Vu les procédures suivantes :
Procédures contentieuses antérieures :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de l'arrêté du 16 juillet 2021 par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi pour l'exécution de cette mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2105844 rendu le 27 janvier 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette première demande.
Mme B... a également demandé à cette même juridiction l'annulation de l'arrêté du 8 mars 2023 par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a interdite de retour sur le territoire français pendant un an.
Par un jugement n° 2303040 rendu le 14 septembre 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette seconde demande.
Procédures devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2023 sous le n° 23TL00243, Mme B..., représentée par Me Mazas, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 27 janvier 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault du 16 juillet 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer une autorisation de provisoire de séjour dans le délai de huit jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de procéder au réexamen de sa situation administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- le jugement n'est pas suffisamment motivé s'agissant de la réponse apportée au moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- les premiers juges ont omis de statuer sur les moyens fondés sur l'inaccessibilité des sources d'information utilisées par le collège de médecins de l'impossibilité matérielle d'accéder au traitement médicamenteux dans le dosage prescrit ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
- l'arrêté en litige est entaché d'un vice de procédure dès lors que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est intervenu en violation du principe du contradictoire et qu'il est entaché d'une erreur d'appréciation ;
- le même arrêté méconnaît les articles L. 425-9 et L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne pourrait pas accéder effectivement au traitement médical nécessité par son état de santé dans son pays d'origine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 décembre 2022.
II - Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 mars 2024 et le 28 juin 2024 sous le n° 24TL00658, Mme B..., représentée par Me Bazin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 14 septembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault du 8 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault, à titre principal, de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de séjour est insuffisamment motivée et le préfet n'a pas procédé à un examen réel et complet de sa situation particulière ;
- la même décision méconnaît l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne pourrait pas accéder effectivement au traitement médical nécessité par son état de santé dans son pays d'origine ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2024, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 février 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé et du ministre de l'intérieur du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jazeron, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante géorgienne, née le 9 février 1976 à Tbilissi (Géorgie), est entrée sur le territoire français le 7 août 2019. Elle a déposé une demande d'asile le 20 août 2019, laquelle a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 27 novembre 2019 et par la Cour nationale du droit d'asile le 22 janvier suivant. Elle avait également sollicité son admission au séjour à raison de son état de santé le 12 novembre 2019 et avait obtenu à ce titre une autorisation provisoire de séjour, puis un titre de séjour " étranger malade " valable jusqu'au 11 février 2021. Mme B... a demandé le renouvellement de ce titre de séjour le jour même de son expiration. Par un premier arrêté du 16 juillet 2021, pris au visa d'un avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le 1er avril 2021, le préfet de l'Hérault a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 27 janvier 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande présentée par l'intéressée tendant à l'annulation de ce premier arrêté.
2. Mme B... a déposé une nouvelle demande de titre de séjour pour motif médical le 19 décembre 2022. Par un second arrêté, pris le 8 mars 2023 au vu d'un avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le 14 février précédent, le préfet de l'Hérault a rejeté cette nouvelle demande, a obligé l'intéressée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, l'a interdite de retour sur ce territoire pendant une période d'un an et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 14 septembre 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande tendant à l'annulation de ce second arrêté. Par sa requête enregistrée sous le n° 23TL00243, Mme B... relève appel du jugement du 27 janvier 2021 et, par sa requête n° 24TL00658, l'intéressée interjette appel du jugement du 14 septembre 2023. Ces deux requêtes étant introduites par la même requérante et présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé des jugements :
3. L'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionne que : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ". En outre, l'article L. 611-3 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date des arrêtés en litige, prévoit que : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. / (...) ".
4. Si le juge administratif est saisi, au soutien de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus de titre de séjour, d'un moyen relatif à l'état de santé de l'étranger, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il lui appartient de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales le concernant, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment le dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins, ainsi que les autres éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.
5. En l'espèce, il ressort des pièces des dossiers que, par ses avis du 1er avril 2021 et 14 février 2023 mentionnés aux points 1 et 2 du présent arrêt, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que si l'état de santé de la requérante nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressée pourrait cependant bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine compte tenu de l'offre de soins et des caractéristiques du système de santé de ce pays, vers lequel elle pourrait par ailleurs voyager sans risque.
6. L'appelante, levant le secret médical, a produit les dossiers médicaux au vu desquels le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration s'est prononcé sur sa situation, ainsi que de nombreux certificats et comptes-rendus médicaux établis tant par son médecin traitant que par les praticiens du département d'oncologie de l'Institut du cancer de Montpellier. Il ressort de l'ensemble de ces pièces que Mme B... est suivie depuis son arrivée en France pour un cancer du sein droit, lequel n'avait pas été diagnostiqué dans son pays d'origine et a justifié une intervention chirurgicale au mois d'octobre 2019, suivie d'une radiothérapie et d'une chimiothérapie pratiquée jusqu'au mois de décembre 2020. Depuis lors, la requérante bénéficie d'un suivi spécialisé tous les six mois à l'Institut du cancer de Montpellier ainsi que d'une hormonothérapie associant le Novaldex, à raison de 20 milligrammes par jour, et le Decapeptyl, à raison d'une injection de 3 milligrammes à administrer chaque mois.
7. S'il est constant que la Géorgie dispose de services spécialisés en cancérologie et si la disponibilité du Novaldex dans ce pays n'est pas contestée, il ressort en revanche tant des attestations établies les 7 octobre 2021 et 22 mars 2022 par l'Agence de régulation des activités médicales et pharmaceutiques de Géorgie que de la liste des médicaments enregistrés dans ce pays, produite par le préfet de l'Hérault, que le Decapeptyl n'y est pas commercialisé dans la posologie de 3 milligrammes prescrite à l'appelante, mais exclusivement aux doses de 0,10 ou 3,75 milligrammes. Dans plusieurs certificats médicaux rédigés entre le 9 novembre 2021 et le 5 avril 2023, le médecin traitant de la requérante a souligné l'importance qu'elle poursuive le protocole thérapeutique " strictement individuel " déterminé par son oncologue référente et que la dose prescrite pour le Decapeptyl ne soit notamment pas modifiée. Dans trois certificats médicaux établis les 7 avril, 7 septembre et 7 novembre 2023, l'oncologue référente exerçant à l'Institut du cancer de Montpellier a également précisé qu'un changement de la posologie prescrite aurait un impact sur la santé de l'intéressée et entraînerait une perte de chance pour la patiente, avec une augmentation du risque de récidive du cancer au plan métastatique.
8. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'apparaît donc pas que la requérante pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine eu égard à l'offre de soins disponible dans ce pays. L'intéressée est donc fondée à soutenir qu'en rejetant ses demandes de titre de séjour et en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet de l'Hérault a entaché ses deux arrêtés d'une erreur d'appréciation au regard de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du 9° de l'article L. 611-3 de code dont les dispositions sont citées au point 3 ci-dessus.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés dans les deux requêtes de Mme B..., notamment ceux tenant à la régularité du jugement du 27 janvier 2022, que cette dernière est fondée à soutenir que c'est à tort que, par les deux jugements contestés, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 16 juillet 2021 et du 8 mars 2023.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Eu égard au motif retenu ci-dessus pour prononcer l'annulation des deux arrêtés en litige, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de l'Hérault délivre à la requérante le titre de séjour sollicité à raison de son état de santé. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de procéder à cette délivrance dans le délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt.
Sur les frais liés aux litiges :
11. Mme B... ayant été admise à l'aide juridictionnelle au titre des deux présentes instances, ses avocates peuvent se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Mazas et Me Bazin renoncent à percevoir les sommes correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans ces instances, une somme de 1 000 euros à verser à Me Mazas et une somme de même montant à verser à Me Bazin en application de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Les jugements du tribunal administratif de Montpellier des 27 janvier 2022 et 14 septembre 2023 sont annulés.
Article 2 : Les arrêtés du préfet de l'Hérault des 16 juillet 2021 et 8 mars 2023 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme B... le titre de séjour sollicité à raison de son état de santé, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à Me Mazas et une somme de même montant à Me Bazin en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elles renoncent à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Mazas, à Me Bazin, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Teulière, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et de l'outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
Nos 23TL00243, 24TL00658