Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Cocody a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016.
Par un jugement n° 1900478 du 19 février 2021, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 avril 2021 sous le n° 21MA01496 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 21TL01496 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire complémentaire enregistré le 5 avril 2023, la société Cocody, représentée par Me Goguelat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 9 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration a tacitement accepté les observations du contribuable en s'abstenant de répondre à ces observations dans un délai de deux mois ;
- la procédure d'imposition est irrégulière, dès lors que le service a implicitement mis en œuvre la procédure de répression des abus de droit, sans la faire bénéficier des garanties attachées à la procédure prévue aux articles L. 64 et R. 64-1 du livre des procédures fiscales ;
- la proposition de rectification est irrégulière ;
- l'activité qu'elle a réalisée de 2014 à 2016, qui a consisté en la mise à disposition de terrains nus, n'est pas soumise à l'impôt sur les sociétés ;
- la doctrine référencée BOI-BIC-CESS-10-20-30 n° 350 prévoit qu'une société civile peut cesser d'être soumise à l'impôt sur les sociétés compte tenu de l'évolution de son activité ;
- l'administration n'établit pas l'existence d'un acte anormal de gestion dès lors qu'elle n'a jamais renoncé à des recettes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de la société Cocody.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Cherrier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Drevet-Lapassade, substituant Me Goguelat, pour la société Cocody.
Une note en délibéré présentée par la société Cocody, représentée par Me Goguelat, a été enregistrée le 23 avril 2023.
Considérant ce qui suit :
1. La société Cocody fait appel du jugement du 19 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016. Ces suppléments et rappels procèdent de la reconstitution, à défaut de présentation d'une comptabilité, du chiffre d'affaires de son activité de location de terrains et autres biens immobiliers.
Sur les conclusions en décharge :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 13 A du livre des procédures fiscales : " Le défaut de présentation de la comptabilité est constaté par procès-verbal que le contribuable est invité à contresigner. Mention est faite de son refus éventuel ". L'établissement d'un procès-verbal en application de ces dispositions ne constitue pour le vérificateur qu'une simple faculté, destinée à lui faciliter l'administration de la preuve. En conséquence d'éventuelles irrégularités entachant ce procès-verbal au regard des exigences prévues par l'article L. 13 A, si elles privent celui-ci de sa valeur probante, sont sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales : " I.- En cas de vérification de comptabilité ou d'examen de comptabilité d'une entreprise (...), l'administration répond dans un délai de soixante jours à compter de la réception des observations du contribuable faisant suite à la proposition de rectification mentionnée au premier alinéa de l'article L. 57. Le défaut de notification d'une réponse dans ce délai équivaut à une acceptation des observations du contribuable. / II.- Le délai de réponse mentionné au I ne s'applique pas : (...) 2° En cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité ".
4. Il résulte de l'instruction que la société Cocody n'a pas été en mesure de présenter de comptabilité, y compris sous la forme de fichiers des écritures comptables. Le défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu doit être regardé comme une grave irrégularité privant de valeur probante la comptabilité du contribuable au sens du 2° du II de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le procès-verbal de défaut de présentation de comptabilité dressé par la vérificatrice le 6 juillet 2017 aurait été contresigné par une personne n'ayant pas été régulièrement mandatée par le gérant de la société Cocody. Par suite, cette dernière ne peut se prévaloir de l'acceptation de ses observations par l'administration au terme d'un délai de soixante jours, prévue par le I du même article.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification (...) ". L'article R. 64-1 du même livre dispose que : " La décision de mettre en œuvre les dispositions prévues à l'article L. 64 est prise par un agent ayant au moins le grade d'inspecteur divisionnaire qui vise à cet effet la notification de la proposition de rectification ".
6. Il résulte de l'instruction que la société Cocody a acquis le 17 avril 1990 un ensemble immobilier aménagé en terrain de camping, situé à Vézénobres (Gard), qu'elle a exploité comme parc résidentiel de loisirs comprenant notamment l'implantation de mobil-homes et d'habitations légères de loisirs appelées " chalets ". Elle a ensuite cédé ces habitations légères à des particuliers et loué les emplacements correspondants, dont elle demeurait propriétaire, aux différents acquéreurs. Le 15 mai 2008, la société Cocody a conclu un bail commercial de neuf ans avec la société S Plus afin de lui confier l'activité de sous-location de ces emplacements. A la suite de la cessation d'activité de la société S Plus, décidée par une assemblée générale du 15 novembre 2015, la société Cocody a, par courrier du 25 novembre 2015 intitulé " subrogation de bailleur ", informé les locataires des emplacements que l'activité de sous-location était transmise à trois associations, dont l'association Synergie France Asie. Pour assujettir la société Cocody à l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016, l'administration fiscale a estimé qu'elle se livrait, depuis l'acquisition du parc, à une activité de location de terrains aménagés relevant d'une activité commerciale, dans le cadre d'une gestion directe ou de baux consentis à la société S Plus voire à l'association Synergie France Asie. Le service a, en conséquence, imposé les sommes que la société S Plus devait à la société Cocody en exécution du bail commercial du 15 mai 2008 et les loyers attendus ou encaissés par l'association Synergie France Asie et la société S Plus postérieurement à la cessation d'activité de cette dernière. A ce titre, la vérificatrice s'est fondée sur les circonstances, d'une part, que la société Cocody n'a encaissé aucun loyer en contrepartie de la location de ses terrains à la société S Plus, d'autre part, qu'elle est devenue le bailleur en titre des propriétaires d'habitations légères à la suite de la cessation d'activité de la société S Plus dès lors que les contrats de location la désignaient comme " bailleur principal ", enfin, que les trois entités partagent les mêmes dirigeants. Ce faisant, l'administration n'a entendu, même de manière implicite, écarter aucun acte particulier conclu entre la société Cocody et l'association Synergie France Asie, lequel serait constitutif d'un abus de droit au sens des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Au surplus, à supposer même que l'administration puisse être regardée comme ayant implicitement fondé les redressements en litige sur le caractère fictif du bail commercial conclu le 15 mai 2008, elle a également relevé que l'absence de contrepartie à l'abandon de recettes auquel a consenti la société Cocody était constitutif d'un acte anormal de gestion, la dispensant ainsi de la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit. Dans l'ensemble de ces conditions, la société Cocody n'est pas fondée à soutenir que la procédure d'imposition serait irrégulière, faute pour l'administration d'avoir mis en œuvre les garanties prévues par les dispositions des articles L. 64 et R. 64-1 du livre des procédures fiscales.
7. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que la proposition de rectification adressée à la société Cocody le 20 décembre 2017 serait irrégulière n'est pas assorti de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
S'agissant de l'assujettissement de la société Cocody à l'impôt sur les sociétés :
8. Aux termes de l'article 206 du code général des impôts, les sociétés civiles sont passibles de l'impôt sur les sociétés si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 de ce code. Le 5° du I de l'article 35 du code général des impôts vise la location d'un " établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation, que la location comprenne, ou non, tout ou partie des éléments incorporels du fonds de commerce ou d'industrie ".
9. La société Cocody ne conteste pas le bien-fondé de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés de l'activité de location d'emplacements aux propriétaires d'habitations légères de loisir qu'elle a réalisée en 2005 et 2006. Confirmé par un arrêt, devenu définitif, de la cour administrative d'appel de Lyon du 8 juillet 2014, cet assujettissement résultait du caractère aménagé de ces emplacements. Les seules circonstances que la société Cocody a conclu, le 15 mai 2008, un bail commercial avec la société S Plus afin de lui confier l'activité de sous-location de ces emplacements, qualifiés alors de " parcelles de terrains nus ", et que l'association Synergie France Asie a été déclarée, le 25 novembre 2015, comme titulaire de cette activité de sous-location ne permettent pas de remettre en cause le caractère aménagé des emplacements loués par la requérante entre 2014 et 2016, qui a été à nouveau constaté par la vérificatrice. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a considéré que la société Cocody poursuivait, au cours des exercices en litige, l'activité de location de terrains aménagés, laquelle relevait d'une activité commerciale dont le produit était imposable à l'impôt sur les sociétés.
10. La société Cocody n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine administrative référencée BOI-BIC-CESS-10-20-30 n° 350, qui précise qu'une société civile peut cesser d'être soumise à l'impôt sur les sociétés lorsqu'elle n'entre plus dans le champ d'application de l'article 206-2 du code général des impôts et qui ne comporte aucune interprétation différente de celle qui résulte de la loi fiscale dont il a été fait application.
S'agissant de l'acte anormal de gestion :
11. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Constitue un acte anormal de gestion, l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'une renonciation à recettes constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.
12. La vérificatrice a constaté que, au cours des exercices en litige, la société Cocody, pourtant propriétaire des terrains destinés aux habitations légères de loisir et titulaire du bail commercial du 15 mai 2008, n'a encaissé aucun loyer tiré de la location de ces emplacements à la société S Plus ou à l'association Synergie France Asie. L'administration en a déduit que cette renonciation à recettes ne relevait pas d'une gestion commerciale normale. Pour justifier de contreparties en sa faveur, la société Cocody ne peut sérieusement se prévaloir des droits d'entrée prévus dans le contrat de mise à disposition des terrains à la société S Plus, ainsi que dans la promesse de bail commercial conclue le 15 mai 2008 avec la même société et portant sur une construction située autour de la piscine du parc de loisirs, ces droits d'entrée étant distincts des loyers annuels que le premier engagement prévoit. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant que ces renonciations à recettes, qu'elle a pu valablement établir à hauteur des loyers prévus par le contrat de mise à disposition des emplacements et des loyers attendus ou encaissés par l'association Synergie France Asie et la société S Plus postérieurement à la cessation d'activité de cette dernière, étaient étrangères à une gestion commerciale normale.
13. Il résulte de ce qui précède que la société Cocody n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête présentée par la société Cocody est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cocody et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 13 avril 2023, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- M. Lafon, président assesseur,
- Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mai 2023.
Le rapporteur,
N. A...
Le président,
A. Barthez
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°21TL01496 2