Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... H... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 17 janvier 2020 par laquelle le colonel L... lui a infligé trente jours d'arrêts à titre de sanction disciplinaire, et d'enjoindre à la ministre des armées de retirer la sanction de son dossier administratif et de le rétablir rétroactivement dans l'ensemble de ses fonctions, de ses droits et prérogatives dont il a été privé du fait de la sanction litigieuse, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2001394 du 28 janvier 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mars 2021, sous le n° 21BX01249 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL21249, et un mémoire enregistré le 27 avril 2022, M. B... H..., représenté par la SELARL MDMH agissant par Me Maumont, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 janvier 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 17 janvier 2020 par laquelle le colonel L... lui a infligé trente jours d'arrêts à titre de sanction disciplinaire ;
3°) d'enjoindre au ministre des armées de retirer de tous ses dossiers administratifs toute pièce relative à la sanction qui lui a été infligée, de la détruire et d'en donner attestation, et de le rétablir rétroactivement dans l'ensemble de ses fonctions, droits, prérogatives et autres intérêts dont il aurait été privé par les effets de la décision en cause, sans délai, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité en raison de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure ;
- le jugement est entaché d'une irrégularité en ce que le tribunal a omis de répondre aux moyens soulevés dans le mémoire du 23 décembre 2020 tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article R.4137-15 du code de la défense ;
- la décision a été prise en violation de la procédure et des droits de la défense ;
- elle est entachée d'erreur de droit, d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation ;
- la sanction est disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2022, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de M. H....
Par ordonnance du 23 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 17 juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de M. H....
Considérant ce qui suit :
1. M. H..., qui est entré en service en qualité de soldat le 2 décembre 2014 et a été nommé au grade de caporal de l'armée de terre, a été affecté le 1er juillet 2018 au 17ème régiment du génie parachutiste à ... en qualité de chef d'équipe combat du génie. Le 30 octobre 2019, le caporal H... a été envoyé en mission de courte durée au sein de la compagnie du génie du 43ème bataillon d'infanterie de marine (BiMA) des forces françaises en République de Côte d'Ivoire à .... Le 18 décembre 2019, le caporal H... a eu une vive altercation avec le sapeur 1ère classe G... qu'il avait pour mission d'encadrer en sa qualité de chef d'équipe. Sur la base de cette altercation et au vu des faits de harcèlement moral qui ont été rapportés par le sapeur 1ère classe G..., une enquête interne a été diligentée par le chef de corps du 43ème BiMA. A la suite du rapport d'enquête interne remis le 7 janvier 2020, M. H... a été informé qu'une procédure disciplinaire allait être initiée à son encontre. Par une décision du 17 janvier 2020, le commandant des forces françaises en Côte d'Ivoire, le colonel L..., a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire de trente jours d'arrêts. M. H... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler cette décision. Il relève appel du jugement rendu le 28 janvier 2021 qui a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ".
3. Il ressort des pièces du dossier que l'unique mémoire en défense de la ministre des armées a été enregistré par le greffe du tribunal administratif de Toulouse le 19 novembre 2020, avant la clôture de l'instruction fixée au 23 novembre 2020. S'il a été communiqué à M. H... par un courrier du 20 novembre 2020, il ressort des mentions du jugement que la clôture d'instruction n'a fait l'objet d'aucun report. En n'accordant pas à M. H... un délai raisonnable lui permettant de répondre aux observations formulées par la ministre des armées, le tribunal a méconnu les exigences qui découlent des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative et qui sont destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction. Il résulte de ce qui vient d'être exposé, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de régularité invoqué, que le jugement attaqué est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière. Par suite, il doit être annulé.
4. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande présentée par M. H... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Sur la légalité de la sanction :
5. Aux termes de l'article L. 4137-1 du code de la défense : " Sans préjudice des sanctions pénales qu'ils peuvent entraîner, les fautes ou manquements commis par les militaires les exposent : / 1° A des sanctions disciplinaires prévues à l'article L. 4137-2 (...) ". Selon l'article L. 4137-2 du même code : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : 1° Les sanctions du premier groupe sont : / a) L'avertissement ; / b) La consigne ; / c) La réprimande ; / d) Le blâme ; / e) Les arrêts ; / f) Le blâme du ministre (...) ". L'article R. 4137-28 de ce code dispose que : " Les arrêts sont comptés en jours. Le nombre de jours d'arrêts susceptibles d'être infligés pour une même faute ou un même manquement ne peut être supérieur à quarante (...) ".
6. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
7. Pour infliger à M. H... la sanction disciplinaire de trente jours d'arrêts, l'autorité militaire s'est fondée sur le fait qu'il a été mis en cause par un militaire du rang de son unité pour un comportement, des paroles, des actes ou gestes inappropriés et répétés consécutifs à des brimades, tels que des insultes. Le rapport d'enquête interne en date du 7 janvier 2020 ayant mis en évidence les responsabilités de l'intéressé dans l'existence de faits graves à l'encontre de ce subordonné, l'autorité militaire a considéré qu'il avait fait preuve d'un manque de discernement et de lucidité de nature à compromettre durablement la relation de confiance qui le lie à ses supérieurs et à l'institution, qu'il avait en outre délibérément outrepassé ses prérogatives et que ses agissements étaient inacceptables, indignes d'un soldat professionnel et qu'ils portaient atteinte à l'image de l'institution et mettaient en péril l'exécution de la mission opérationnelle.
8. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport d'enquête établi par le lieutenant I... sur la base des dénonciations de Mme G..., que cette dernière ainsi que trois autres soldats de 1èr classe de la compagnie ont déclaré avoir été victimes de faits de harcèlement, d'humiliation et de brimades de la part de plusieurs caporaux, se traduisant notamment par des insultes, des demandes de corvées lors de la pause méridienne, le repassage de chemises, la rédaction de comptes rendus jusque tard dans la nuit, le triage de cailloux par taille ainsi que le chronométrage d'un personnel féminin lors de la prise de sa douche. Il ressort toutefois de ce rapport d'enquête qu'un autre caporal a été clairement identifié comme étant le principal auteur des faits par les quatre victimes, et que M. H... aurait eu un comportement de suiveur en jouant également un rôle dans cette affaire de harcèlement malgré le fait qu'il soit affecté à la section commandement. Les différents témoignages recueillis lors de cette enquête interne, en particulier des quatre victimes, ne permettent cependant pas d'établir que M. H... aurait eu un tel rôle. Ainsi, alors que les témoignages des sapeurs de 1ère classe D...,A... et C... ne citent à aucun moment des manquements qui auraient été commis par M. H..., le sapeur de 1ère classe G... évoque un fait unique concernant l'appelant. S'il est constant que, le 18 décembre 2019, le caporal H... a eu une vive altercation avec le sapeur 1ère classe G... au sujet du repassage des chemises de la section, aucun témoin des faits ne vient cependant corroborer les propos violents et inappropriés qu'aurait tenus l'appelant à l'encontre de la victime, hormis le caporal identifié comme étant le principal auteur des faits de harcèlement dénoncés. Si le rapport d'enquête relève que les faits relevés à l'encontre de M. H... ont été corroborés par des membres de l'encadrement et par des camarades des victimes, soit trois personnes, il ressort toutefois du témoignage du sapeur 1ère classe E... que celle-ci n'était pas présente au moment des faits et a relaté les dires de la victime qui s'était confiée à elle. Le rapport du caporal-chef J... n'apporte quant à lui aucune précision concernant les faits précis reprochés à M. H.... Enfin, le capitaine F... relate les faits qui ont été portés à sa connaissance concernant le caporal K..., principal auteur des manquements relevés, ajoutant avoir également été informé de difficultés relationnelles moins importantes avec trois autres caporaux, parmi lesquels M. H.... Celui-ci a par ailleurs reconnu dans ses observations du 15 janvier 2020 qu'il avait peut-être fauté en évacuant sa colère sur le fer à repasser afin d'éviter de porter un coup. Ainsi, si la teneur de ses propos formulés à l'encontre du sapeur 1ère classe G... lors de l'altercation du 18 décembre 2019 n'est corroborée par aucune pièce probante, son emportement envers celle-ci dans le contexte d'abus d'autorité dont elle était victime depuis plusieurs mois, peut cependant être tenu pour établi. Au regard des fonctions de responsabilité assurées par M. H... au sein du commandement, ce comportement non conforme au devoir d'exemplarité d'un militaire constitue un manquement de l'intéressé dans l'exercice de ses missions d'encadrement en tant que chef d'équipe qui justifiait le prononcé d'une sanction disciplinaire.
9. Toutefois, compte tenu des seuls faits matériellement établis, à savoir une altercation avec le sapeur 1ère classe G... au cours de laquelle il aurait fait preuve d'un accès de colère, au regard des excellents états de service de M. H..., de l'absence de tout antécédent disciplinaire, enfin de la circonstance que les faits reprochés n'ont présenté qu'un caractère ponctuel sans gravité particulière, la sanction retenue de trente jours d'arrêt revêt un caractère disproportionné et doit dès lors être annulée.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. H... est fondé à demander l'annulation de la décision du 17 janvier 2020 par laquelle une sanction de trente jours d'arrêts lui a été infligée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Il y a lieu d'enjoindre au ministre des armées d'effacer du dossier de M. H... toute mention de la sanction illégale en cause et de rejeter le surplus des demandes d'injonction dès lors que la décision attaquée n'avait ni pour objet, ni pour effet, d'affecter, au-delà des trente jours d'arrêt qu'elle a infligés, les fonctions, droits, prérogatives et intérêts de ce militaire.
Sur les frais liés aux litiges :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. H... tant en première instance qu'en appel et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n°2001394 du 28 janvier 2021 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse et la décision du 17 janvier 2020 par laquelle une sanction de trente jours d'arrêts a été infligée à M. H... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées d'effacer du dossier de M. H... toute mention de la sanction en cause.
Article 3 : L'Etat versera à M. H... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. H... et de sa demande devant le tribunal administratif est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié M. B... H... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2023.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21TL21249 2