Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) Vinci a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014 et de contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés et de contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014.
Par un jugement n° 2100682 du 3 mai 2024, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la SA Vinci.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 juin 2024 et 21 octobre 2024, la SA Vinci, représentée par la société d'avocats CMS Francis Lefebvre Avocats, demande à la Cour :
1°) d' annuler le jugement n° 2100682 du tribunal administratif de Montreuil en date du 3 mai 2024 ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014 et de contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés et de contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement entrepris est insuffisamment motivé ;
- il est entaché de dénaturation des faits et de contradiction de motifs ;
- M. A... a exercé des fonctions opérationnelles de directeur général de la Division Europe au profit de la société VEE, détachables de son mandat social, et les charges correspondantes, refacturées à la société VEE par la société VED, au sein de laquelle il était resté salarié, étaient dès lors déductibles des résultats de la société VEE, qui n'a pas agi dans un intérêt étranger au sien et n'a consenti à la société VED aucun avantage dépourvu de contrepartie ;
- en tout état de cause, à supposer que les fonctions fussent inhérentes au mandat social, leur réalité et leur importance justifiaient le versement d'une rémunération indirecte de ce mandat.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 août 2024 et 7 novembre 2024, le second n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SA Vinci ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lemaire,
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,
- et les observations de Me Carcelero, représentant la SA Vinci.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Vinci Energies Europe (" VEE "), anciennement dénommée Vinci Energies International (" VEI ") et devenue la SAS Vinci Energies Europe North West, qui exerce son activité dans le domaine de l'ingénierie électrique, est détenue par la société anonyme (SA) Vinci Energies, elle-même filiale de la SA Vinci. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos de 2012 à 2014 compris et, à l'issue d'une procédure de rectification contradictoire, le service a réintégré à ses résultats imposables à l'impôt sur les sociétés une partie des sommes qu'elle avait versées au cours de ces exercices à la société de droit allemand Vinci Energies Deutschland Gmbh (" VED ") et qu'elle avait déduites de ses résultats au titre des charges. La SA Vinci, société mère du groupe fiscalement intégré auquel appartenait la SAS VEE, a été assujettie, en conséquence de ces rectifications, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, majorées des intérêts de retard. La SA Vinci relève régulièrement appel du jugement en date du 3 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et majorations.
Sur les conclusions à fin de décharge :
2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 de ce code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main d'œuvre (...) ".
3. Il résulte des articles 38 et 39 du code général des impôts, dont les dispositions sont applicables à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, que le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
4. Il appartient au contribuable, pour l'application des dispositions précitées de l'article 39 du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 de ce code que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Il peut apporter cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
5. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.
6. Il résulte de l'instruction, et notamment des propositions de rectification des 18 décembre 2015 et 20 juillet 2016, que le service vérificateur a remis en cause la déduction par la SAS VEE de ses résultats imposables à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, des sommes respectives de 466 667 euros, 590 000 euros et 754 000 euros. Ces sommes lui avaient été facturées par la société de droit allemand VED en contrepartie de la mise à sa disposition de M. A... et de son assistante, salariés de celle-ci. Le service a considéré, notamment en l'absence de contrat de travail conclu entre la SAS VEE et M. A... et en l'absence de convention de mise à disposition de M. A... conclue entre la SAS VEE et la société VED, que la nature et le montant des prestations facturées n'avaient pas été suffisamment justifiés et que la prise en charge par la SAS VEE de la rémunération et des frais correspondant à l'activité professionnelle de M. A... était étrangère à une gestion commerciale normale. Par un avis du 15 juin 2017, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires des Yvelines a relevé que la réalité des prestations effectuées par M. A... pour la SAS VEE n'était pas remise en cause et elle a estimé que devait être admise en déduction une partie des frais facturés, déterminée sur la base du temps de travail de M. A... passé hors d'Allemagne. Conformément à cet avis, le service a ramené les sommes réintégrées aux résultats imposables de la SAS VEE à 308 000 euros pour l'exercice clos en 2012, 424 800 euros pour l'exercice clos en 2013 et 573 040 euros pour l'exercice clos en 2014.
7. Il résulte de l'instruction que l'activité de la SAS VEE a consisté, au cours des exercices d'imposition en litige, à diriger, animer et coordonner l'une des divisions du pôle Energies du groupe Vinci, dont la SA Vinci Energies était responsable, la " Division Energies Europe ", laquelle rassemblait alors environ 200 à 300 sociétés opérationnelles, selon les années, situées en Europe, et particulièrement en Allemagne, mais également au Brésil, en Inde, en Indonésie et au Maroc, exerçant dans le même secteur d'activité et réparties en plusieurs " pôles de management ", chaque pôle étant dirigé par une société " tête de pôle de management ". M. A... avait été recruté par la société VED, l'une des sociétés " têtes de pôles de management ", pour exercer les fonctions de gérant par un contrat de travail conclu le 12 janvier 2006, prévoyant une rémunération mensuelle nette de 7 754 euros et un bonus annuel de 43 476 euros. Au cours des exercices en litige, M. A... exerçait les fonctions de président de la société VED, en contrepartie d'une rémunération annuelle de 5 000 euros, et, à compter du 23 mai 2012 et sans contrepartie, les fonctions de président de la SAS VEE.
8. Il résulte également de l'instruction que, le 27 janvier 2012, M. A..., salarié de la société VED, a été nommé par la SA Vinci Energies, société tête du pôle Energies, directeur général, à compter du 1er février 2012, de la division alors confiée à la SAS VEI, devenue la SAS VEE, société dont il était le directeur général adjoint depuis le 1er juillet 2010. Par des décisions de la SA Vinci Energies des 24 février 2012, 1er mars 2013 et 1er mars 2014, il lui a été respectivement accordé, pour l'année 2012, une rémunération mensuelle brute de 14 500 euros et un intéressement aux résultats 2011 de 210 000 euros, soit une rémunération globale de 402 850 euros, pour l'année 2013, une rémunération mensuelle brute de 16 000 euros et un intéressement aux résultats 2012 de 230 000 euros, soit une rémunération globale de 442 800 euros, et, pour l'année 2014, une rémunération mensuelle brute de 16 300 euros et un intéressement aux résultats 2013 de 240 000 euros, soit une rémunération globale de 456 790 euros. Ces sommes lui ont été versées par la société VED, dont il était le salarié, à raison de l'exercice des fonctions de directeur général de la division Europe du pôle Energies du groupe Vinci, dont il était responsable des résultats. Distinctes des fonctions de président de la SAS VEE, ces fonctions techniques et opérationnelles, dont l'exercice a conduit M. A... à effectuer de multiples déplacements professionnels dans tous les pays couverts par la division Europe, ont consisté, pour le compte de la SAS VEE, à définir la stratégie et à animer cette division, à superviser, assister et animer les centaines de sociétés relevant de celle-ci, à surveiller les opportunités de croissance externe et à piloter les opérations de croissance externe, à diriger le contrôle interne, le contrôle de gestion et le suivi budgétaire de l'ensemble des filiales de la division, à gérer le personnel et à piloter la politique de gestion des ressources humaines.
9. Il résulte enfin de l'instruction que les sommes forfaitaires facturées par la société VED à la SAS VEE à raison de la mise à disposition de M. A... correspondent à une estimation de la rémunération de ce salarié et de son assistante, dont le ministre ne soutient pas qu'elle était disproportionnée, ainsi que des frais liés à l'exercice de ses fonctions, cette estimation ayant été calculée au début de chaque exercice sur la base des frais de même nature effectivement supportés au cours de l'exercice précédent. Il est constant que, conformément à des conventions d'assistance conclues avec les sociétés " têtes de pôles de management ", la SAS VEE leur a intégralement refacturé les sommes versées à la société VED, avec une marge de 7 %, à raison des prestations correspondant à l'exercice par M. A... des fonctions d'animation, d'assistance et de supervision de la division.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A..., salarié de la société de droit allemand VED, a effectivement été mis par cette société à la disposition de la SAS VEI, devenue la SAS VEE, conformément aux instructions de la SAS Vinci Energies, société tête du pôle Energies du groupe Vinci, et qu'il a ainsi, au cours des exercices en litige, effectivement exercé les fonctions opérationnelles de directeur général de la division Europe, au nom et pour le compte de la SAS VEE, responsable de cette division. Il n'est pas sérieusement contesté que la société VED a supporté la rémunération de M. A..., ainsi que celle de son assistante et les frais professionnels correspondant à l'exercice de ces fonctions. Le ministre ne conteste pas sérieusement que les sommes facturées à la SAS VEE par la société VED à raison de cette mise à disposition ne sont pas anormalement élevées, eu égard à l'importance des fonctions exercées par M. A.... Ainsi, et sans qu'y fasse obstacle l'absence de contrat de travail conclu entre M. A... et la SAS VEE et de convention de mise à disposition conclue entre cette société et la société VED, le versement de ces sommes par la SAS VEE, qui est justifié, ne peut être regardé comme étant dépourvu de contrepartie ou comme procédant d'un acte anormal de gestion. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'elle a soulevés, la SA Vinci est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, en conséquence de la réintégration aux résultats imposables de la SAS VEE des sommes versées à la société VED, ainsi que des intérêts de retard s'y rapportant.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SA Vinci d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2100682 du tribunal administratif de Montreuil en date du 3 mai 2024 est annulé.
Article 2 : La SA Vinci est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, en conséquence de la réintégration aux résultats imposables de la SAS VEE des sommes versées à la société de droit allemand VED, ainsi que des intérêts de retard correspondants.
Article 3 : L'Etat versera à la SA Vinci une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Vinci et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Lemaire, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 11 avril 2025.
Le rapporteur,
O. LEMAIRE
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA02851