Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 24 décembre 2020 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a décidé de sa remise aux autorités espagnoles.
Par un jugement n° 2102572 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 24 décembre 2020 et enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2023 sous le n° 23TL01828, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement.
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que son arrêté méconnaissait les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2023, Mme A..., représentée par Me Sadek, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne d'exécuter le jugement n° 2102572 du 20 juin 2023 du tribunal administratif de Toulouse en lui délivrant un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que le moyen soulevé par le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé et elle reprend ses écritures présentées en première instance.
Par ordonnance du 13 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 31 octobre 2023 à 12 heures.
Un mémoire présenté pour Mme A... a été enregistré le 31 octobre 2023 à 17 heures 27.
Par une décision du 18 octobre 2023, Mme A... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
II. Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2023 sous le n° 23TL01829, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2102572 du 20 juin 2023 du tribunal administratif de Toulouse.
Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce réunies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2023, Mme A..., représentée par Me Sadek, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne d'exécuter le jugement n° 2102572 du 20 juin 2023 du tribunal administratif de Toulouse ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que la demande de sursis à exécution n'est pas fondée et elle reprend ses écritures présentées en première instance.
Par ordonnance du 8 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 31 octobre 2023 à 12 heures.
Un mémoire présenté pour Mme A... a été enregistré le 31 octobre 2023 à 17 heures 27.
Par une décision du 18 octobre 2023, Mme A... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Chalbos a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante palestinienne née le 12 février 1985, déclare être entrée en France le 25 juillet 2010 sous couvert d'un titre de séjour espagnol en cours de validité. Après le rejet définitif de sa demande d'asile par la cour nationale du droit d'asile le 27 novembre 2018 au motif que l'intéressée dispose déjà d'une protection internationale en Espagne, Mme A... a déposé une demande d'admission exceptionnelle au séjour au titre de la vie privée et familiale et en qualité de salariée. Par un arrêté du 24 décembre 2020, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de faire droit à sa demande et a prononcé sa remise aux autorités espagnoles. Par un jugement du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté. Par deux requêtes, le préfet de la Haute-Garonne fait appel de ce jugement et demande à la cour d'en prononcer le sursis à exécution.
Sur la jonction :
2. Les requêtes susvisées n° 23TL01828 et n° 23TL01829, présentées par le préfet de la Haute-Garonne, sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué :
3. Pour annuler l'arrêté contesté, le tribunal administratif de Toulouse s'est fondé sur la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, aux termes duquel : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
4. L'intérêt supérieur des enfants de Mme A..., âgés de neuf et douze ans à la date de l'arrêté attaqué, commande que ceux-ci ne soient pas séparés de leur mère et puissent poursuivre une scolarité normale, tout en évoluant dans un environnement stable et sécurisé. La seule circonstance que les enfants de la requérante, inscrits en classes de CE2 et de 5ème à la date de l'arrêté attaqué, aient suivi toute leur scolarité en France, parlent et écrivent le français et ne maîtrisent pas l'espagnol, ne suffit pas à considérer que leur scolarité ne pourrait se poursuivre en Espagne, où leur mère bénéficie de l'asile et où il existe plusieurs établissements scolaires francophones.
5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse s'est fondé sur la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant pour annuler l'arrêté du 24 décembre 2020 portant refus de séjour et remise aux autorités espagnoles.
6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Toulouse et devant la cour.
7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".
8. Mme A... a fui la bande de Gaza en 2010, selon ses déclarations, accompagnée de son époux et de son jeune fils, et a obtenu l'asile en Espagne en 2013. Elle s'est toutefois maintenue sur le territoire français, ainsi qu'en attestent les nombreux documents produits par la requérante, sa fille étant née à Toulouse en juillet 2012 et ses enfants y étant scolarisés et faisant l'objet d'un suivi pédiatrique en France depuis leur plus jeune âge. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que Mme A... dispose sur le territoire français de l'ensemble de ses attaches familiales, à savoir sa mère et son frère, qui y résident régulièrement, son autre frère, naturalisé français, ainsi que sa belle-sœur, son neveu, sa nièce et son oncle maternel, ces derniers étant de nationalité française. Il ressort également des pièces du dossier que Mme A... apporte une assistance à sa mère, dont la santé la rend dépendante d'une tierce personne. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... disposerait d'autres attaches familiales à l'extérieur du territoire français, étant séparée de son mari depuis 2011 et son père étant décédé en 2014. Elevant ainsi seule ses deux enfants, Mme A... est locataire d'un appartement à Toulouse depuis 2017 et fait l'objet depuis cette même date d'un accompagnement par une assistante sociale de la maison des solidarités du conseil départemental de la Haute-Garonne, ainsi que d'un suivi psychologique depuis 2013, auquel s'ajoute une prise en charge médicale pour un syndrome dépressif sévère et un syndrome de stress post-traumatique. Il ressort encore des pièces du dossier que Mme A... est titulaire, en Palestine, d'un diplôme d'enseignement de la langue française, qu'elle perfectionne d'ailleurs dans le cadre d'un cursus au département d'étude du français langue étrangère de l'Université Toulouse Jean-Jaurès. Si le préfet de la Haute-Garonne fait état de plusieurs déplacements de la requérante en Espagne, en vue d'effectuer des démarches administratives, aucun élément du dossier ne permet de révéler que l'intéressée disposerait d'une intégration particulière dans ce pays, auquel elle ne se déclare liée que par le dépôt de sa demande d'asile dans le cadre de son parcours migratoire. Enfin, il ressort des pièces du dossier que Mme A... dispose de perspectives d'intégration professionnelle en France où son frère, chef d'entreprise, se propose de l'employer à temps complet et pour une durée indéterminée sur un poste d'agent d'entretien magasinier. Dans ces conditions, en refusant de l'admettre à titre exceptionnel au séjour en se fondant principalement sur la circonstance que l'intéressée dispose en Espagne du statut de réfugiée de même qu'un titre de séjour, alors que celui-ci était expiré à la date de l'arrêté attaqué, le préfet de la Haute-Garonne a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect à la vie privée et familiale de Mme A... et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé son arrêté du 24 décembre 2020.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
10. La cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête n° 23TL01828 du préfet de la Haute-Garonne tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 20 juin 2023, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23TL01829 tendant à ce que la cour de prononce le sursis à exécution de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
11. Le présent arrêt n'implique pas le prononcé d'une injonction autre que celle déjà prononcée par les premiers juges. Par suite, les conclusions de Mme A... à fin d'injonction sous astreinte ne peuvent qu'être rejetées, sans préjudice de l'action qu'elle peut intenter sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, si elle s'y croit fondée, pour obtenir l'exécution de l'injonction prononcée par le tribunal.
Sur les frais liés au litige :
12. Dès lors que Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement au profit de Me Sadek de la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête n° 23TL01828 du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23TL01829 du préfet de la Haute-Garonne tendant au sursis à exécution du jugement.
Article 3 : L'Etat versera à Me Sadek la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme B... A... et à Me Saliha Sadek.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Barthez, président,
M. Lafon, président assesseur,
Mme Chalbos, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
La rapporteure,
C. Chalbos
Le président,
A. BarthezLe greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL01828, 23TL01829