Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Vinci Energies Europe North West a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de retenue à la source, de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe additionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014.
Par un jugement n° 2100934 du 3 mai 2024, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la SAS Vinci Energies Europe North West.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 juin 2024 et 21 octobre 2024, la SAS Vinci Energies Europe North West, représentée par la société d'avocats CMS Francis Lefebvre Avocats, demande à la Cour :
1°) d' annuler le jugement n° 2100934 du tribunal administratif de Montreuil en date du 3 mai 2024 ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de retenue à la source, de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe additionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement entrepris est insuffisamment motivé ;
- il est entaché de dénaturation des faits et de contradiction de motifs ;
- les sommes versées par la société VEE à la société VED ne constituent pas des distributions, au sens du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, soumises à la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis de ce code, dès lors qu'elles correspondent à des charges déductibles se rapportant à l'exercice par M. A... des fonctions opérationnelles de directeur général de la Division Europe au profit de la société VEE, détachables de son mandat social ; en tout état de cause, à supposer que les fonctions fussent inhérentes au mandat social, leur réalité et leur importance justifiaient le versement d'une rémunération indirecte de ce mandat ;
- les charges facturées à la société VEE par la société VED étaient déductibles des résultats imposables à l'impôt sur les sociétés et, par suite, de la valeur ajoutée à retenir pour déterminer la base imposable à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, conformément au b du 4 du I de l'article 1586 sexies du code général des impôts ; en tout état de cause, ils étaient déductibles de la valeur ajoutée, eu égard au compte utilisé pour leur comptabilisation, et ce, indépendamment de leur déductibilité au regard de l'impôt sur les sociétés ;
- elle entend se prévaloir à cet égard, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations du paragraphe n° 250 des commentaires publiés au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-CVAE-BASE-20, ainsi que de celles du paragraphe n° 100 des commentaires publiés au même bulletin sous la référence BOI-CVAE-BASE-60.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 août 2024 et 7 novembre 2024, le second n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Vinci Energies Europe North West ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lemaire,
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,
- et les observations de Me Carcelero, représentant la SAS Vinci Energies Europe North West.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Vinci Energies Europe (" VEE "), anciennement dénommée Vinci Energies International (" VEI ") et devenue la SAS Vinci Energies Europe North West, qui exerce son activité dans le domaine de l'ingénierie électrique, est détenue par la société anonyme (SA) Vinci Energies, elle-même filiale de la SA Vinci. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos de 2012 à 2014 compris et, à l'issue d'une procédure de rectification contradictoire, le service a réintégré à ses résultats imposables à l'impôt sur les sociétés une partie des sommes qu'elle avait versées au cours de ces exercices à la société de droit allemand Vinci Energies Deutschland Gmbh (" VED ") et qu'elle avait déduites de ses résultats au titre des charges. La SA Vinci, société mère du groupe fiscalement intégré auquel appartenait la SAS VEE, a été assujettie, en conséquence de ces rectifications, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, majorées des intérêts de retard.
2. Par ailleurs, à l'issue de la vérification de comptabilité dont la SAS VEE a fait l'objet, le service a considéré que les sommes qu'elle avait versées au cours des exercices clos en 2013 et 2014 à la société de droit allemand VED devaient être regardées comme des revenus distribués, au sens du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, la SAS VEE étant redevable de la retenue à la source à raison de ces sommes sur le fondement du 2 de l'article 119 bis de ce code, et qu'elles ne pouvaient pas été déduites de la valeur ajoutée à prendre en compte pour déterminer la base imposable à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en application de l'article 1586 sexies du même code. En conséquence, la SAS VEE a été assujettie, au titre des années 2013 et 2014, à des rappels de retenue à la source, ainsi qu'à des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle à cette cotisation et de frais de gestion, majorés des intérêts de retard. La SAS Vinci Energies Europe North West relève régulièrement appel du jugement en date du 3 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et majorations.
Sur les conclusions à fin de décharge :
3. D'une part, aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / (...) ". Aux termes de l'article 110 de ce code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés. / (...) ". Aux termes de l'article 119 bis du même code, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " (...) / 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source (...) lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 1586 ter du code général des impôts : " I. - Les personnes (...) morales (...) qui exercent une activité dans les conditions fixées aux articles 1447 et 1447 bis et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 euros sont soumises à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. / II. - 1. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est égale à une fraction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie à l'article 1586 sexies. / (...) ". Aux termes de cet article 1586 sexies : " I. - Pour la généralité des entreprises (...) : / (...) / 4. La valeur ajoutée est égale à la différence entre : / a) D'une part, le chiffre d'affaires (...) / (...) / b) Et, d'autre part : / - les achats stockés de matières premières et autres approvisionnements, les achats d'études et prestations de services, les achats de matériel, équipements et travaux, les achats non stockés de matières et fournitures, les achats de marchandises et les frais accessoires d'achat ; / - diminués des rabais, remises et ristournes obtenus sur achats ; / - la variation négative des stocks ; / - les services extérieurs diminués des rabais, remises et ristournes obtenus, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois ou en crédit-bail ainsi que les redevances afférentes à ces biens lorsqu'elles résultent d'une convention de location-gérance ; toutefois, lorsque les biens pris en location par le redevable sont donnés en sous-location pour une durée de plus de six mois, les loyers sont retenus à concurrence du produit de cette sous-location ; / - les taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées, les contributions indirectes, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques ; / - les autres charges de gestion courante, autres que les quotes-parts de résultat sur opérations faites en commun ; / - les dotations aux amortissements pour dépréciation afférentes aux biens corporels donnés en location ou sous-location pour une durée de plus de six mois, donnés en crédit-bail ou faisant l'objet d'un contrat de location-gérance, en proportion de la seule période de location, de sous-location, de crédit-bail ou de location-gérance ; / - les moins-values de cession d'éléments d'immobilisations corporelles et incorporelles, lorsqu'elles se rapportent à une activité normale et courante. / (...) ".
5. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 20 juillet 2016, que le service vérificateur a remis en cause la déduction par la SAS VEE de ses résultats imposables à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013 et 2014, des sommes respectives de 590 000 euros et 754 000 euros. Ces sommes lui avaient été facturées par la société de droit allemand VED en contrepartie de la mise à sa disposition de M. A... et de son assistante, salariés de celle-ci. Le service a considéré, notamment en l'absence de contrat de travail conclu entre la SAS VEE et M. A... et en l'absence de convention de mise à disposition de M. A... conclue entre la SAS VEE et la société VED, que la nature et le montant des prestations facturées n'avaient pas été suffisamment justifiés et que la prise en charge par la SAS VEE de la rémunération et des frais correspondant à l'activité professionnelle de M. A... était étrangère à une gestion commerciale normale. Par un avis du 15 juin 2017, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires des Yvelines a relevé que la réalité des prestations effectuées par M. A... pour la SAS VEE n'était pas remise en cause et elle a estimé que devait être admise en déduction une partie des frais facturés, déterminée sur la base du temps de travail de M. A... passé hors d'Allemagne. Conformément à cet avis, le service a ramené les sommes réintégrées aux résultats imposables de la SAS VEE à 424 800 euros pour l'exercice clos en 2013 et 573 040 euros pour l'exercice clos en 2014.
6. Il résulte de l'instruction que l'activité de la SAS VEE a consisté, au cours des années d'imposition en litige, à diriger, animer et coordonner l'une des divisions du pôle Energies du groupe Vinci, dont la SA Vinci Energies était à la tête, la " Division Energies Europe ", laquelle rassemblait alors plus de 200 sociétés opérationnelles, situées en Europe, et particulièrement en Allemagne, mais également au Brésil, en Inde, en Indonésie et au Maroc, exerçant dans le même secteur d'activité et réparties en plusieurs " pôles de management ", chaque pôle étant dirigé par une société " tête de pôle de management ". M. A... avait été recruté par la société VED, l'une des sociétés " têtes de pôles de management ", pour exercer les fonctions de gérant par un contrat de travail conclu le 12 janvier 2006, prévoyant une rémunération mensuelle nette de 7 754 euros et un bonus annuel de 43 476 euros. Au cours des années en litige, M. A... exerçait les fonctions de président de la société VED, en contrepartie d'une rémunération annuelle de 5 000 euros, et, sans contrepartie, les fonctions de président de la SAS VEE.
7. Il résulte également de l'instruction que, le 27 janvier 2012, M. A..., salarié de la société VED, a été nommé par la SA Vinci Energies, société tête du pôle Energies, directeur général, à compter du 1er février 2012, de la division alors confiée à la SAS VEI, devenue la SAS VEE, société dont il était le directeur général adjoint depuis le 1er juillet 2010. Par des décisions de la SA Vinci Energies des 1er mars 2013 et 1er mars 2014, il lui a été respectivement accordé, pour l'année 2013, une rémunération mensuelle brute de 16 000 euros et un intéressement aux résultats 2012 de 230 000 euros, soit une rémunération globale de 442 800 euros, et, pour l'année 2014, une rémunération mensuelle brute de 16 300 euros et un intéressement aux résultats 2013 de 240 000 euros, soit une rémunération globale de 456 790 euros. Ces sommes lui ont été versées par la société VED, dont il était le salarié, à raison de l'exercice des fonctions de directeur général de la division Europe du pôle Energies du groupe Vinci, dont il était responsable des résultats. Distinctes des fonctions de président de la SAS VEE, ces fonctions techniques et opérationnelles, dont l'exercice a conduit M. A... à effectuer de multiples déplacements professionnels dans tous les pays couverts par la division Europe, ont consisté, pour le compte de la SAS VEE, à définir la stratégie et à animer cette division, à superviser, assister et animer les centaines de sociétés relevant de celle-ci, à surveiller les opportunités de croissance externe et à piloter les opérations de croissance externe, à diriger le contrôle interne, le contrôle de gestion et le suivi budgétaire de l'ensemble des filiales de la division, à gérer le personnel et à piloter la politique de gestion des ressources humaines.
8. Il résulte enfin de l'instruction que les sommes forfaitaires facturées par la société VED à la SAS VEE à raison de la mise à disposition de M. A... correspondent à une estimation de la rémunération de ce salarié et de son assistante, dont le ministre ne soutient pas qu'elle était disproportionnée, ainsi que des frais liés à l'exercice de ses fonctions, cette estimation ayant été calculée au début de chaque année sur la base des frais de même nature effectivement supportés au cours de l'année précédente. Il est constant que, conformément à des conventions d'assistance conclues avec les sociétés " têtes de pôles de management ", la SAS VEE leur a intégralement refacturé les sommes versées à la société VED, avec une marge de 7 %, à raison des prestations correspondant à l'exercice par M. A... des fonctions d'animation, d'assistance et de supervision de la division.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A..., salarié de la société de droit allemand VED, a effectivement été mis par cette société à la disposition de la SAS VEI, devenue la SAS VEE, conformément aux instructions de la SAS Vinci Energies, société tête du pôle Energies du groupe Vinci, et qu'il a ainsi, au cours des années en litige, effectivement exercé les fonctions opérationnelles de directeur général de la division Europe, au nom et pour le compte de la SAS VEE, responsable de cette division. Il n'est pas sérieusement contesté que la société VED a supporté la rémunération de M. A..., ainsi que celle de son assistante et les frais professionnels correspondant à l'exercice de ces fonctions. Le ministre ne conteste pas sérieusement que les sommes facturées à la SAS VEE par la société VED à raison de cette mise à disposition ne sont pas anormalement élevées, eu égard à l'importance des fonctions exercées par M. A.... Ainsi, et sans qu'y fasse obstacle l'absence de contrat de travail conclu entre M. A... et la SAS VEE et de convention de mise à disposition conclue entre cette société et la société VED, le versement de ces sommes par la SAS VEE, qui est justifié, ne peut être regardé comme étant dépourvu de contrepartie ou comme procédant d'un acte anormal de gestion. La SAS Vinci Energies Europe North West est dès lors fondée à soutenir que ces sommes ne peuvent pas être regardées comme des revenus distribués à la société de droit allemand VED, au sens des dispositions précitées du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, et qu'elles sont déductibles du chiffre d'affaires, sur le fondement des dispositions précitées de l'article 1586 sexies de ce code, pour la détermination de la valeur ajoutée à retenir pour la liquidation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises due au titre des années 2013 et 2014.
10. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la SAS Vinci Energies Europe North West est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de retenue à la source, de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle à cette cotisation et de frais de gestion, mis à sa charge au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des intérêts de retard s'y rapportant.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SAS Vinci Energies Europe North West d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2100934 du tribunal administratif de Montreuil en date du 3 mai 2024 est annulé.
Article 2 : La SAS Vinci Energies Europe North West est déchargée des rappels de retenue à la source, de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle à cette cotisation et de frais de gestion, mis à sa charge au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des intérêts de retard correspondants.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS Vinci Energies Europe North West une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Vinci Energies Europe North West et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Lemaire, président assesseur,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 11 avril 2025.
Le rapporteur,
O. LEMAIRE
Le président,
S. CARRERE
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA02852