Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 2 septembre 2021 par lequel la préfète de la Lozère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2103391 du 31 janvier 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 février 2022, sous le n° 22MA00732 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 22TL00732 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et deux mémoires complémentaires enregistrés le 17 mai 2022 et le 6 juillet 2022, M. B..., représenté par Me Boutang, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 septembre 2021 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Lozère de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la compétence de la signataire de la décision portant refus de titre de séjour n'est pas établie ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il justifie de sa minorité lors de son arrivée sur le territoire français ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est dépourvue de motivation ;
- elle n'a pas été précédée d'un débat contradictoire ;
- elle méconnaît son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- le tribunal a à tort écarté l'exception d'illégalité de la décision fixant le pays de renvoi alors que cette décision était contestée par voie d'action.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2022, le préfet de la Lozère conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 6 juillet 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 juillet 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Lafon a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité guinéenne, fait appel du jugement du 31 janvier 2022 du tribunal administratif de Nîmes qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 septembre 2021 par lequel la préfète de la Lozère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Sur la régularité du jugement :
2. M. B... a soulevé, devant le tribunal administratif de Nîmes, le moyen, dirigé contre la décision fixant le pays de renvoi, tiré de l'illégalité, par voie d'exception, des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français. Il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que les premiers juges ont répondu à ce moyen, sans pour autant remettre en cause la contestation par voie d'action de la décision fixant le pays de destination. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
3. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par la préfète de la Lozère, qui avait été nommée par un décret du 15 janvier 2020, régulièrement publié au Journal officiel de la République française. Par suite, alors même que ce décret n'a pas été versé au dossier, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision attaquée manque en fait et doit être écarté.
4. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française (...) ". Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
5. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ".
6. Les dispositions de l'article 47 du code civil posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il résulte également de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
7. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que la demande de titre de séjour que M. B... a présentée sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été rejetée au motif que l'intéressé, qui a déclaré être né le 5 mai 2003 et être entré en France en juin 2018 et qui a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Lozère à compter du 16 octobre 2020, ne satisfaisait pas aux conditions d'âge prévues par ces dispositions.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a présenté, à l'appui de sa demande de titre de séjour, les copies d'un extrait d'acte de naissance délivré le 16 mai 2003 et d'un jugement supplétif du 23 avril 2020 du tribunal de première instance de Conakry III - Mafanco, accompagné d'un extrait du registre de transcription des naissances daté du 12 mai 2020, au vu desquels il serait né le 5 mai 2003. Dans un rapport d'analyse documentaire du 10 août 2021, les services de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Montpellier ont remis en cause la valeur probante de ces documents. Ils ont relevé que l'extrait d'acte de naissance mentionnait que M. B... était le troisième enfant de sa mère, alors que l'intéressé avait déclaré aux services de l'aide sociale à l'enfance de la Haute-Loire, le 6 septembre 2018, qu'il ne possédait de fratrie que du côté de son père. L'intéressé a par ailleurs fui l'établissement qui l'hébergeait, alors que le tribunal pour enfants du C... avait prononcé, le 18 février 2020, une mainlevée de son placement en raison de sa majorité, et été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance de la Lozère le 16 octobre 2020. Les services de la police aux frontières ont également relevé qu'un jugement supplétif n'avait pas lieu d'être dès lors que la législation guinéenne ne le rendait nécessaire que pour toute déclaration de naissance intervenue au-delà d'un délai de quinze jours à compter de la naissance de l'enfant et que l'acte de naissance indiquait que la déclaration avait été effectuée par le père de M. B... dans un délai de sept jours. Ils ont enfin retenu que le jugement supplétif du 23 avril 2020 indiquait la présence de deux témoins ayant respectivement 11 et 13 ans en 2003. Ces éléments ne sont pas remis en cause par le contenu du rapport simplifié d'analyse documentaire établi le 27 août 2020 par la direction zonale sud de la police aux frontières à partir du seul jugement supplétif. Ils sont de nature, eu égard aux incohérences qu'ils révèlent et au contexte de fraude massive à l'état civil en Guinée visant à l'obtention du statut de mineur non accompagné en France, à renverser la présomption d'authenticité résultant des dispositions précitées de l'article 47 du code civil. En dépit de la motivation de l'ordonnance de placement provisoire rendue le 16 octobre 2020 par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Mende et des conclusions, d'ailleurs incertaines, du rapport d'évaluation sociale de minorité et d'isolement établi le 12 juin 2020, M. B... ne justifie donc pas avoir été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans. M. B... ne peut, à cet égard, utilement invoquer les énonciations de la circulaire interministérielle du 25 janvier 2016 relative à la mobilisation des services de l'État auprès des conseils départementaux concernant les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, qui n'imposaient pas à la préfète de la Lozère de régulariser sa situation. Il en résulte que cette dernière a pu, pour ce seul motif, alors même que l'intéressé justifierait suivre une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et serait inséré dans la société française, refuser de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. En troisième lieu, M. B... déclare être entré en France en juin 2018. Il est célibataire et sans charge de famille et ne justifie pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Dans ces conditions, alors même que M. B... se prévaut du parcours d'insertion qu'il a suivi en France, la décision portant refus de titre de séjour n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. La motivation du refus de titre de séjour étant suffisante, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'obligation de quitter le territoire doit être écarté.
11. En deuxième lieu, dans le cas où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement de ce refus. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu avant que n'intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la préfète de la Lozère aurait méconnu le droit de M. B... à être entendu qu'il tient des principes généraux du droit de l'Union européenne doit être écarté.
12. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 9 du présent arrêt, le moyen selon lequel la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaîtrait le droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale doit être écarté.
13. En quatrième lieu, aucune des circonstances évoquées précédemment n'est de nature à faire regarder la décision attaquée comme entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B....
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
14. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen, dirigé contre la décision fixant le pays de renvoi, tiré de l'illégalité, par voie d'exception, des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
15. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
D E C I D E :
Article 1er : La requête présentée par M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Marc Boutang et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Lozère.
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2023, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- M. Lafon, président assesseur,
- Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.
Le rapporteur,
N. Lafon
Le président,
A. Barthez
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°22TL00732 2