Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 22 novembre 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité et de faire droit à sa demande de pension au titre de son syndrome anxiodépressif à un taux d'invalidité minimum de 30%, avec effet à compter du 7 octobre 2016, date de sa demande.
Par un jugement n° 1906504 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 septembre 2021 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux sous le n°21BX03718, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°21TL23718, et un mémoire enregistré le 24 mai 2022, Mme D... A... épouse B..., représentée par Me Brangeon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 juillet 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 22 novembre 2018 de la ministre des armées ;
3°) de lui octroyer une pension militaire d'invalidité avec effet rétroactif au 7 octobre 2016 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat au profit de son conseil la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 alinéa de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.
Elle soutient que :
- un taux d'invalidité de 30% doit lui être attribué, ainsi que l'a estimé l'expert judiciaire ; elle remplit bien la première condition nécessaire à l'ouverture du droit à pension ;
- les troubles psychologiques à l'origine de sa maladie sont en lien direct avec son exercice professionnel extrêmement sollicitant et avec le vécu d'un événement traumatisant, le suicide d'un collègue dont elle était proche ; l'existence de ce lien direct et certain entre les troubles anxiodépressifs et le service a été confirmée par l'expert judiciaire.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 avril et 24 juin 2022, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que l'infirmité de la requérante n'est pas imputable au service pour défaut de preuve et de présomption.
Par ordonnance du 27 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 26 août 2022.
Mme A... épouse B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 7 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- la loi n° 97-641 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... épouse B..., née le 25 septembre 1968, a servi en tant que maréchal des logis-chef au sein de la gendarmerie nationale jusqu'à sa radiation des cadres le 13 juillet 2021. Le 7 octobre 2016, elle a sollicité l'octroi d'une pension militaire d'invalidité au titre d'un état dépressif sévère dans un contexte de surmenage professionnel décompensé après le suicide d'un collègue de travail. Par une décision du 22 novembre 2018 prise après expertise et avis des organismes consultatifs, la ministre des armées a rejeté cette demande au motif que l'infirmité " Syndrome anxiodépressif. Phobies " était évaluée au taux de 20%, inférieur au minimum indemnisable requis de 30% pour l'ouverture d'un droit à pension en cas de maladie contractée en temps de paix. Par jugement du 8 juillet 2019, le tribunal des pensions militaires d'Agen a, avant-dire droit, ordonné une expertise judiciaire, avant de transmettre la demande de Mme A... épouse B... au tribunal administratif de Toulouse en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité. L'expert désigné a déposé son rapport le 13 mars 2020. Par jugement du 6 juillet 2021 dont Mme A... épouse B... relève appel, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable à la date de la demande de pension, la pension militaire d'invalidité est attribuée sur demande de l'intéressé et son entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. Aux termes de l'article L. 2 du même code : " Ouvrent droit à pension : (...) 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / (...) 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / (...) ". Aux termes de l'article L. 4 du même code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. (...) 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; (...) ". Il résulte de ces dispositions que le droit à pension est destiné à réparer toutes les conséquences des faits de service dommageables telles qu'elles se révèlent par suite de l'évolution physiologique, pour autant qu'aucune cause étrangère, telle qu'une affection distincte de l'affection pensionnée, ne vienne, pour sa part, aggraver l'état de l'intéressé.
3. Il résulte des dispositions précitées du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans leur rédaction applicable au litige, que le demandeur d'une pension, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité au service, doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle, ni des conditions générales de service partagées par l'ensemble des militaires servant dans la même unité et soumis de ce fait à des contraintes et des sujétions identiques. Dans les cas où sont en cause des troubles psychiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération l'ensemble des éléments du dossier permettant d'établir que ces troubles sont imputables à un fait précis ou à des circonstances particulières de service.
4. Il résulte de l'instruction que Mme A... épouse B..., qui exerçait des fonctions d'analyste judiciaire au sein de la cellule d'information et de rapprochement judiciaire d'Auch depuis le 16 juin 2001, a été placée en congé de maladie à compter du 22 janvier 2016 en raison d'un état dépressif caractérisé d'évolution prolongée dans un contexte d'épuisement professionnel. Elle a ensuite été placée en congé de longue durée pour maladie à compter du 13 juillet 2016, jusqu'à sa radiation des cadres de la gendarmerie par mise en réforme définitive pour infirmités le 13 juillet 2021. Mme A... épouse B..., qui a présenté sa demande de pension militaire d'invalidité le 7 octobre 2016, soit au-delà de la date lui permettant de se prévaloir d'une présomption d'imputabilité au service, soutient que son infirmité, dont le taux de 30% n'est pas contesté, résulte, d'une part, d'un exercice professionnel extrêmement sollicitant et, d'autre part, d'un évènement traumatisant survenu en novembre 2015, le suicide d'un collègue de travail dont elle était très proche. La requérante se prévaut notamment des conclusions rendues par l'expert missionné par jugement avant-dire droit du 8 juillet 2019 du tribunal des pensions militaires d'Agen, selon lequel elle souffre d'un état dépressif manifeste et chronique se matérialisant par une aboulie, une anhédonie, une douleur morale et une restriction de ses activités dans un contexte de troubles phobiques et de la vie sociale. Selon l'expert, ce syndrome anxiodépressif s'est nourri d'" une progressivité des faits par trop sollicitant, au point d'acquérir de par la sommation des répétitions une potentialité traumatique psychique, tels qu'ils ont émaillé une vie professionnelle qui semble avoir été durablement bien notée. Ce récit incline à créditer l'imputabilité de son trouble à des faits survenus au décours d'un exercice qui a posteriori semble avoir été excessivement sollicitant ". En outre, un médecin en chef du service psychiatrie de l'hôpital d'instruction des armées atteste que l'intéressée présente " un syndrome anxio-dépressif déclenché initialement dans un contexte d'épuisement progressif de ses mécanismes de défense en lien avec une activité professionnelle intense et éprouvante ". Il résulte de l'instruction que le syndrome anxiodépressif de Mme A... épouse B... a été déclenché alors qu'elle était plus particulièrement chargée des auditions de mineurs victimes d'agressions sexuelles, dites auditions " Mélanie ", et que la répercussion psychologique de cette activité spécifique est responsable de sa pathologie. Toutefois, en dépit du caractère éprouvant émotionnellement et psychologiquement de telles auditions, la requérante n'établit pas que ces auditions dont elle était notamment en charge aux côtés d'autres collègues depuis 2006 et qui relèvent des compétences inhérentes à ses fonctions, auraient été exercées dans des circonstances particulières ou exceptionnelles dérogeant aux conditions normales de leur exercice. Si elle soutient ainsi avoir été contrainte d'exercer seule ces missions à compter de l'année 2014, aucune pièce ne vient cependant justifier ses dires. Alors qu'elle a exposé devant l'expert psychiatre qu'elle aurait procédé seule à une centaine d'auditions au cours de l'année 2015, dont une vingtaine sur une même semaine, et produit un tableau récapitulatif établi par ses soins, la lettre de félicitations du commandant de groupement du 26 mars 2015 fait état de son concours très actif dans le cadre de plusieurs enquêtes judiciaires en procédant seule à treize auditions de mineurs victimes d'infractions sexuelles et à leurs retranscriptions en procédure au cours de la période du 16 au 25 février 2015. Aucune pièce ne vient cependant remettre en cause les termes du rapport établi le 11 juillet 2016 par le lieutenant C..., selon lequel au cours de l'année 2015 elle a effectué 1502 heures de travail en 190 jours, soit une moyenne de 8 heures par jour, et réalisé 69 auditions de mineurs victimes d'infractions sexuelles représentant un total de 129 heures et 45 minutes consacrés à cette activité, soit un peu moins de deux auditions par semaine. En outre, selon ce rapport, " lorsqu'il a été question de réduire son implication dans cette activité qui ne constitue pas véritablement le cœur de métier de la cellule d'information et de rapprochement judiciaire, la maréchale des logis-chef A... s'est dite très attachée à cette mission qu'elle considérait comme sa " bouffée d'oxygène ", comme un moyen pour elle de sortir des " tableaux " et de " garder un contact avec le terrain " ". Ainsi, si le fort investissement de la requérante dans ses missions est établi, tel n'est pas le cas de circonstances particulières de service à l'origine de son infirmité. Si elle soutient que le suicide d'un collègue gendarme dont elle était très proche, survenu en novembre 2015, a constitué un événement traumatisant ayant provoqué la décompensation de son syndrome, il ne résulte cependant pas de l'instruction que cet événement, dont le lien avec le service n'est pas suffisamment établi par la seule circonstance qu'une psychologue ait été requise par le service pour accompagner les agents en fonction, doive être regardé dans les circonstances de l'espèce comme un fait de service ou une circonstance particulière de service de nature à justifier l'imputabilité de son infirmité. Par suite, Mme A... épouse B..., qui ne rapporte pas la preuve du lien entre l'affection en cause et le service, ne peut prétendre à l'octroi d'une pension militaire d'invalidité à raison de cette pathologie.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme A... épouse B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... épouse B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... épouse B..., à Me Brangeon et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 31 août 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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