Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... E... épouse C... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée.
Par une ordonnance n° 2405320 du 22 mai 2024, la présidente de la 3ème chambre du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juin 2024, Mme E... épouse C..., représentée par Me Maugendre, demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 22 mai 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 25 janvier 2024 ;
3°) d'enjoindre au préfet territorialement compétent de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance attaquée est irrégulière en ce qu'elle n'est pas motivée ;
- elle a omis de statuer sur les moyens tirés d'une insuffisance de motivation, d'une erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- son auteure a excédé la compétence qu'elle tire des dispositions du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative en considérant que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est manifestement pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
- la décision de refus de titre de séjour a été signée par une autorité incompétente ;
- elle n'est pas motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces dispositions ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces stipulations ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces stipulations ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est, par voie d'exception, illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle a été signée par une autorité incompétente ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces stipulations ;
- la décision fixant le délai de départ volontaire n'est pas motivée ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est, par voie d'exception, illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle a été signée par une autorité incompétente.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Desvigne-Repusseau,
- et les observations de Me Souron-Cosson, substituant Me Maugendre, avocat de Mme E... épouse C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... épouse C..., ressortissante tunisienne née en 1984, a sollicité le 19 avril 2023 son admission exceptionnelle au séjour en France. Par un arrêté du 25 janvier 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée. Mme E... épouse C... fait appel de l'ordonnance du 22 mai 2024 par laquelle la présidente de la 3ème chambre du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : / 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours (...) les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, (...) des moyens inopérants ou des moyens qui (...) ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé / (...) ".
3. Pour rejeter la demande de Mme E... épouse C... sur le fondement des dispositions précitées du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, la présidente de la 3ème chambre du Tribunal administratif de Montreuil a relevé, après avoir indiqué que les moyens tirés d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen étaient manifestement infondés et que le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration était inopérant, que les moyens tirés d'une erreur de droit, d'une erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'étaient manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Toutefois, Mme E... épouse C... a indiqué, dans ses écritures de première instance, à l'appui du moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et dirigé contre la décision portant refus de titre de séjour, qu'elle " a établi le centre stable de sa vie privée, professionnelle et familiale sur le territoire national où elle vit depuis de nombreuses années en compagnie de ses quatre enfants, dont deux mineurs scolarisés ". A..., et alors même que la demande de Mme E... épouse C... n'était assortie que d'une copie de l'arrêté attaqué, ce moyen était assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Dès lors, la requérante est fondée à soutenir que, pour ce motif, la présidente de la 3ème chambre du Tribunal administratif de Montreuil ne pouvait, sans excéder sa compétence, se fonder sur les dispositions précitées du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative pour rejeter sa demande. Par suite, l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité et doit être annulée.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme E... épouse C... devant le Tribunal administratif de Montreuil.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. Il ressort des pièces du dossier, produites pour la première fois en appel, qu'afin de faciliter la prise en charge médicale en France de leur fils aîné, D..., né le 6 août 2004, qui est atteint d'une choréoathétose congénitale et qui est suivi pour cette pathologie depuis le 21 août 2014 en France, Mme E... épouse C... et son époux, également de nationalité tunisienne, ont délégué leur autorité parentale, en vertu d'un jugement du Tribunal de grande instance de Bobigny en date du 2 décembre 2016, entre les mains du beau-frère de la requérante, qui réside régulièrement en France et qui s'occupe, avec son épouse, de leur neveu D.... Il ressort également des pièces du dossier qu'en raison des difficultés rencontrées par son beau-frère et son épouse dans la prise en charge quotidienne de D... qui souffre d'un lourd handicap, physique et mental, Mme E... épouse C... est entrée régulièrement en France le 20 juillet 2017 pour s'occuper de son fils aîné et qu'elle y réside depuis lors sans discontinuer, soit depuis près de sept ans à la date de l'arrêté attaqué. Si la prise en charge médicale de D... a permis d'améliorer son état de santé et de limiter son handicap, il ressort néanmoins des pièces du dossier qu'il n'est pas en capacité de subvenir par lui-même à ses propres besoins, alors même qu'il est devenu majeur le 6 août 2022, dès lors que sa tante a saisi, en avril 2023, le juge des tutelles du Tribunal judiciaire de Bobigny d'une demande de mise sous protection juridique de son neveu au nom et au bénéfice des parents de celui-ci, que l'équipe médicale qui le suit régulièrement indique qu'il n'est pas autonome dans le quotidien, que sa mère l'accompagne lors de ses visites médicales et que la présence de celle-ci à ses côtés est indispensable, que, par une décision du 28 novembre 2023, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées lui a reconnu un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80 % et qu'au surplus, il a obtenu, après l'intervention de l'arrêté attaqué, une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " valable du 9 février 2024 au 8 février 2028. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que Mme E... épouse C... et son conjoint sont également les parents de trois autres enfants nés, respectivement, les 2 avril 2006, 27 novembre 2007 et 17 mars 2018, que leurs enfants, mineurs à la date de l'arrêté attaqué, sont scolarisés en France depuis leur arrivée sur le sol national en 2017 pour les deux premiers, le dernier, né en France, n'ayant jamais vécu en Tunisie. Enfin, il ressort des pièces du dossier que l'époux de la requérante vit en France auprès d'elle ainsi que de leurs enfants depuis près de sept ans à la date de l'arrêté attaqué et qu'il exerce de manière continue une activité salariée d'agent de propreté au sein de la même société depuis août 2017. A..., dans les circonstances particulières de l'espèce, le préfet de la Seine-Saint-Denis a entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de Mme E... épouse C....
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme E... épouse C... est fondée à demander l'annulation de la décision du 25 janvier 2024 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, l'annulation des décisions du même jour par lesquelles le même préfet l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution / (...) ". Aux termes de l'article L. 911-3 de ce code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".
8. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait de Mme E... épouse C..., que le préfet de la Seine-Saint-Denis ou tout autre préfet devenu territorialement compétent délivre à celle-ci une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification de cet arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par Mme E... épouse C... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 2405320 de la présidente de la 3ème chambre du Tribunal administratif de Montreuil en date du 22 mai 2024 et l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis en date du 25 janvier 2024 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis ou à tout autre préfet devenu territorialement compétent de délivrer à Mme E... épouse C... une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme E... épouse C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme E... épouse C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... épouse C..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Hamon, présidente,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
- M. Emmanuel Laforêt, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.
Le rapporteur,
M. DESVIGNE-REPUSSEAULa présidente,
P. HAMON
La greffière,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA02648