indiquée explicitement ".

8. En premier lieu, la SA Bouygues Télécom conteste le bien-fondé des sanctions litigieuses en faisant valoir que l'article L. 112-1 du code de la consommation est entaché d'une incompétence négative dès lors qu'il ne pouvait renvoyer à un arrêté la définition d'un prix, qui affecte la liberté de commerce et d'industrie et met en jeu des règles relatives aux obligations civiles et commerciales relevant exclusivement du domaine de la loi. Il résulte de l'instruction et notamment des courriers du 11 août 2017 et du 26 février 2018 adressés à la société Bouygues Télécom que les sanctions litigieuses se fondent sur des manquements de cette société à l'article L. 112-1 du code de la consommation pour non-respect des modalités prescrites par l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 1987 relatif à l'information du consommateur sur les prix.

9. Tout d'abord, il convient de rappeler qu'il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la conformité de la loi à la Constitution, alors que la société appelante n'assortit pas ce moyen d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution. Par ailleurs, par une décision SFR et Numéricable du 3 mars 2017, n° 398822, le Conseil d'Etat a jugé que dès lors que le législateur a prévu une obligation d'information des consommateurs à la charge des vendeurs de produit ou des prestataires de services sur les prix et les conditions particulières de la vente et de l'exécution des services, il pouvait, sans méconnaître l'étendue de sa compétence, renvoyer au ministre chargé de l'économie le soin de fixer les modalités particulières de cette information et il a rejeté la demande de renvoi au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 112-1 du code de la consommation. Il suit de là que la SA Bouygues Télécom n'est pas non plus fondée à soutenir que l'arrêté du 3 décembre 1987 visé ci-dessus, dont l'objet ne consiste pas à définir un prix mais à préciser les modalités selon lesquelles son affichage doit permettre le respect de l'obligation d'information du consommateur sur son contenu, serait entaché d'illégalité en tant qu'il aurait été pris dans un domaine relevant de la loi en dehors de toute habilitation législative. Par suite, le moyen doit être écarté.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international ". Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ".

11. Contrairement à ce que soutient la SA Bouygues Télécom, la circonstance que la DGCCRF n'a pas procédé précédemment à une remise en cause des pratiques de la société ne saurait révéler qu'elle l'aurait admise ni qu'elle aurait créé une règle de droit nouvelle en la sanctionnant. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que, le 11 août 2017, l'administration a adressé une lettre aux fournisseurs d'accès à l'internet fixe rappelant les dispositions en matière d'information du consommateur sur les prix et plus particulièrement l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 1987 et les invitant à mettre leurs informations tarifaires en conformité avec ces dispositions au plus tard le 1er février 2018, date à partir de laquelle des contrôles pourraient être réalisés et des sanctions pourraient être appliquées. Ces dispositions, qui précisent que l'information sur le prix doit faire apparaître la somme totale réclamée au consommateur, sont claires et intelligibles. Par ailleurs, si la société invoque des avis rendus par le conseil national de la consommation en 2006 et 2007 faisant état de la possibilité de distinguer le prix de l'abonnement de celui de la location du modem, il convient de relever qu'aux termes de l'article D. 821-1 du code de la consommation, le rôle du conseil national de la consommation est purement consultatif et ses avis n'ont pas de valeur décisoire. Au demeurant, ces avis n'impliquent pas qu'un prix unique soit annoncé. En outre, si la société requérante fait valoir que la sanction repose également sur la circulaire d'interprétation en date du 19 juillet 1988 d'application de l'arrêté du 3 décembre 1987 qui prévoit que le consommateur doit connaître " d'emblée " la totalité du prix dont il devra s'acquitter, le contenu de cette circulaire n'a pour objet ni d'imposer une hiérarchisation des informations transmises au consommateur ni d'autoriser d'autres modalités d'information sur les prix que celles prévues par l'arrêté du 3 décembre 1987 et notamment pas un prix unique. Par suite l'administration n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que la société requérante avait méconnu son obligation d'information du consommateur sur les prix en tant que cette information ne portait pas sur la totalité du prix réclamé. En tout état de cause, la décision attaquée n'est pas fondée sur la circulaire mais bien sur les seules dispositions de l'article L. 112-1 du code de la consommation précisées par l'arrêté du 3 décembre 1987. Dans ces conditions, la SA Bouygues Télécom n'est pas fondée à soutenir qu'en la sanctionnant pour non-respect de l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 1987, la DGCCRF aurait appliqué une règle qui n'était ni prévisible ni intelligible en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe de légalité des délits et des peines prévu par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens. Ce moyen doit être écarté.

12. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 131-5 du code de la consommation : " Tout manquement aux dispositions de l'article L. 112-1 définissant les modalités d'information sur le prix et les conditions de vente ainsi qu'aux dispositions des arrêtés pris pour son application est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale ".

13. Les dispositions des articles 1er et 3 de l'arrêté du 3 décembre 1987, prises sur le fondement de l'article L. 112-1 du code de la consommation, imposent à tout vendeur d'un produit et à tout prestataire d'un service d'informer le consommateur de la somme totale toutes taxes comprises qui devra être effectivement payée par le consommateur pour le produit ou le service qu'il propose, et, lorsqu'un élément ou une prestation de services indispensable à l'emploi ou à la finalité du produit ou du service proposé n'est pas compris dans ce dernier, de l'indiquer explicitement. Par suite, les dispositions de l'article 3 de cet arrêté ne dispensent pas un professionnel proposant une offre d'accès à l'internet par ligne fixe comportant la location payante du modem indispensable à ce service de l'obligation, en vertu de l'article 1er du même arrêté, d'afficher un prix total incluant l'ensemble de ces prestations. En revanche, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de fixer les modalités de cet affichage du prix, dès lors que celles-ci n'équivalent pas à une absence d'information sur le prix total de l'ensemble des prestations.

14. Il ressort des énonciations de la décision du 14 août 2018 et de l'enquête réalisée par les inspecteurs de la concurrence, de la répression, de la concurrence et de la répression des fraudes les 2, 9 et 15 février 2018 dans les boutiques Bouygues Télécom et sur le site internet www.bouyguestelecom.fr que 20 manquements aux dispositions de l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 1987 précité ont été constatés. Ainsi, en boutique, il a été relevé que la principale information tarifaire portée à l'attention du consommateur était celle du prix hors coût de location de la box et que le détail de ce coût était indiqué en-dessous du prix mis en avant, et, ce dans une police de taille inférieure et non grasse et qu'en conséquence, le prix global tel que positionné ne constituait pas l'information principale sur le coût total, qui lui n'était visible que par un renvoi en bas de page et en petits caractères. Sur le site internet, les contrôles ont mis en évidence un prix principal annoncé hors coût de location de la box, écrit dans une police de caractère plus importante que toutes les autres indications de prix, dans une couleur vive ou au sein d'un encadré se démarquant par sa couleur vive. Au regard de ces constats, l'administration a estimé que la pratique mise en œuvre, consistant à n'afficher le prix total de la prestation qu'en petits caractères, méconnaissait les dispositions des articles 1er et 3 de l'arrêté du 3 décembre 1987 citées au point 13, en ne permettant pas au consommateur de prendre d'emblée connaissance du prix total de la prestation. Or, il résulte de ce qui a été dit au point 13 que ces dispositions de l'arrêté n'imposent pas de modalités d'affichage du prix total déterminées, dès lors que celles-ci n'équivalent pas à une absence d'information sur ce prix total, l'administration a donc méconnu les dispositions précitées et elle n'était pas fondée à prononcer une sanction administrative pour des manquements de cette nature. Il n'en demeure pas moins que, si pour l'essentiel les manquements finalement retenus correspondaient effectivement à la mention en petits caractères du prix total des offres, il ressort également du procès-verbal du 22 février 2018 que les inspecteurs de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont constaté, le 2 février 2018, lors des contrôles réalisés sur internet que pour les trois offres box internet Bbox Miami +, Bbox Miami et Bbox, le prix total de l'offre était absent de la page (support n° 12). Au regard de ce qui précède, il apparaît que seul un manquement aux dispositions des articles 1er et 3 de l'arrêté du 3 décembre 1987 peut être retenu à l'encontre de la société Bouygues Télécom.

15. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 131-5 du code de la consommation : " Tout manquement aux dispositions de l'article L. 112-1 définissant les modalités d'information sur le prix et les conditions de vente ainsi qu'aux dispositions des arrêtés pris pour son application est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale. Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V ". L'article L. 522-7 de ce code dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dispose que : " Lorsque, à l'occasion d'une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l'encontre du même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s'exécutent cumulativement ".

16. La SA Bouygues Télécom soutient que la DGCCRF ne pouvait procéder à un cumul de sanctions en multipliant une amende par un nombre de manquements constatés lors d'une même procédure de contrôle et correspondant à une pratique unique. Contrairement à ce que soutient la société, l'administration peut, au regard des dispositions précitées de l'article L. 131-5 du code de la consommation, légalement prononcer une sanction d'un montant maximum de 15 000 euros le manquement relevé à l'encontre de la société requérante, mentionné au point 14 du présent arrêt. De même, pour demander à la Cour de ramener le montant de l'amende à de plus justes proportions la société Bouygues Télécom ne saurait utilement se prévaloir de la tolérance dont les pratiques au titre desquels elle a été sanctionnée a été longtemps tolérée par l'administration, ni du montant des sanctions prononcées à l'égard d'autres sociétés de son groupe, pour des manquements au demeurant plus anciens, dès lors qu'il n'est pas établi qu'elles soient placées dans une situation comparable. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la gravité du manquement reproché, qui fait obstacle à ce que les clients puissent sérieusement comparer les prix des prestations offertes avec ceux de la concurrence, à la finalité de la sanction contestée consistant à sanctionner à des fins pédagogiques et dissuasives les manquements à une réglementation qui vise à protéger les consommateurs contre les mauvaises pratiques des professionnels, ainsi qu'à la position économique sur le marché internet de la SA Bouygues Télécom et à l'importance du volume des ventes de contrats d'accès internet en ligne fixe réalisés durant la période de contrôle, soit 28 270 contrats vendus entre le 2 et le 11 février 2018, et à la circonstance que la SA Bouygues Télécom n'a pas modifié l'intégralité de sa pratique, commencée en avril 2016, dans le délai courant jusqu'au 1er février 2018 laissé par le courrier du 11 août 2017 mentionné au point 11 du présent arrêt, elle n'est pas fondée à soutenir qu'un montant maximum de 15 000 euros pour le manquement relevé présente un caractère disproportionné.

17. Au regard de ce qui a été indiqué au point 14, il y a lieu pour la Cour de ramener à la somme de 15 000 euros, le montant de l'amende administrative infligée au titre du code de la consommation et de l'arrêté du 3 décembre 1987.

Sur la publication de la sanction :

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre à la DGCCRF de mentionner la présente décision sur son site internet.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Bouygues Télécom est seulement fondée à demander, à concurrence de la réalisation d'un manquement, dans les conditions indiquées au point 14 du présent arrêt, la réformation de la décision du 14 août 2018 par laquelle la DGCCRF a ramené, suite au recours gracieux, l'amende administrative à un montant de 300 000 euros et a confirmé la mesure de publication de cette décision sur le site internet de la direction générale pendant une durée de deux mois.

Sur les frais liés à l'instance :

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Bouygues Télécom et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le montant de l'amende administrative prononcé à l'encontre de la société Bouygues Télécom par la décision du 14 août 2018 est ramené à la somme de 15 000 euros.

Article 2 : L'Etat versera à la SA Bouygues Télécom la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Il est enjoint à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de mentionner la présente décision sur son site internet.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par la SA Bouygues Télécom est rejeté.

Article 5 : Le jugement n° 1818297 du 9 février 2021 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Bouygues Télécom et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Lemaire, président assesseur,

- Mme Boizot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 24 janvier 2025.

La rapporteure,

S. BOIZOT Le président,

S. CARRÈRE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA02817


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA02817
Date de la décision : 24/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: Mme Sabine BOIZOT
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : CABINET ALTANA

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-24;24pa02817 ?
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