Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral ainsi que la somme de 9 463 euros en réparation de son préjudice financier résultant des fautes tenant au harcèlement moral qu'elle estime avoir subi a subi à l'occasion de son service et à l'absence de protection de la part de son administration, d'enjoindre à l'administration de mettre fin aux agissements de harcèlement moral dont elle a été victime et de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et enfin de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1803245 du 10 février 2020, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à Mme B... une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, mis à la charge l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 mars 2020, sous le n°20BX00777 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°20TL20777, Mme A... B..., représenté par Me Amalric-Zermati, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement rendu le 10 février 2020 par le tribunal administratif de Toulouse en ce qu'il a condamné l'administration à lui verser une indemnité insuffisante ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral et une indemnité de 9 463 euros en réparation de sa perte de salaire ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de faire toute diligence pour mettre fin aux infractions commises à son encontre et prendre en charge les frais qu'elle devra exposer pour sa défense ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges, qui ont retenu la responsabilité de l'administration, ont sous-évalué l'importance du préjudice qu'elle a subi en condamnant l'Etat à lui verser une somme modique ;
- le tribunal était compétent pour statuer sur la faute personnelle de sa supérieure hiérarchique non dépourvue de tout lien avec ses fonctions ;
- le tribunal était compétent pour enjoindre à l'administration de mettre fin aux comportements fautifs dont elle a été victime ;
- son état de santé s'est rapidement dégradé à la suite des agissements répétés de sa supérieure hiérarchique, laquelle a manifesté un comportement extrêmement agressif et inapproprié à son encontre qui ne s'inscrivait pas dans une relation saine de travail ; sa supérieure hiérarchique lui a confié certaines tâches sans rapport avec ses fonctions qui relevaient d'un niveau de responsabilité de la catégorie A et qui ont eu pour effet une surcharge de travail qu'il n'était pas possible d'exécuter ; elle s'immisçait de façon inappropriée et injustifiée dans sa vie privée ;
- ces agissements ont eu de graves répercussions sur sa santé et constituent une faute personnelle de sa supérieure hiérarchique directe, non dépourvue de lien avec le service ;
- l'administration a également commis une faute en manquant à l'obligation de protection telle que résultant de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ; elle n'a pas pris de sanction à l'encontre de sa supérieure hiérarchique alors que cet article prévoit la possibilité d'infliger une sanction disciplinaire à l'encontre de toute personne ayant accompli des actes de harcèlement moral et n'a pas instauré un périmètre de sécurité suffisant ; elle a fait part des agissements de sa supérieure hiérarchique directe à plusieurs reprises et a cherché plusieurs fois qu'une solution soit apportée à sa situation ; elle a également sollicité une délégation rectorale qui a été refusée ;
- la faute de service est aggravée dès lors que l'administration n'a pas jugé opportun de mettre en place les instances préventives en matière de risques psychosociaux comme le prévoit le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;
- elle a informé le rectorat des agissements subis ;
- la somme allouée à titre d'indemnisation est sous-évaluée ; son état de santé est dû à la fois aux agissements de l'administration mais également au manque de soutien de sa hiérarchie et un management inadapté voire laxiste par rapport à la situation connue qu'elle subissait ;
- son préjudice financier correspond à un manque à gagner de 9 255,38 euros, des frais médicaux non pris en charge pour 1 595 euros ainsi que des frais kilométriques pour 3 836,56 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 juillet 2021, le recteur de l'académie de Toulouse conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Toulouse et au rejet du surplus des demandes de Mme B....
Il fait valoir que les conclusions de la requête de Mme B... tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de faire toute diligence pour mettre fin aux infractions commises à son encontre et de mettre fin au comportement de sa supérieure hiérarchique directe sont irrecevables, le juge ne pouvant procéder à des injonctions non prévues au livre IX du code de justice administrative et l'agent ayant été muté, à sa demande, au 1er septembre 2017.
Il s'en remet à ses écritures de première instance et fait en outre valoir que :
- Mme B... avait un passif médical avec des difficultés psychologiques antérieures sans lien avec l'exercice de ses missions sous l'autorité de sa supérieure hiérarchique directe ; son mal-être n'est pas uniquement lié à son travail et sa supérieure hiérarchique n'en est pas entièrement responsable ;
- Mme B... était impliquée dans ses fonctions mais a remis en cause l'autorité de sa supérieure hiérarchique directe en empêchant le règlement du conflit, a montré un comportement professionnel inadapté et a multiplié les manœuvres déloyales ;
- aucune pièce du dossier n'établit que Mme B... ait eu à exécuter des missions de catégorie A, ni que sa supérieure hiérarchique directe ait fait preuve d'agressivité à son encontre ;
- Mme B... n'a pas fourni un travail régulier, ni n'a rempli normalement ses fonctions en raison de son absence d'autonomie dans le travail demandé et des erreurs fréquentes dans le calcul des droits constatés ;
- ses qualités relationnelles sont source de dysfonctionnements pour le service de gestion, le positionnement de Mme B... et ses jugements de valeur quant au travail de sa responsable étaient inadaptés contrairement au comportement de sa supérieure hiérarchique directe qui avait pour objet de s'assurer du fonctionnement du service ;
- l'infirmière n'a pas constaté de choc émotionnel ;
- les témoignages transmis par Mme B... sont remis en cause par les pièces qu'il produit lesquelles démontrent qu'ils ne caractérisent pas une situation de harcèlement ;
- le chef d'établissement a toujours réagi aux sollicitations de Mme B... sur sa situation de travail et des mesures ont été mises en œuvre pour envisager les mesures adaptées aux éléments apportés et permettre le fonctionnement du service dans de bonnes conditions ;
- Mme B... n'a pas accepté l'organisation du travail mise en place par le chef d'établissement, empêchant toute avancée constructive ; elle a ignoré les recommandations qui lui ont été faites et a refusé d'accepter le règlement du conflit ;
- le comportement de Mme B... pouvait justifier l'engagement d'une procédure disciplinaire ; elle refusait l'autorité hiérarchique de sa supérieure en n'acceptant pas de se conformer aux instructions de travail engendrant des perturbations dans le fonctionnement du service et ne respectait pas les obligations de courtoisie et de dignité ; conscient de son mal-être, le chef d'établissement a préféré demander l'intervention d'une tierce personne pour remédier à la situation ;
- le refus de délégation rectorale ne peut être associé à l'absence de protection ;
- le comité d'hygiène, de sécurité et conditions de travail a été informé par le chef d'établissement des mesures correctives appliquées à la situation posée par Mme B... et a approuvé la pertinence des mesures mises en œuvre par le chef d'établissement ;
- Mme B... n'a pas saisi les services du rectorat qui ont été informés de la situation par la demande de médiation formée par le chef d'établissement et lors de la communication du rapport par sa supérieure hiérarchique sur la manière de servir de l'intéressée ;
- l'attestation du professeur d'éducation sportive est un faux et a donné lieu à l'accord de la protection juridique au bénéfice du chef d'établissement.
Par une ordonnance du 5 octobre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 janvier 2022 à 12h.
Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de Mme B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Amalric-Zermati pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., adjointe administrative de l'éducation nationale qui exerce ses fonctions au service de l'intendance du collège ... (Tarn), relève appel du jugement du 10 février 2020 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a limité à 5 000 euros la somme que l'Etat a été condamné à lui verser en réparation du harcèlement moral qu'elle a subi à l'occasion de son service et en raison de l'absence de protection de la part de son administration. Par la voie de l'appel indicent, le recteur de l'académie de Toulouse conclut à l'annulation de ce jugement et au rejet des demandes présentées par Mme B....
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
4. Pour faire présumer le harcèlement moral dont elle soutient avoir été victime depuis le mois de septembre 2016, un an après l'arrivée en fonction de la nouvelle gestionnaire jusqu'au mois de janvier 2017, Mme B... soutient que sa supérieure hiérarchique directe s'est retrouvée en difficulté sur le plan professionnel et qu'elle a alors eu à subir, ainsi que la collègue avec laquelle elle travaillait à mi-temps, des réactions agitées et vindicatives de la part de la nouvelle gestionnaire qui lui a confié des tâches qui ne relevaient pas de sa compétence.
5. Il résulte de l'instruction que la nouvelle gestionnaire a bénéficié, deux mois après son arrivée au collège, d'un accompagnement par tutorat. Celui-ci a été décidé en concertation avec le principal de l'établissement et en accord avec la comptable, au regard des spécificités du poste dans un collège important comportant 920 élèves avec une section d'enseignement général et professionnelle adaptée, une unité pédagogique pour élèves allophones et une classe d'institut thérapeutique, éducatif et pédagogique intégrée et de ses exigences organisationnelles et financières, en lien avec une importante agence comptable et entrant dans une phase travaux. Les éléments produits par l'administration, pour certains nouveaux en appel, montrent que rapidement après l'installation de la nouvelle gestionnaire, Mme B... et sa collègue ont remis en cause ses compétences en portant à différentes reprises des critiques sur le travail qu'elle demandait, ainsi que des jugements de valeur négatifs sur le travail réalisé, sans que ceux-ci soient justifiés. Si les relations entre Mme B... et sa supérieure hiérarchique ont d'abord été bonnes, des difficultés relationnelles sont apparues à compter de la rentrée scolaire suivante et à la fin de la période de tutorat. Il résulte de l'instruction que le comportement de la gestionnaire a pu être sur cette période inapproprié et intrusif faisant elle-même part de sa bipolarité et invitant sa collègue à s'inscrire sur un site de rencontre, marqué par des sautes d'humeur et parfois un management autoritaire et instable. En revanche, les propos humiliants ou agressifs qui auraient été tenus ne sont pas établis par les pièces du dossier. Il n'est pas non plus établi que les tâches confiées à Mme B... n'auraient pas été en rapport avec ses fonctions et sa catégorie ou se soient accrues de manière importante sans être réalisables sur son temps de travail, quand bien même un besoin de précision et de cadrage a été nécessaire. L'implication professionnelle de Mme B... dans ses fonctions n'a d'ailleurs jamais été remise en cause par la gestionnaire, alors même qu'un mauvais positionnement, des erreurs dans le calcul des droits constatés des factures de demi-pension ont pu être relevés, ainsi que parfois un manque d'autonomie dans le travail demandé. Dans ces conditions de conflit ouvert avec sa hiérarchie, ces mesures n'ont pas excédé le cadre normal du pouvoir d'organisation du service. Enfin, si l'intéressée fait état de la dégradation de son état de santé, en lien avec le service, ces circonstances ne suffisent pas en soi à caractériser des faits de harcèlement moral qui doivent répondre aux prescriptions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Ainsi, il résulte de ces éléments, pris isolément ou dans leur ensemble, que le comportement de la supérieure hiérarchique directe de Mme B... ne peut être regardé comme constitutif d'un harcèlement moral en lien avec l'exercice de ses fonctions, au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.
6. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 5, Mme B..., qui ne justifie pas par ailleurs avoir présenté une demande en ce sens, n'est pas fondée à soutenir que l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ou en ne prenant pas les mesures adéquates pour mettre fin au harcèlement moral dont elle s'estime victime.
7. Le collège ... disposant d'assistants de prévention, d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ainsi que d'un registre hygiène et sécurité, Mme B... n'est pas fondée à invoquer une faute de l'administration tenant à l'absence de mise en place des instances préventives des risques psychosociaux au sein de l'établissement.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que le recteur de l'académie de Toulouse est fondé à faire valoir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à Mme B... une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral. Par suite, le jugement n° 1803245 du 10 février 2020 du tribunal administratif de Toulouse doit être annulé et la requête d'appel de Mme B... à fin de réformation du jugement doit être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par Mme B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 10 février 2020 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme B... devant le tribunal et sa requête sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Toulouse.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
Mme Arquié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2023.
La rapporteure,
C. Arquié
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°20TL20777 2