Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 22 juin 2020 par lequel la préfète du Tarn lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai d'un mois et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2003277 du 2 novembre 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 novembre 2021, sous le n° 21BX04313 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 21TL24313 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, M. B... D..., représenté par Me Kilinç, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 juin 2020 par lequel la préfète du Tarn lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai d'un mois et a fixé le pays de renvoi.
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article 6 de la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association institué par l'accord d'association conclu le 12 septembre 1963, entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie dès lors qu'il en remplit les conditions ;
- l'arrêté porte atteinte à sa vie privée et familiale au vu de ses attaches personnelles et familiales en France ;
- il doit bénéficier de la délivrance d'un titre de séjour lui permettant de continuer à exercer ses activités professionnelles.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2022, le préfet du Tarn conclut au rejet de la requête et fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 20 avril 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 20 mai 2022.
Par une décision du 25 novembre 2021, M. B... D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord d'association conclu le 12 septembre 1963, entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie ;
- la décision n° 1/80 du conseil d'association du 19 septembre 1980 relative au développement entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Haïli, président-assesseur.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né le 8 août 1979 à Sincanli (Turquie), de nationalité turque, est entré en France le 5 juillet 2003 muni d'un passeport turc portant la mention d'un visa C " famille de Français ", à la suite de son mariage contracté le 12 mai 2003 à Ankara avec Mme C... A..., de nationalité française, née le 22 octobre 1984 à Mazamet. Il a obtenu un premier titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " le 21 juillet 2003, renouvelé jusqu'au 10 juillet 2011. Faisant suite à la révélation de la rupture de la vie commune par une enquête de police du 31 août 2011, le préfet du Tarn, par un arrêté en date du 22 novembre 2011, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. M. D... s'est néanmoins maintenu sur le territoire national et a sollicité plusieurs titres de séjour. Il a bénéficié d'une carte de séjour " artisan " du 31 juillet 2014 au 20 janvier 2017, puis, d'une carte de séjour " entrepreneur " du 21 janvier 2017 au 20 janvier 2018. Il a sollicité le renouvellement de son titre de séjour, sous couvert d'un changement de statut, en qualité de " salarié " et au titre de la vie privée et familiale le 29 septembre 2017. Le 7 novembre 2017, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a émis un avis défavorable, estimant que les revenus de M. D... n'atteignaient pas le montant du salaire minimum de croissance. Par un arrêté du 8 février 2018, le préfet du Tarn a refusé de lui renouveler son titre de séjour sous couvert d'un changement de statut, l'a obligé à quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. L'intéressé a par la suite formé un recours tendant à l'annulation de cet arrêté devant le tribunal administratif de Toulouse qui a rejeté sa demande par jugement n°1802669 en date du 25 octobre 2018, jugement qui a été confirmé par la cour administrative d'appel de Bordeaux dans son arrêt n°19BX00416 du 3 octobre 2019. Le 20 janvier 2020, M. D... a sollicité un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié ". Par un arrêté en date du 22 juin 2020, la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai d'un mois et a fixé le pays de destination. M. D... relève appel du jugement du 2 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 12 de l'accord du 12 septembre 1963 créant une association entre la communauté économique européenne et la Turquie : " Les Parties contractantes conviennent de s'inspirer des articles 48, 49 et 50 du traité instituant la Communauté pour réaliser graduellement la libre circulation des travailleurs entre elles ". Aux termes de l'article 22 du même accord : " Pour la réalisation des objectifs fixés par l'accord et dans les cas prévus par celui-ci, le Conseil d'association dispose d'un pouvoir de décision ". Aux termes du paragraphe 1er de l'article 6 de la décision 1/80 du 19 septembre 1980, prise par le conseil d'association institué par l'accord d'association entre la communauté économique européenne et la Turquie du 12 septembre 1963 modifié : " Le travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi d'un Etat-membre : - a droit, dans ces Etats-membres, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi ". Aux termes de l'article 13 de la même décision : " Les Etats membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d'accès à l'emploi des travailleurs et de leurs familles qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l'emploi. ". Il résulte de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 16 décembre 1992, que l'article 6 premier paragraphe, premier tiret, de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association, qui a un effet direct en droit interne, doit être interprété en ce sens que, d'une part, un ressortissant turc qui a obtenu un permis de séjour sur le territoire d'un Etat membre et y a travaillé depuis plus d'un an auprès du même employeur sous le couvert d'un permis de travail valide a droit au renouvellement de son permis de travail en vertu de cette disposition et que, d'autre part, un travailleur turc qui remplit les conditions de l'article 6, premier paragraphe, premier tiret, de la décision du 19 septembre 1980 peut obtenir, outre la prorogation du permis de travail, celle du permis de séjour, le droit de séjour étant indispensable à l'accès et à l'exercice d'une activité salariée.
3. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association institué par l'accord d'association conclu, le 12 septembre 1963, entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie, à l'appui duquel le requérant n'ajoute aucun développement nouveau, doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 7 du jugement attaqué.
4. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
5. D'une part, à l'appui de sa requête, M. D... soutient qu'il réside en France depuis dix-huit ans et qu'il est parfaitement intégré dans la société française. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que cette présence habituelle en France, qui au demeurant ne saurait à elle seule caractériser la stabilité et l'intensité de son ancrage sur le territoire français, procède pour partie d'une situation durablement irrégulière, entre le 22 novembre 2011, date d'une décision portant éloignement prise par le préfet du Tarn et la date du 31 juillet 2014, date de la délivrance d'un titre de séjour, renouvelé jusqu'au 20 janvier 2018, puis à nouveau d'une situation irrégulière à compter du 8 février 2018, date d'édiction de l'arrêté du préfet du Tarn portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français. En outre, le requérant est séparé de la mère de ses deux enfants, partie s'installer avec eux en Allemagne depuis 2013 et la circonstance qu'il a engagé une procédure, toujours en cours, devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Castres pour obtenir l'exercice conjoint de l'autorité parentale et le droit de visite et d'hébergement de ses deux enfants est sans incidence sur une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, alors qu'il dispose de la faculté de se faire représenter par un conseil et peut solliciter, si nécessaire, un visa de court séjour pour revenir sur le territoire français défendre ses intérêts. Par ailleurs, si le requérant fait valoir qu'il est père d'un enfant née le 6 octobre 2021, cette circonstance postérieure est sans influence sur la légalité de l'arrêté en litige et en tout état de cause, il n'est pas contesté que la mère de son enfant, ressortissante marocaine, est également en situation irrégulière et fait l'objet d'une mesure d'éloignement prise le 10 mars 2020, de sorte qu'aucune circonstance particulière ne s'oppose à ce que le couple reconstitue la cellule familiale dans un pays où ils seront légalement admissibles.
6. D'autre part, le requérant ne démontre pas d'intégration notable dans la société française compte tenu notamment des multiples condamnations pénales dont il a fait l'objet entre 2009 et 2018 par le tribunal correctionnel de Castres, notamment pour les chefs de " recel de bien obtenu à l'aide d'une escroquerie ", " recel de bien provenant d'un vol ", " contrefaçon ou falsification de chèque ", " usage de chèque contrefait ou falsifié " et " violence suivie d'incapacité n'excédant pas 8 jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ". Par conséquent, eu égard aux conditions de séjour en France de M. D..., lequel n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident notamment ses parents, l'arrêté en litige ne peut être regardé comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, à supposer ce moyen invoqué, en prenant la décision attaquée, la préfète du Tarn n'a pas entaché d'une erreur manifeste son appréciation des conséquences que la décision emporte sur la situation professionnelle du requérant.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse à Me Kilinç la somme réclamée en application des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., son avocat, Me Kilinç et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet du Tarn.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 septembre 2022.
Le président-assesseur,
X. Haïli
Le président,
D. Chabert
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°21TL24313