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21/09/2023 | FRANCE | N°22TL21384

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 4ème chambre, 21 septembre 2023, 22TL21384


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 10 mars 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2201246 du 9 juin 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, en

registrée le 24 juin 2022, Mme A..., représentée par Me Rosé, demande à la cour :

1°) d'annuler l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 10 mars 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2201246 du 9 juin 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 juin 2022, Mme A..., représentée par Me Rosé, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 9 juin 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 10 mars 2022 ;

3°) après l'avoir admise à l'aide juridictionnelle à titre provisoire, de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son avocat.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement dénature les faits de l'espèce ;

Sur le bien-fondé du jugement :

- la décision méconnaît l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 27 de la directive 2004/38/CE, dès lors que l'obligation de quitter le territoire doit être motivée par le comportement personnel de la personne constitutif une menace réelle, actuelle et grave à un intérêt fondamental de la société, ce qui n'est pas le cas ;

- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'un détournement de procédure qui a pour effet de porter atteinte à son droit au recours ;

- la décision n'est pas suffisamment motivée en méconnaissance de l'article 30 de la directive 2004/38/CE ;

- l'administration a commis une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 27 de la directive 2004/38/CE ;

- le refus d'accorder un délai de départ volontaire méconnaît l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en l'absence de toute urgence ;

- ce refus révèle un détournement de procédure afin de la priver de son droit au recours ;

- l'interdiction de circulation est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français invoquée par voie d'exception ;

- cette interdiction n'est pas motivée en méconnaissance de l'article 30 de la directive 2004/38/CE ;

- elle méconnaît l'article 27 de la même directive.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 novembre 2022, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il s'en remet à ses écritures produites en première instance.

Par une ordonnance du 22 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 décembre 2022.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Haïli, président-assesseur.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante roumaine née le 18 avril 1982, a été interpellée par les services de police le 9 mars 2022 pour exercice de la prostitution. A la suite de la procédure établie par les services de police, au cours de laquelle elle a reconnu faire régulièrement des allers-retours depuis la Roumanie vers la France pour s'y prostituer, le préfet de l'Hérault a édicté à son encontre, par un arrêté du 10 mars 2022 dont elle demande l'annulation, une obligation de quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement, assortie d'une décision d'interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de trois ans. L'intéressée relève appel du jugement n° 2201246 du 9 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2022. Par suite, ses conclusions tendant à ce qu'elle soit admise à titre provisoire à l'aide juridictionnelle sont dépourvues d'objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Mme A... ne peut donc utilement se prévaloir, pour contester la régularité du jugement attaqué, de ce que les premiers juges auraient entaché leur jugement d'une dénaturation des faits.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :

4. L'article 6 de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union européenne et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres prévoit que : " 1. Les citoyens de l'Union ont le droit de séjourner sur le territoire d'un autre état membre pour une période allant jusqu'à trois mois, sans autre condition ou formalités que l'exigence d'être en possession d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité ". Aux termes de l'article 27 de la même directive : " 1. (...) les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union ou d'un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. (...) / 2. Les mesures d'ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l'individu concerné. L'existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver de telles mesures. Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues. (...) ". Aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux citoyens de l'Union européenne : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / (...) 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société (...). L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ".

5. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision en litige en méconnaissance de l'article 30 de la directive 2004/38/CE et de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 3 de leur jugement.

6. Si l'exercice du racolage est parfois lié à d'autres activités qui constituent une menace pour l'ordre public, cette pratique ne suffit pas à elle seule à caractériser une menace pour l'ordre public. Toutefois, l'autorité administrative peut valablement caractériser l'existence d'un tel trouble en faisant état des conditions dans lesquelles la personne concernée se livre à cette activité ou des circonstances exceptionnelles qui entourent l'exercice de cette pratique. Il incombe au préfet, qui fonde sa décision d'éloignement sur les dispositions de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui a transposé l'article 27 de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, d'établir les conditions dans lesquelles l'exercice du racolage est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française.

7. Il ressort des pièces du dossier et notamment des procès-verbaux de police versés au dossier que Mme A..., qui déclare vivre de la prostitution, accomplit régulièrement des allers et retours entre la Roumanie et la France et qu'elle est ainsi entrée en France pour la première fois en 2014 et y est revenue pour la dernière fois au début de l'année 2022. Elle a fait l'objet antérieurement de quatre arrêtés d'obligation de quitter le territoire français pour ce même motif, les 20 avril 2015, 8 avril 2016, 19 mai 2018 et 11 avril 2019. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier des éléments concrets permettant d'établir que les activités de racolage et de prostitution dans le secteur de la route départementale 609, dans le sens Béziers-Narbonne, sur le territoire de la commune de Nissan les Ensérunes, où a été interpellée la requérante, contribuent de manière significative à troubler la tranquillité et la sécurité des riverains et donnent lieu également à des problèmes de comportement dangereux des automobilistes qui représentent une mise en danger des autres usagers de la route, eu égard notamment au recensement sur ce tronçon routier fortement fréquenté, entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2020, de sept accidents corporels graves dont deux mortels, provoqués par cette activité qui perturbe la circulation routière, en raison des arrêts inopinés de véhicules, des ralentissements, des traversées intempestives de chaussées pour aborder les clients. Les maires des communes de Béziers, Servian et Valros ont d'ailleurs prononcé des arrêtés municipaux visant à interdire le stationnement des prostituées entrainant des verbalisations quotidiennes par les agents de la force publique le long de cette voie routière. Enfin, la requérante qui ne prétend pas disposer d'autre moyen de subsistance que les revenus tirés de l'exercice de la prostitution, n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où se trouvent notamment ses enfants. Dès lors, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, en particulier de la participation de la requérante à cette activité qui, en l'espèce, génère des troubles importants à l'ordre public, à la salubrité et à la tranquillité publiques, de sa situation familiale et de son absence d'intégration sociale en France, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le préfet de l'Hérault a commis des erreurs de droit et d'appréciation en retenant que son comportement constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française et, par suite, justifiait, qu'en application des dispositions de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une mesure d'éloignement soit prise à son encontre.

8. Enfin, si la requérante soutient que la décision attaquée aurait été prise dans un but étranger à la sauvegarde de l'ordre public et serait ainsi entachée d'un détournement de pouvoir, elle ne l'établit pas.

En ce qui concerne la décision portant refus d'un délai de départ volontaire :

9. Aux termes de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les étrangers dont la situation est régie par le présent livre disposent, pour satisfaire à l'obligation qui leur a été faite de quitter le territoire français, d'un délai de départ volontaire d'un mois à compter de la notification de la décision. / L'autorité administrative ne peut réduire le délai prévu au premier alinéa qu'en cas d'urgence et ne peut l'allonger qu'à titre exceptionnel ".

10. En faisant référence à l'ensemble des circonstances qui sont rappelées au point 7 du présent arrêt, le préfet de l'Hérault a pu décider qu'il y avait urgence à éloigner l'intéressée du territoire français. Dès lors, cette dernière n'est pas fondée à soutenir que la décision de refus de délai de départ volontaire méconnaîtrait les dispositions précitées de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et serait entachée d'un détournement de procédure.

En ce qui concerne l'interdiction de circulation en France d'une durée de trois ans :

11. Aux termes de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée sur le fondement des 2° ou 3° de l'article L. 251-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. ". Le 6ème alinéa de l'article L. 251-1 de ce code, applicable aux interdictions de circuler en application de l'article L. 251-6 du même code, prévoit que : " L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ".

12. Le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision d'éloignement et le moyen tiré du défaut de motivation de la décision en litige doivent être écartés par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 9 et 10 de leur jugement.

13. La décision contestée est fondée sur le comportement de la requérante et l'absence d'intégration sociale et professionnelle particulière tels que détaillés au point 7 du présent arrêt. En outre, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., qui déclare être revenue sur le territoire pour la dernière fois au début de l'année 2022, ne dispose pas d'attaches personnelles ou familiales en France dès lors que toute sa famille et ses cinq enfants résident en Roumanie Dans ces conditions, et pour les mêmes motifs, le préfet de l'Hérault était fondé à interdire à la requérante de circuler sur le territoire français pendant une durée de trois ans. Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit donc être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 9 juin 2022.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, une somme à verser au requérant au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Rosé et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président de chambre,

M. Haïli, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023.

Le président-assesseur,

X. Haïli

Le président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

No 22TL21384 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21384
Date de la décision : 21/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. CHABERT
Rapporteur ?: M. Xavier HAÏLI
Rapporteur public ?: Mme MEUNIER-GARNER
Avocat(s) : ROSE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-09-21;22tl21384 ?
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