Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière (SCI) du circuit de Gasques a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Gasques à lui verser la somme de 8 121 698 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande préalable indemnitaire et de leur capitalisation annuelle, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité du certificat d'urbanisme " pré-opérationnel " positif délivré le 21 juillet 2008 par le maire de Gasques.
Par un jugement n° 1905046 du 25 juin 2021, le tribunal administratif de Toulouse a condamné la commune de Gasques à verser à la société civile immobilière du circuit de Gasques la somme de 73 649,20 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2019 et de la capitalisation annuelle de ces intérêts à compter du 19 juin 2020.
Procédures devant la cour :
I- Par une requête et un mémoire, enregistrés au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux sous le n°21BX03404 puis au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°21TL23404 les 13 août 2021 et 21 décembre 2022, la société civile immobilière du circuit de Gasques, représentée par la SELARL Cabinet Ferrant, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a limité son indemnité à la somme de 73 649, 20 euros ;
2°) de condamner la commune de Gasques à lui verser la somme globale de 8 349 802,81 euros en réparation des différents préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité du certificat d'urbanisme " pré-opérationnel " positif du 21 juillet 2008 assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande indemnitaire préalable et de la capitalisation annuelle de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Gasques une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le certificat d'urbanisme " pré-opérationnel " positif délivré le 21 juillet 2008 par le maire de Gasques est entaché d'illégalité fautive dès lors que le projet d'anneau routier qu'elle souhaitait réaliser ne pouvait l'être en application du règlement de la zone ZN de la carte communale applicable au terrain d'assiette de ce projet ;
- le lien de causalité entre cette illégalité fautive et ses préjudices, d'un montant total de 8 349 802,81 euros, présente un caractère direct et certain dès lors que le circuit automobile revêt un caractère nécessaire pour la réalisation de son projet et qu'elle n'aurait donc pas procédé à l'achat de ce bien si le certificat d'urbanisme n'avait pas indiqué son opération réalisable ;
- son préjudice financier se compose de frais juridiques correspondant à l'assistance nécessaire au montage du projet et à l'acquisition du foncier à hauteur de 46 041 euros, de frais de travaux à hauteur de 216 436 euros, de frais d'architecte pour le montage du projet afin de déposer les demandes de permis d'aménager à hauteur de 68 686 euros, des frais d'assurance de son bien à hauteur de 29 291 euros, des frais d'entretien à hauteur de 31 569 euros, des frais fiscaux à hauteur de 63 310 euros, des frais d'électricité à hauteur de 26 554 euros, des frais de comptabilité à hauteur de 18 184 euros, des frais d'enquête publique à hauteur de 32 729 euros, des pertes de profits à hauteur de 6 552 641 euros, des frais de maintenance à hauteur de 52 000 euros, des intérêts perdus sur investissement à hauteur de 196 000 euros, d'intérêts hypothécaires à hauteur de 740 657 euros et de coûts personnels à hauteur de 37 600 euros ;
- elle a également subi un préjudice moral à hauteur de 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2022, la commune de Gasques, représentée par la SCP Gervais Mattar Cassignol, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la société civile immobilière du circuit de Gasques ;
2°) par la voie de l'appel incident, à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 25 juin 2021 et de rejeter la demande de première instance de la société civile immobilière du circuit de Gasques et, à titre subsidiaire, de réformer ce jugement en limitant l'indemnisation de cette société à la somme de 6 496,61 euros ;
3°) de mettre à la charge de la société civile immobilière du circuit de Gasques une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, elle n'a pas commis de faute dans la délivrance du certificat d'urbanisme dès lors que le projet présenté dans le cadre de la demande de ce certificat consistait en une exploitation d'agritourisme accessoire à une activité de nature agricole présentant le caractère d'une installation nécessaire à l'exploitation agricole au sens des dispositions de la zone ZN de la carte communale alors en vigueur ;
- la société du circuit de Gasques a commis une faute de nature à l'exonérer de sa responsabilité en présentant de façon fallacieuse son projet ;
- à titre subsidiaire, le lien de causalité entre l'éventuelle illégalité et les préjudices de la société du circuit de Gasques ne présente pas un caractère direct et certain dès lors que l'anneau routier envisagé revêtait un caractère accessoire pour la réalisation du projet de cette société ;
- les frais de notaire et les frais juridiques ne sont pas en lien avec l'illégalité du certificat d'urbanisme ;
- les frais de travaux, d'assurance, d'électricité, d'entretien, de maintenance et d'imposition résultent uniquement de charges incombant à tout propriétaire ;
- les frais de comptabilité ne sont pas en lien avec l'illégalité du certificat d'urbanisme ;
- les intérêts hypothécaires, qui ne sont pas justifiés, correspondent à des dépenses de conservation ;
- les frais de déplacement, qui ne sont pas justifiés, ne sont pas en lien avec l'illégalité du certificat d'urbanisme ;
- les frais d'architecte, de géomètre et de réalisation d'une insertion graphique pour la réalisation d'un circuit automobile à caractère commercial sont étrangers à l'objet social de la société ;
- à titre subsidiaire, il y a lieu de réduire cette indemnisation à 3 892,02 euros afin de tenir compte du coût réel des frais pour la réalisation d'un anneau routier correspondant à celui qu'elle prétendait vouloir construire lors du dépôt de sa demande de certificat d'urbanisme ; la société, qui est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, a nécessairement récupéré cette taxe sur les frais d'architecte qui doivent être calculés hors taxes ;
- les frais d'enquête publique pour la réalisation d'un circuit automobile à caractère commercial sont étrangers à l'objet social de la société ;
- les intérêts perdus sur les investissements ne sont pas en lien avec l'illégalité dès lors qu'il n'est pas établi qu'ils ont été exposés pour la réalisation du circuit automobile ;
- les pertes de profit ne sont pas en lien direct et certain avec l'illégalité ;
- le préjudice moral n'est pas établi dès lors que la société du circuit de Gasques n'a pas été affectée dans son honneur ou sa réputation.
Par ordonnance du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de la société civile immobilière du circuit de Gasques.
Par ordonnance du 22 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 12 janvier 2023.
II- Par une requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux sous le n° 21BX03491 puis au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL23491 le 25 août 2021, la commune de Gasques, représentée par la SCP Gervais Mattar Cassignol, demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 25 juin 2021 et de rejeter la demande de première instance de la société civile immobilière du circuit de Gasques ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement en limitant l'indemnisation de cette société à la somme de 6 496, 61 euros ;
3°) de mettre à la charge de la société civile immobilière du circuit de Gasques une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, elle n'a pas commis de faute dans la délivrance du certificat d'urbanisme dès lors que le projet présenté dans le cadre de la demande de ce certificat consistait en une exploitation d'agritourisme accessoire à une activité de nature agricole présentant le caractère d'une installation nécessaire à l'exploitation agricole au sens des dispositions de la zone ZN de la carte communale alors en vigueur ;
- la société civile immobilière du circuit de Gasques a commis une faute de nature à l'exonérer de sa responsabilité en présentant de façon fallacieuse son projet ;
- à titre subsidiaire, le lien de causalité entre l'éventuelle illégalité et les préjudices de la société du circuit de Gasques ne présente pas un caractère direct et certain dès lors que la réalisation de l'anneau routier présentait un caractère accessoire pour la réalisation du projet de cette société ;
- les frais de notaire et les frais juridiques ne sont pas en lien avec l'illégalité du certificat d'urbanisme ;
- les frais de travaux, d'assurance, d'électricité, d'entretien, de maintenance et d'imposition résultent uniquement de charges incombant à tout propriétaire ;
- les frais de comptabilité ne sont pas en lien avec l'illégalité du certificat d'urbanisme ;
- les intérêts hypothécaires, qui ne sont pas justifiés, correspondent à des dépenses de conservation ;
- les frais de déplacement, qui ne sont pas justifiés, ne sont pas en lien avec l'illégalité du certificat d'urbanisme ;
- les frais d'architecte, de géomètre et de réalisation d'une insertion graphique pour la réalisation d'un circuit automobile à caractère commercial sont étrangers à l'objet social de la société ; à titre subsidiaire, il y a lieu de réduire cette indemnisation à 3 892,02 euros afin de tenir compte du coût réel des frais pour la réalisation d'un anneau routier correspondant à celui qu'elle prétendait vouloir construire lors du dépôt de sa demande de certificat d'urbanisme ; la société, qui est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, a nécessairement récupéré cette taxe sur les frais d'architecte qui doivent être calculés hors taxes ;
- les frais d'enquête publique pour la réalisation d'un circuit automobile à caractère commercial sont étrangers à l'objet social de la société ;
- les intérêts perdus sur les investissements ne sont pas en lien avec l'illégalité dès lors qu'il n'est pas établi qu'ils ont été exposés pour la réalisation du circuit automobile ;
- les pertes de profit ne sont pas en lien direct et certain avec l'illégalité ;
- le préjudice moral n'est pas établi dès lors que la société du circuit de Gasques n'a pas été affectée dans son honneur ou sa réputation.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 novembre 2022 et 21 décembre 2022, la société civile immobilière du circuit de Gasques, représentée par la SELARL Cabinet Ferrant, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de rejeter la requête de la commune de Gasques ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 25 juin 2021 en tant qu'il a limité son indemnité à la somme de 73 649, 20 euros et de condamner la commune de Gasques à lui verser la somme globale de 8 349 802,81 euros en réparation des différents préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité du certificat d'urbanisme " pré-opérationnel " positif du 21 juillet 2008 assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande indemnitaire préalable et de la capitalisation annuelle de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Gasques une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Elle fait valoir que :
- le certificat d'urbanisme " pré-opérationnel " positif du 21 juillet 2008, est entaché d'illégalité fautive dès lors que le projet d'anneau routier qu'elle souhaitait réaliser ne pouvait l'être en application du règlement de la zone ZN de la carte communale ;
-le lien de causalité entre cette illégalité et ses préjudices d'un montant total de 8 121 698 euros présente un caractère direct et certain dès lors que le circuit automobile revêt un caractère nécessaire pour la réalisation de son projet et qu'elle n'aurait donc pas procédé à l'achat de ce bien si le certificat d'urbanisme n'avait pas indiqué son opération réalisable ;
- son préjudice financier se compose de frais juridiques correspondant à l'assistance nécessaire au montage du projet et à l'acquisition du foncier à hauteur de 46 041 euros, de frais de travaux à hauteur de 216 436 euros, de frais d'architecte pour le montage du projet afin de déposer les demandes de permis d'aménager à hauteur de 68 686 euros, des frais d'assurance de son bien à hauteur de 29 291 euros, des frais d'entretien à hauteur de 31 569 euros, des frais fiscaux à hauteur de 63 310 euros, des frais d'électricité à hauteur de 26 554 euros, des frais de comptabilité à hauteur de 18 184 euros, des frais d'enquête publique à hauteur de 32 729 euros, des pertes de profits à hauteur de 6 552 641 euros, des frais de maintenance à hauteur de 52 000 euros, des intérêts perdus sur investissement à hauteur de 196 000 euros, d'intérêts hypothécaires à hauteur de 740 657 euros et de coûts personnels à hauteur de 37 600 euros ;
- elle a également subi un préjudice moral à hauteur de 10 000 euros.
Par ordonnance du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de la commune de Gasques.
Par ordonnance du 14 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 16 janvier 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lasserre, première conseillère,
- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,
- et les observations de Me Guillou, représentant la société du circuit de Gasques et de Me Mattar, représentant la commune de Gasques.
Une note en délibéré, enregistrée le 19 octobre 2023, a été produite par la société du circuit de Gasques, représentée par la SELARL Cabinet Ferrant, dans chacune des instances n° 21TL23404 et n° 21T23491
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que le maire de Gasques (Tarn-et-Garonne) a délivré le 21 juillet 2008 à la société du circuit de Gasques un certificat d'urbanisme opérationnel déclarant réalisable un projet d'aménagement d'un ancien château et de ses dépendances en vue de leur affectation à usage de chambres d'hôtes, tables d'hôtes et gîtes ruraux et la réalisation d'un anneau routier sur un ensemble de parcelles couvrant plus de 61 hectares au lieu-dit " Carme " que les gérants de cette société avaient l'intention d'acquérir. Par décision du 18 décembre 2009, la durée de ce certificat d'urbanisme a été prorogée pour un an. Par arrêté du 6 avril 2012, le maire de Gasques a rejeté la demande de permis d'aménager un anneau routier destiné à la pratique de sports ou de loisirs motorisés déposée par cette société. Par un jugement du 11 juin 2015, le tribunal administratif de Toulouse a annulé ce refus et enjoint au maire de Gasques de reprendre une décision après une nouvelle instruction de cette demande. Par arrêté du 4 août 2015, le maire de Gasques a opposé un nouveau refus à cette demande de permis d'aménager. Par un jugement du 19 septembre 2017 et un arrêt du 15 février 2019, le tribunal administratif de Toulouse et la cour administrative d'appel de Bordeaux ont rejeté les conclusions de la société du circuit de Gasques tendant à l'annulation de ce second refus et à l'indemnisation des préjudices qu'elle estimait avoir subis en raison de l'illégalité de l'arrêté du 6 avril 2012.
2. Il résulte également de l'instruction que, par un courrier du 17 juin 2019 reçu le 19 juin suivant, la société du circuit de Gasques a demandé à la commune de Gasques de l'indemniser des préjudices résultant de l'illégalité du certificat d'urbanisme du 21 juillet 2008. Sa demande a été rejetée par un courrier du 1er juillet 2019. Par un jugement du 25 juin 2021, le tribunal administratif de Toulouse a condamné la commune de Gasques à verser à la société du circuit de Gasques la somme de 73 649,20 euros. Par la requête n°21TL23404 et par son appel incident dans l'instance n° 21TL23491, la société du circuit de Gasques demande de réformer ce jugement en tant qu'il a limité son indemnité à la somme de 73 649,20 euros et de condamner la commune de Gasques à lui verser la somme globale de 8 349 802,81 euros en réparation des différents préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité du certificat d'urbanisme opérationnel du 21 juillet 2008. Par la requête n°21TL23491 et par son appel incident dans l'instance n° 21TL23404, la commune de Gasques demande, à titre principal, d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de première instance de cette société et, à titre subsidiaire, de réformer ce jugement en limitant l'indemnisation de cette société à la somme de 6 496, 61 euros. Il y a lieu de joindre ces requêtes dirigées contre le même jugement pour statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions en indemnisation :
En ce qui concerne le droit à indemnisation de la société du circuit de Gasques :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur : " Le certificat d'urbanisme, en fonction de la demande présentée : / a) Indique les dispositions d'urbanisme, les limitations administratives au droit de propriété et la liste des taxes et participations d'urbanisme applicables à un terrain ; / b) Indique en outre, lorsque la demande a précisé la nature de l'opération envisagée ainsi que la localisation approximative et la destination des bâtiments projetés, si le terrain peut être utilisé pour la réalisation de cette opération ainsi que l'état des équipements publics existants ou prévus. / Lorsqu'une demande d'autorisation ou une déclaration préalable est déposée dans le délai de dix-huit mois à compter de la délivrance d'un certificat d'urbanisme, les dispositions d'urbanisme, le régime des taxes et participations d'urbanisme ainsi que les limitations administratives au droit de propriété tels qu'ils existaient à la date du certificat ne peuvent être remis en cause à l'exception des dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique. (...) ".
4. Aux termes des dispositions du règlement de la carte communale de Gasques, en vigueur à la date de la délivrance du certificat d'urbanisme, le 21 juillet 2008, applicable à la zone ZN dans laquelle était situé le terrain d'assiette du projet : " Dans cette zone, sous réserve des articles R. 111-2, R. 111-3-1, R. 111-3-2, R. 111-13, R. 111-14-1, R. 111-21 du code de l'urbanisme, ne sont admises que : - l'adaptation, la réfection ou l'extension des constructions existantes - les constructions nécessaires à l'extension des activités existantes - le changement de destination pour la réhabilitation des constructions existantes (...) - les annexes des constructions à usage d'habitation - les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs - les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole ou forestière et notamment : les gîtes ruraux, les campings à la ferme, les habitations constituant des sièges d'exploitation agricole, les serres - les constructions et installations nécessaires à la mise en valeur des ressources naturelles - les constructions à usage d'habitation principale, pour l'exploitant (...) ".
5. D'une part, il résulte de l'instruction que la demande du certificat d'urbanisme en litige indiquait que l'opération projetée tendait, d'une part, à la rénovation du château et de ses dépendances en vue de leur affectation à usage de chambres d'hôtes, tables d'hôtes et gites ruraux et, d'autre part, à l'aménagement d'un anneau routier exclusivement réservé à la future clientèle des acquéreurs, d'une longueur d'environ deux kilomètres sur neuf mètres de large, destiné à la circulation de véhicules de collection, en vue de promouvoir ce type de loisirs, en dehors de toute compétition sportive automobile. Le certificat d'urbanisme délivré le 21 juillet 2008 par le maire de Gasques indique que l'opération ainsi envisagée est réalisable. Or, contrairement à ce que soutient la commune de Gasques, le projet d'anneau routier ne constitue pas une construction ou une installation nécessaire à une exploitation agricole ou forestière. Il n'entre pas ainsi dans le champ des constructions autorisées par les dispositions précitées du règlement de la carte communale de Gasques applicables à la zone ZN. Par suite, le certificat d'urbanisme opérationnel du 21 juillet 2008 déclarant réalisable cet anneau routier a été délivré en méconnaissance des règles de la carte communale fixant les conditions d'occupation et d'utilisation du sol dans la zone concernée. Cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Gasques.
6. D'autre part, ainsi qu'il vient d'être exposé, la demande de certificat d'urbanisme indiquait expressément que l'opération tendait notamment à la réalisation d'un anneau routier, exclusivement réservé à la future clientèle des acquéreurs, d'une longueur d'environ deux kilomètres sur neuf mètres de large, destiné à la circulation de véhicules de collection, en vue de promouvoir ce type de loisirs, en dehors de toute compétition sportive automobile. Si la commune de Gasques soutient avoir été induite en erreur par cette demande en raison de la présentation tronquée du projet envisagé, il résulte également de ce qui a été dit au point précédent que le projet tel que présenté ne pouvait pas être considéré comme réalisable par la commune de Gasques. Par suite, la circonstance que la société du circuit de Gasques ait modifié son projet au stade de sa demande de permis d'aménager en élargissant l'accès à l'anneau routier pour ne plus le restreindre aux seuls véhicules de collection et hôtes de ses gîtes et en permettre une pratique sportive ne permet pas d'exonérer la commune de Gasques de sa responsabilité à son égard.
En ce qui concerne les préjudices de la société du circuit de Gasques :
7. La responsabilité d'une personne publique n'est susceptible d'être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes qu'elle a commises et le préjudice subi par la victime.
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la demande de certificat d'urbanisme du 21 mai 2008 présentait la réalisation de l'anneau routier au conditionnel, à la différence du projet de rénovation de l'ancien château et de ses dépendances en vue d'y déployer une activité d'hébergement et de restauration. En outre, la société du circuit de Gasques a acquis par acte sous-seing privé du 7 août 2008 à la suite d'un compromis de vente du 18 décembre 2006 les parcelles sur lesquelles elle souhaitait réaliser son projet sans poser de condition suspensive tenant à l'obtention d'un permis d'aménager l'anneau routier. Enfin, aucune pièce antérieure à l'acquisition n'évoque le caractère nécessaire du circuit automobile pour l'équilibre économique global de l'opération. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que si le certificat d'urbanisme avait déclaré le projet d'anneau routier irréalisable, la société du circuit de Gasques n'aurait pas procédé à l'achat des parcelles concernées. Par suite, et dès lors que la réalisation de l'anneau routier n'était pas nécessaire au projet de la société du circuit de Gasques, les frais de notaire et d'assistance juridique nécessaire au montage du projet et à l'acquisition de la propriété ne présentent pas un lien de causalité direct et certain avec la faute résultant de l'illégalité du certificat d'urbanisme.
9. En deuxième lieu, la société requérante n'est pas fondée à demander l'indemnisation des travaux réalisés sur ses bâtiments, des frais d'assurance, d'électricité, d'entretien et de maintenance et des intérêts hypothécaires, ainsi que des impositions auxquelles elle a été soumise en raison de l'acquisition de sa propriété dès lors que, pour les mêmes motifs que ceux cités au point précédent, ces frais résultent uniquement de l'acquisition de la propriété et ne présentent donc pas un lien de causalité direct et certain avec la faute résultant de l'illégalité du certificat d'urbanisme.
10. En troisième lieu, si la société du circuit de Gasques soutient qu'elle a exposé des frais de comptabilité, elle n'apporte aucun élément de nature à établir que l'absence de réalisation de l'anneau routier lui aurait causé des frais supplémentaires par rapport au projet initial contenu dans sa demande de certificat d'urbanisme du 21 mai 2008. Par suite, de tels frais ne peuvent être regardés comme présentant un lien de causalité direct et certain avec l'illégalité du certificat d'urbanisme du 21 juillet 2008.
11. En quatrième lieu, les frais d'acquisition d'un véhicule par les gérants de la société du circuit de Gasques ne présentent aucun lien de causalité avec l'illégalité du certificat d'urbanisme du 21 juillet 2008.
12. En cinquième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la société requérante ait contracté un emprunt pour la réalisation de son projet d'anneau routier. Par suite, le préjudice résultant des intérêts perdus sur investissement ne présente aucun lien de causalité avec l'illégalité du certificat d'urbanisme du 21 juillet 2008.
13. En sixième lieu, si la société requérante sollicite l'indemnisation de pertes de profits en l'absence de réalisation de son opération projetée, le bénéfice que la société du circuit de Gasques escomptait tirer de l'anneau routier envisagé ne présente qu'un caractère purement éventuel. Par suite, elle ne peut prétendre à l'indemnisation du préjudice commercial résultant des pertes de profits dues à l'absence de réalisation de son projet.
14. En septième lieu, la société du circuit de Gasques n'établit pas avoir subi un préjudice moral en se bornant à se prévaloir de ce que la commune de Gasques lui a laissé croire pendant des années, ainsi qu'à ses représentants, que son projet était réalisable. Par suite, et alors d'ailleurs que le projet d'anneau routier ne présentait qu'un caractère éventuel dans sa demande de certificat d'urbanisme du 15 mai 2008, la société du circuit de Gasques n'est pas fondée à se prévaloir d'un préjudice moral lié à l'illégalité du certificat d'urbanisme du 21 juillet 2008.
15. En huitième lieu, il résulte de l'instruction que les seuls frais d'architecte, de géomètre et de réalisation d'une insertion photographique en lien avec l'illégalité du certificat d'urbanisme du 21 juillet 2008 sont ceux engagés pour la réalisation du dossier de demande de permis d'aménager portant sur l'anneau routier, l'objet social de la société du circuit de Gasques lui permettant une telle opération. En revanche, ceux en rapport avec l'aménagement du château et de ses dépendances ne peuvent pas être regardés comme en lien direct et certain avec cette illégalité. Dans ces conditions, et dès lors que la commune de Gasques soutient, sans être contredite, que la société du circuit de Gasques est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée et a pu déduire cette taxe de ces frais, ce préjudice doit être évaluée à 32 700 euros. Elle justifie également avoir exposé des frais pour la réalisation des enquêtes publiques nécessaires dans le cadre de l'instruction de ce projet de circuit routier et donc en lien avec l'illégalité du certificat d'urbanisme positif du 21 juillet 2008 pour un montant de 32 266 euros.
16. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la requête et l'appel incident de la société du circuit de Gasques doivent être rejetés et, d'autre part, que la commune de Gasques est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse l'a condamnée à verser à la société du circuit de Gasques la somme de 73 649,20 euros. Il convient de ramener cette somme à la somme de 64 966 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2019 et de la capitalisation annuelle de ces intérêts à compter du 19 juin 2020.
Sur les frais liés aux litiges :
17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
18. Les conclusions présentées sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société du circuit de Gasques, qui ne peut être regardée, dans les instances en cause, comme étant la partie gagnante, ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à celles présentées par la commune de Gasques sur le même fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête n° 21TL23404 présentée par la société civile immobilière du circuit de Gasques et son appel incident dans l'instance n° 21TL23491 sont rejetés.
Article 2 : La somme de 73 649,20 euros que la commune de Gasques a été condamnée à verser à la société du circuit de Gasques par le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 25 juin 2021 est ramenée à 64 966 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 juin 2019 et de la capitalisation annuelle de ces intérêts à compter du 19 juin 2020.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 25 juin 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Gasques sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les instances nos 21TL23404 et 21TL13491 sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière du circuit de Gasques et à la commune de Gasques.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
Mme Lasserre, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.
La rapporteure,
N. Lasserre
Le président,
D. ChabertLa greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au préfet de Tarn-et-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 21TL23404, 21TL23491