Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2021 par lequel la préfète de la Corrèze l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une duré de trois ans.
Par jugement n° 2104227 du 16 juillet 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 janvier 2022 sous le n° 22BX00178 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 22TL20178 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, M. B... A..., représenté par Me Cazanave, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 juillet 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Corrèze du 12 juillet 2021 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Corrèze de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sans délai et de réexaminer sa situation administrative dans le délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) d'enjoindre à la préfète de la Corrèze de supprimer son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen ;
5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à son avocat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination est privée de base légale en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est privée de base légale en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; elle est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est par ailleurs entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qui concerne sa durée et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée à la préfète de la Corrèze, laquelle n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance en date du 5 juillet 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 août 2022.
Par une décision du 14 octobre 2021, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Jazeron, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant haïtien, né le 10 octobre 1988 à Port-au-Prince (Haïti), serait entré, selon ses déclarations, au cours de l'année 1996 en Guyane puis au cours de l'année 2012 sur le territoire métropolitain. Par un arrêté du 13 février 2020, la préfète de la Corrèze a pris à son encontre une première obligation de quitter le territoire français, assortie d'une interdiction de retour sur ledit territoire d'une durée de deux ans. L'intéressé s'est soustrait à l'exécution de cette mesure d'éloignement et a été interpellé par les services de gendarmerie le 12 juillet 2021. Par un arrêté pris le jour même, la préfète de la Corrèze l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. M. A... fait appel du jugement du 16 juillet 2021 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 12 juillet 2021.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. En l'espèce, M. A... soutient être parti de son pays d'origine en 1996, âgé de huit ans, pour rejoindre sa tante résidant en Guyane à la suite du décès de son père. Les pièces produites au soutien de sa requête permettent d'établir qu'il a été scolarisé dans ce département jusqu'à l'année 2000 et qu'il y a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance pendant trois mois au cours de l'année 2003. En revanche, rien ne permet de corroborer les propos tenus par l'intéressé lors de son audition selon lesquels il serait resté en Guyane jusqu'en 2012 et entré sur le territoire métropolitain à cette dernière date. En tout état de cause, il n'est pas contesté que M. A... n'a jamais été en situation régulière sur le territoire français où il n'allègue même pas avoir sollicité la régularisation de sa situation. S'il soutient qu'il n'aurait plus aucune attache personnelle en Haïti et qu'il n'aurait notamment plus de contact avec sa mère, il ne démontre pas pour autant qu'il aurait gardé des relations stables et intenses avec les membres de sa famille qui l'avaient recueilli en Guyane. Par ailleurs, s'il ressort du procès-verbal de son audition que le requérant aurait une fille âgée de cinq ans présente sur le territoire métropolitain, il n'est ni établi ni allégué qu'il entretiendrait un lien particulier avec cette enfant ou qu'il contribuerait d'une manière effective à son entretien et à son éducation. Enfin, M. A... ne justifie d'aucune intégration sociale ou professionnelle en France, où il a en outre été condamné à des peines de prison à deux reprises en 2013, puis à trois reprises en 2017, pour un total cumulé de quatorze mois, en raison d'agissements délictuels répétés. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la mesure d'éloignement en litige ne porte pas au droit de l'intéressé au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise et ne méconnaît donc pas les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, cette mesure d'éloignement n'apparaît pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'appelant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
4. Il résulte de ce qui précède que l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas établie. Par voie de conséquence, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination serait dépourvue de base légale.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
5. Il résulte de ce qui précède que l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas établie. Par voie de conséquence, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision portant interdiction de retour serait dépourvue de base légale.
6. L'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". L'article L. 612-10 du même code dispose que : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
7. Il ressort des mentions de l'arrêté litigieux que, pour prononcer une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans à l'encontre de M. A..., la préfète de la Corrèze s'est fondée sur ce que le requérant ne justifiait pas de liens réels et sérieux avec la France et notamment pas de relations familiales suivies dans ce pays, sur ce qu'il avait fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, sur ce qu'il n'avait pas réalisé de démarches administratives en vue de la régularisation de sa situation et sur ce qu'il s'était manifesté de manière répétée par des agissements de nature à troubler l'ordre public. D'une part, l'autorité préfectorale n'a pas commis d'erreur de droit en relevant l'absence de démarches entreprises par l'intéressé en vue de régulariser sa situation, une telle circonstance pouvant être prise en compte pour apprécier notamment la nature des liens de l'étranger avec la France. D'autre part, malgré l'ancienneté de la présence de M. A... sur le territoire national, la préfète de la Corrèze n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que les éléments de sa situation personnelle, tels que rappelés ci-dessus, pouvaient légalement justifier l'édiction d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Enfin, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 3 du présent arrêt, la mesure ainsi prononcée ne porte pas au droit de l'intéressé au respect de la vie privée et familiale une atteinte excessive eu égard aux buts poursuivis et ne méconnaît donc pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales rappelées au point 2.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 16 juillet 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 12 juillet 2021.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Le présent arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation et n'implique aucune mesure d'exécution particulière au sens des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Par suite, les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 s'opposent à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par l'avocat de l'appelant au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Julien Cazanave.
Copie en sera adressée au préfet de la Corrèze.
Délibéré après l'audience du 21 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2023.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL20178