Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Bagest a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la réduction de la cotisation à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013.
Par un jugement n° 1803441 du 27 janvier 2020, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé la réduction demandée et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par un recours, enregistré le 21 mars 2020 sous le n° 20MA01375 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 20TL01375 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rétablir les impositions en litige dont la réduction a été accordée à tort par les premiers juges.
Il soutient que c'est à tort que le tribunal, compte tenu notamment de la situation des immeubles litigieux, a estimé que la cession de titres détenus dans trois sociétés ne relevait pas du régime d'imposition des plus-values de cession de titres propre aux sociétés à prépondérance immobilière, alors que les immeubles qu'elles donnaient à bail n'étaient pas affectés à leur propre exploitation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2020, la société Bagest, représentée par Me Runfola, conclut au rejet de la requête, à la restitution des sommes versées au titre de l'imposition contestée, avec intérêts moratoires et intérêts majorés, et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les titres des sociétés bailleresses, qui exerçaient une activité de nature commerciale, ne relevaient pas d'une prépondérance immobilière ;
- le service avait expressément reconnu, à l'issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet du 2 septembre 2016 au 28 février 2017, que les titres détenus dans la société Socri Immo ne constituaient pas des titres de société à prépondérance immobilière ;
- l'administration procède à une interprétation erronée et illégale de la doctrine exprimée dans les instructions référencées 4 B-1-08 n° 65 du 4 avril 2008 et BOI-IS-BASE-20-20-10-30 n° 80, n° 90 et n° 100 du 31 décembre 2013 ;
- à titre subsidiaire, les dispositions du a sexies-0 bis) du I de l'article 219 du code général des impôts méconnaissent les principes d'égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques prévus aux articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Par ordonnance du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Par ordonnance du 11 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 10 juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ainsi que son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Cherrier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Bagest, qui exerce une activité de holding, a cédé par actes du 8 octobre 2012 des titres de participation qu'elle détenait, en sa qualité de société mère d'un groupe fiscalement intégré, dans le capital des sociétés en nom collectif Juin Saint-Hubert, Saint-Jean et Saint-Jean II. Les plus-values à long terme réalisées à cette occasion ont été imposées, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013, selon le régime d'imposition des plus-values de cession de titres propre aux sociétés à prépondérance immobilière, prévu au a sexies-0 bis) du I de l'article 219 du code général des impôts. La société Bagest a demandé, par réclamation du 27 décembre 2016, la restitution de la cotisation d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie à raison de ces plus-values, dont elle estimait devoir être exonérée en application du a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait appel du jugement du 27 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a fait droit à la demande de la société Bagest en prononçant la réduction de la cotisation à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013.
2. Aux termes du I de l'article 219 du code général des impôts : " (...) a quinquies. Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2006, le montant net des plus-values à long terme afférentes à des titres de participation fait l'objet d'une imposition séparée au taux de 8 %. Ce taux est fixé à 0 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2007. (...) a sexies-0 bis) Le régime des plus et moins-values à long terme cesse de s'appliquer à la plus ou moins-value provenant des cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière (...) Sont considérées comme des sociétés à prépondérance immobilière les sociétés dont l'actif est, à la date de la cession de ces titres ou a été à la clôture du dernier exercice précédant cette cession, constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur des immeubles, des droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues au 2 de l'article L. 313-7 du code monétaire et financier ou par des titres d'autres sociétés à prépondérance immobilière. Pour l'application de ces dispositions, ne sont pas pris en considération les immeubles ou les droits mentionnés à la phrase précédente lorsque ces biens ou droits sont affectés par l'entreprise à sa propre exploitation industrielle, commerciale ou agricole ou à l'exercice d'une profession non commerciale. (...) ". Pour l'application de ces dispositions, les immeubles affectés à l'exploitation s'entendent exclusivement des moyens permanents d'exploitation, à l'exclusion de ceux qui sont l'objet même de cette exploitation ou qui constituent des placements en capitaux.
3. Il résulte de l'instruction que les sociétés Juin Saint-Hubert, Saint-Jean et Saint-Jean II ont été constituées pour la construction et l'exploitation du centre commercial " Polygone Riviera " à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Ces sociétés, qui ont signé des baux commerciaux portant sur des locaux nus, destinés à être exploités commercialement par différentes enseignes, ont pour seule activité de donner en location ces locaux dont elles sont propriétaires. Les circonstances que les loyers consentis comportent une part variable indexée sur le chiffre d'affaires réalisé par ces enseignes et que les trois sociétés bailleresses contribuent à la gratuité du stationnement automobile pour les clients, à la prise en charge de travaux d'aménagements et aux opérations destinées à promouvoir le centre commercial, notamment dans le cadre d'un fonds de concours incluant la participation des sociétés preneuses, ne permettent pas de regarder ces immeubles comme des moyens permanents d'exploitation de ces dernières. Il en est de même de ce que les charges de copropriété, d'entretien et d'assurance des locaux, ainsi qu'une partie des taxes dues par les sociétés bailleresses, sont répercutées sur les preneuses et que les travaux réalisés par ces dernières sont transférés en pleine propriété aux trois sociétés propriétaires en fin de bail. Dans ces conditions, les constructions édifiées par ces trois sociétés et composant leur actif ne peuvent être assimilées aux immeubles affectés à leur propre exploitation commerciale au sens du a sexies-0 bis) du I de l'article 219 du code général des impôts. Ainsi, ayant été réalisées à l'occasion de la cession de titres de sociétés à prépondérance immobilière, les plus-values litigieuses étaient imposables à l'impôt sur les sociétés dans les conditions prévues au a sexies-0 bis) du I de l'article 219 du code général des impôts.
4. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a estimé que la société Bagest relevait du régime d'imposition au taux de 0 % des plus-values à long terme réalisées à l'occasion des cessions de titres de participation réalisées en exécution des actes du 8 octobre 2012, en application du a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts.
5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés devant le tribunal administratif et devant la cour.
6. La société Bagest n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine administrative référencée 4 B-1-08 n° 65 du 4 avril 2008 et BOI-IS-BASE-20-20-10-30 n° 80, n° 90 et n° 100 du 31 décembre 2013, qui est relative à la notion d'immeuble affecté à l'exploitation et qui ne comporte aucune interprétation différente de celle qui résulte de la loi fiscale dont il a été fait application ci-dessus. Tel est également le cas, d'une part, de la doctrine exprimée dans la documentation administrative référencée 4 H-1131 n° 31 à 33 du 1er mars 1995 et 5 D-2-07 fiche 1 n° 33 du 23 mars 2007 et dans les instructions référencées BOI-BIC-CHAMP-60-20 n° 70 à 130 et n° 200 du 12 septembre 2012 et BOI-IS-CHAMP-10-30 n° 270 à 290 du 4 juillet 2018, qui est relative au caractère commercial de certaines activités de location d'immeubles, d'autre part, de la doctrine référencée BOI-BIC-PVMV-30-10 n° 70 à 110, qui est relative à la définition des titres de participation. Enfin, la société Bagest n'est pas davantage fondée à soutenir que l'administration fiscale a procédé à une interprétation erronée de cette doctrine et contraire aux dispositions de la loi fiscale pour justifier les impositions contestées.
7. Il résulte des mentions de la proposition de rectification du 15 juin 2017, notifiée à la société Bagest à l'issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 mai 2016, que le vérificateur a estimé qu'elle était en droit d'appliquer l'exonération prévue au a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts à la plus-value réalisée lors de la cession de titres de participation détenus dans la société Socri Immo, au motif que les éléments présentés avaient permis d'établir que cette dernière n'avait pas le caractère d'une société à prépondérance immobilière. La société Bagest n'est cependant pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, de ces mentions, qui ne constituaient pas une prise de position formelle de l'administration portant sur la situation de fait relative aux sociétés Juin Saint-Hubert, Saint-Jean et Saint-Jean II.
8. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (...) ". L'article R. 771-3 du code de justice administrative dispose que : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention de la question : " question prioritaire de constitutionnalité " ". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1 ".
9. La société Bagest estime que les dispositions du a sexies-0 bis du I de l'article 219 du code général des impôts, telles qu'interprétées précédemment, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques prévus aux articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ainsi, elle doit être regardée comme estimant que ces dispositions législatives méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution. Ce moyen, qui n'a pas été présenté par la société Bagest par un mémoire distinct, est irrecevable.
10. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé la réduction demandée par la société Bagest et à demander à ce que les impositions en litige soient remises à sa charge. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions de la société Bagest tendant au versement d'intérêts moratoires et d'intérêts majorés sur les fondements de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales et de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 27 janvier 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Bagest devant le tribunal administratif de Montpellier est rejetée.
Article 3 : La cotisation d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013 est remise à la charge de la société Bagest.
Article 4 : Les conclusions de la société Bagest tendant au versement d'intérêts moratoires et d'intérêts majorés sur les fondements de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales et de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier et à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Bagest.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2022, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- Mme Fabien, présidente assesseure,
- M. Lafon, président assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2022.
Le rapporteur,
N. A...
Le président,
A. Barthez
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°20TL01375 2