Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Eqiom Bétons a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe additionnelle à cette cotisation qui lui ont été réclamés au titre des années 2014 et 2015 et des pénalités correspondantes, ainsi que la réduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe additionnelle initialement acquittées.
Par un jugement n° 2002748 du 1er juin 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21PA04303 du 7 décembre 2022, la Cour a prononcé la décharge des rappels d'impôts en litige en totalité au titre de l'année 2014 et à concurrence d'une réduction de base de 17 601 902 euros au titre de l'année 2015, ainsi que des frais d'assiette et intérêts de retard correspondants, a réformé le jugement du tribunal administratif de Montreuil en ce qu'il avait de contraire et a rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel formée par la société Eqiom Bétons contre ce jugement.
Par une décision n° 470624 du 12 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi présenté par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a annulé les articles 1er à 3 de l'arrêt de la Cour et lui a renvoyé l'affaire dans cette mesure.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoire enregistrés les 28 juillet 2021, 21 janvier 2022, 29 janvier 2024 et 26 juin 2024, la société Eqiom Béton, représentée par Mes Chatel et du Luart, demande à la Cour, dans le dernier état de ses conclusions :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la décharge des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe additionnelle à cette cotisation qui lui ont été réclamés au titre des années 2014 et 2015 et des pénalités correspondantes ;
2°) de prononcer la décharge de ces rappels et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'exception au principe de déductibilité des charges de services extérieurs relatives à la location de biens corporels pour une durée de plus de six mois s'étend aux sommes accessoires à la mise à disposition du bien loué mais non aux prestations annexes ;
- la neutralisation du loyer vise à rééquilibrer la situation avec un propriétaire, de sorte qu'il convient de distinguer entre les charges liées à l'existence du bien loué, non déductibles, et celles liées à son utilisation, déductibles ;
- la part des charges déductibles de la valeur ajoutée en tant que services annexes s'élève à 88,54 % des charges de location, selon les consignes de décomposition du prix retenue par le comité national routier (CNR), et non à 31,32 % comme retenu par le vérificateur ;
- le contrat en cause est un contrat de location de véhicules avec services de chauffeur et non un simple contrat de location ;
- l'administration a déjà admis la déduction des sommes versées en rémunération des prestations de chauffeur ;
- les frais liés à l'utilisation des véhicules tels les frais de carburant, de péages, de pneumatiques, doivent être déduits du chiffre d'affaires ;
- seules les données statistiques publiées par le comité national routier, prévu par les articles R. 3441-20 et suivants du code des transports, sur son site internet sont de nature à fournir une décomposition la plus juste possible des frais annexes à la location ;
- pour tenter d'obtenir des informations complémentaires, elle a sollicité l'ensemble de ses fournisseurs, dont la plupart ont refusé au motif que ces données sont confidentielles.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 novembre 2021 et 3 juin 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la société requérante n'est fondé.
Par ordonnance du 27 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 juillet 2024 à midi.
A la suite d'une invitation à produire des pièces formée sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la société Eqiom Bétons a présenté un nouveau mémoire, enregistré le 20 février 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code des transports ;
- le décret n° 2014-644 du 19 juin 2014 ;
- le code de justice administrative
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dubois ;
- les conclusions de Mme de Phily, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Romanik pour la société Eqiom Bétons.
Une note en délibéré a été enregistrée le 24 mars 2025 pour la société Eqiom Bétons.
Considérant ce qui suit :
1. La société Eqiom Bétons exerce une activité de fabrication de béton prêt à l'emploi. A la suite de la vérification de sa comptabilité portant sur les années 2014 et 2015, l'administration fiscale lui a notifié, par une proposition de rectification du 26 septembre 2017, des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe additionnelle à cette cotisation au titre de ces deux années. La société Eqiom Bétons a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'en prononcer la décharge, ainsi que celle des frais d'assiette et intérêts de retard correspondant, et de prononcer la restitution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dont elle s'était acquittée spontanément au titre de l'année 2014 à hauteur de 95 749 euros. Par un jugement 1er juin 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par un arrêt du 7 décembre 2022, la Cour a prononcé la décharge des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe additionnelle à cette cotisation en totalité au titre de l'année 2014 et à concurrence de la réduction de sa base imposable d'un montant de 17 601 902 euros au titre de l'année 2015, ainsi que des frais d'assiette et intérêts de retard correspondants, a réformé le jugement du tribunal en ce qu'il avait de contraire et a rejeté le surplus de l'appel de la société Eqiom Bétons. Par une décision du 12 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la Cour en tant qu'il faisait droit à cet appel et lui a renvoyé l'affaire dans cette mesure.
2. Aux termes de l'article 1586 ter du code général des impôts : " I. - Les personnes physiques ou morales (...) qui exercent une activité dans les conditions fixées aux articles 1447 et 1447 bis et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 euros sont soumises à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. / II. - 1. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est égale à une fraction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie à l'article 1586 sexies. (...) ". Aux termes du 4 du I de l'article 1586 sexies du même code : " La valeur ajoutée est égale à la différence entre : / a) D'une part, le chiffre d'affaires (...) / (...) / b) Et, d'autre part : / (...) / - les services extérieurs diminués des rabais, remises et ristournes obtenus, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois ou en crédit-bail ainsi que les redevances afférentes à ces biens lorsqu'elles résultent d'une convention de location-gérance ; toutefois, lorsque les biens pris en location par le redevable sont donnés en sous-location pour une durée de plus de six mois, les loyers sont retenus à concurrence du produit de cette sous-location (...) ". Pour l'application de ces dispositions, doivent être regardés comme des loyers afférents à des biens corporels l'ensemble des sommes versées en contrepartie d'une prestation dont l'objet principal est la mise à disposition de tels biens, y compris celles constituant la contrepartie d'une prestation accessoire à cette mise à disposition. En revanche, les sommes versées en contrepartie d'autres prestations, distinctes, fournies en complément de la mise à disposition de biens corporels et des prestations accessoires, n'ont pas le caractère de loyers. En cas de facturation globale, il appartient au preneur d'établir, par tous moyens, la fraction du prix qui correspond à ces prestations distinctes.
3. D'une part, il résulte tant des éléments mentionnés dans la proposition de rectification que des contrats produits par la société Eqiom Bétons, dont l'administration ne conteste pas qu'ils sont, en dépit de leur date, représentatifs des contrats en vigueur durant les années en litige, que pour assurer son activité de livraison de béton prêt à l'emploi sur les chantiers de ses clients, la société concluait avec des loueurs des contrats-cadres dont l'objet, conforme à l'article L. 3223-1 du code des transports, était la location de véhicules avec personnel de conduite et la fourniture des moyens et des services nécessaires à leur utilisation, notamment pour une durée supérieure ou égale à six mois. Ces contrats prévoyaient que le véhicule loué devait être en permanence en bon ordre de marche, de présentation et d'entretien et qu'en cas de panne, le loueur procéderait, au plus tard dans les quarante-huit heures, à la remise en service du véhicule ou à son remplacement par un véhicule de caractéristiques comparables. Ils précisaient également que le conducteur, affecté auprès du locataire, demeurait le préposé du loueur et que le loueur assumait seul la maîtrise et la responsabilité des opérations de conduite et le locataire celles des opérations de transport, comprenant le déchargement par le préposé du loueur sur instructions des clients. Des contrats d'application étaient ensuite conclus, précisant notamment les caractéristiques du véhicule loué et la durée de la location. Le prix de location devait être calculé pour chaque livraison, sur la base d'une grille de prix négociée lors de chaque contrat d'application, en fonction, principalement, de l'éloignement du chantier par rapport à l'unité de production et de la capacité du véhicule, un minimum étant en outre garanti en fonction de la durée de mise à disposition du camion.
4. D'autre part, aux termes de l'article R. 3441-20 du code des transports : " Le Comité national routier est un comité professionnel de développement économique qui a pour missions, dans les domaines du transport public routier de marchandises et du transport public routier collectif de personnes, à l'exception des transports urbains et suburbains de personnes, de : / 1° Participer à l'observation et au suivi des aspects économiques du marché du transport routier, notamment à travers l'analyse des coûts (...) ". L'analyse statistique réalisée par le comité, en application de ces dispositions, montre, en moyenne sur les mois de décembre 2012, décembre 2013, décembre 2014 et décembre 2015, que le coût de détention du véhicule représentait 11,06 % du coût d'exploitation d'un véhicule de transport régional de 40 tonnes, les salaires, autres éléments de rémunération et charges sociales 31,33 %, le carburant 23,78 %, les pneumatiques, l'entretien et les réparations 8,76 %, les péages 3,83 %, les frais de déplacement 3,38 %, les assurances, taxes, charges de structure et autres charges indirectes 17,91 %.
5. Pour le calcul de la valeur ajoutée servant de base imposable à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la société a, au titre de l'année 2014, déduit de son chiffre d'affaires 84 % des montants facturés par ses prestataires en contrepartie de la location de véhicules avec chauffeurs. Au titre de l'année 2015, elle a déduit de son chiffre d'affaires la totalité des montants ainsi facturés. Au cours de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, le vérificateur a ramené ces proportions de déduction à 31,33 % pour chacune des deux années, en admettant seulement la déductibilité des coûts des personnels conducteurs, appréciés à partir de l'analyse statistique réalisée par le comité national routier, mentionnée au point 4.
6. A l'appui de ses conclusions, la société soutient que doivent figurer au titre des charges déductibles du chiffre d'affaires, outre celles afférentes aux rémunérations et charges sociales des personnels conducteurs, les frais de restauration de ces derniers, ainsi que les sommes versées en contrepartie des charges de carburant et de péages, de même que d'usure des pneumatiques, d'entretien, de déplacement et d'assurance.
7. En premier lieu, pour l'application des dispositions de l'article 1586 sexies du code général des impôts, les sommes versées en contrepartie de la mise à disposition des véhicules loués, qui constituent des biens corporels pris en location, si celle-ci excède six mois, ne peuvent être déduites de la valeur ajoutée. Eu égard, notamment, à l'objet des prestations prévues par les contrats conclus par la société requérante, il en va de même des sommes versées en contrepartie de l'entretien, des réparations et des pneumatiques, lesquels visent à permettre au preneur de disposer d'un véhicule en permanence en bon ordre de marche et revêtent ainsi la nature de prestations accessoires à la mise à disposition des véhicules. En revanche, les sommes versées, d'une part, au titre des rémunérations et charges sur les rémunérations des personnels conducteurs, ainsi que l'avait d'ailleurs admis le vérificateur, de même que leurs frais de restauration, ainsi que les sommes payées, d'autre part, au titre du carburant utilisé lors des opérations de transport, doivent être considérées, en dépit de l'absence de facturation séparée, comme versées en contrepartie de prestations distinctes fournies en complément de la mise à disposition des véhicules.
8. En second lieu, pour établir, ainsi qu'il lui revient de le faire, la fraction du prix qui correspond à ces prestations distinctes, la société requérante se prévaut, d'une part, des statistiques établies par le comité national routier pour les véhicules de transport régional de 40 tonnes mentionnées au point 4, qui ne sont pas propres au transport de béton mais auxquelles le vérificateur s'est lui-même référé, et, d'autre part, des attestations fournies par six de ses prestataires loueurs de bétonnières - outre une attestation incomplète - donnant une répartition, pour 2014 ou pour les deux années 2014 et 2015, soit de leurs frais de fonctionnement afférant à la flotte mise à sa disposition, soit plus généralement de leurs charges d'exploitation. Elle fait également valoir le refus de plusieurs autres prestataires de lui fournir les informations qu'elle sollicitait, en raison soit de l'absence de comptabilité analytique, soit, le plus souvent, du caractère confidentiel des données considérées.
9. En ce qui concerne l'évaluation des frais de personnel, y compris les frais de restauration, si la société requérante soutient que leur proportion serait supérieure au taux de 31,33 % retenu par le vérificateur, elle n'en rapporte pas la preuve par les attestations qu'elle produit, mentionnant des taux compris entre 32 et 47,09 % sans qu'on connaisse au demeurant la pondération qu'il y aurait lieu d'opérer, alors que le service s'est fondé pour l'établissement de ce taux sur les données statistiques du comité national routier, auxquelles la société requérante se réfère également dans ses écritures.
10. Pour l'évaluation du montant des sommes versées au titre des frais de carburant, la société se prévaut du taux de 23,78 % résultant des statistiques du comité national routier et des attestations de ses prestataires mentionnant une part comprise entre 10,66 % et 32 % de leurs frais de fonctionnement. Il y a lieu, en l'absence de tout élément susceptible d'expliquer ces différences de répartition, et eu égard à la spécificité de l'activité de la société requérante caractérisée par des délais de livraison du béton inférieurs à 1h30 et donc des kilométrages inférieurs à la moyenne des véhicules de transport régional de 40 tonnes, de considérer que la société requérante établit à ce titre une fraction de 10 % des sommes facturées par les sociétés loueuses.
11. Enfin, eu égard aux spécificités de son activité, la société requérante n'établit pas, en tout état de cause, que les frais exposés par ses prestataires comprenaient des péages, qui auraient ainsi été inclus dans les prix dont elle s'est acquittée en contrepartie de la location de camions avec conducteurs. De même, si elle invoque des frais de déplacement et d'assurance, elle n'assortit pas ses allégations sur ces points de précisions suffisantes.
12. Il s'ensuit que la part des sommes facturées à la société requérante par ses prestataires loueurs de véhicules, au titre des locations de plus de six mois, qui peut être déduite de sa valeur ajoutée doit être fixée à 41,33 %. Ainsi, les montants à déduire, au titre de ces prestations, des bases d'imposition à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et à la taxe additionnelle à cette cotisation s'élèvent, pour 2014, à 12 986 527 euros au lieu de 9 844 373 euros et, pour 2015, à 12' 716' 075 euros au lieu de 9 639 358 euros.
13. Il résulte de ce qui précède que la société Eqiom Bétons est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge des impositions contestées à concurrence de la réduction de ses bases d'imposition fixée au point précédent, ainsi que, par voie de conséquence, celle des frais d'assiette et intérêts de retard correspondant.
14. Sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Eqiom Bétons et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La société Eqiom Bétons SAS est déchargée des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe additionnelle à cette cotisation à concurrence de la réduction de sa base d'imposition qui résulte de la déduction d'un montant de 12 986 527 euros au lieu de 9 844 373 euros pour 2014 et de 12 716 075 euros au lieu de 9 639 358 euros pour 2015 au titre des locations de plus de six mois de véhicules avec chauffeur, ainsi que des frais d'assiette et intérêts de retard correspondant.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 1er juin 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Eqiom Bétons au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eqiom Bétons et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction des vérifications nationales et internationales.
Délibéré après l'audience du 13 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la Cour,
- M. Barthez, président de chambre,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à dispositions au greffe, le 15 avril 2025
Le rapporteur,
J. DUBOISLa présidente,
P. FOMBEUR
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA05194 2