Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de l'arrêté du 31 mars 2023 par lequel la préfète de Vaucluse a rejeté sa demande d'admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi pour l'exécution de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2301671 du 26 septembre 2023, le tribunal administratif de Nîmes a prononcé l'annulation de l'arrêté du 31 mars 2023, enjoint à la préfète de Vaucluse de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale à M. B... dans le délai d'un mois et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 octobre 2023, la préfète de Vaucluse demande à la cour d'annuler le jugement du 26 septembre 2023.
Elle soutient que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a considéré que M. B... justifiait d'une entrée régulière sur le territoire français pour l'application de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que, même si l'intéressé n'était pas tenu de souscrire une déclaration d'entrée, il devait néanmoins justifier de l'existence d'un contrat de travail saisonnier visé par l'autorité compétente, ce qui n'était pas le cas lors de sa dernière entrée en France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2024, M. A... B..., représenté par Me Ahmed, conclut :
1°) au rejet de la requête et à la confirmation du jugement ;
2°) à ce qu'il soit enjoint à l'autorité préfectorale de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le même délai ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 3 600 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le moyen soulevé par la préfète n'est pas fondé : le refus d'admission au séjour et l'obligation de quitter le territoire français sont entachés d'une erreur de droit dès lors qu'il justifie d'une entrée régulière pendant la durée de validité de sa carte de séjour " travailleur saisonnier " et qu'il remplissait donc les conditions requises pour bénéficier de plein droit d'un titre de séjour en qualité de conjoint de ressortissant français ;
- la préfète ne conteste pas le bien-fondé du second motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Nîmes, tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel suffisait pour justifier l'annulation de l'arrêté en litige ;
- le refus d'admission au séjour méconnaît également l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- à supposer que la cour ne confirme pas l'annulation du refus de séjour, elle annulera l'obligation de quitter le territoire français au regard des moyens soulevés dans ses écritures de première instance, lesquelles sont jointes aux écritures d'appel.
Par une ordonnance en date du 5 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990 ;
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi signé le 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jazeron, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant marocain, né le 20 juin 1995 à Meknès (Maroc), est entré sur le territoire français pour la première fois le 28 avril 2017 sous couvert d'un visa saisonnier valable du 27 avril au 27 juillet 2017. Il a bénéficié d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier " délivrée par le préfet du Loir-et-Cher, valable sur la période du 19 mai 2017 au 18 mai 2020. M. B... s'est marié avec une ressortissante française le 10 décembre 2022 à Carpentras (Vaucluse). Il a déposé une demande de titre de séjour " vie privée et familiale " en qualité de conjoint de Français le 23 décembre 2022, mais, par arrêté du 31 mars 2023, la préfète de Vaucluse a rejeté cette demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination en vue de l'exécution de la mesure d'éloignement. Par un jugement du 26 septembre 2023, le tribunal administratif de Nîmes a annulé cet arrêté, enjoint à la préfète de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale à M. B... dans le délai d'un mois et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par sa requête, la préfète de Vaucluse relève appel de ce jugement du 26 septembre 2023.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1. ". Selon l'article L. 423-1 du même code : " L'étranger marié avec un ressortissant français, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an lorsque les conditions suivantes sont réunies : / 1° La communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; / 2° Le conjoint a conservé la nationalité française ; / 3° Lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, il a été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français. ". Selon l'article L. 423-2 de ce code : " L'étranger, entré régulièrement et marié en France avec un ressortissant français avec lequel il justifie d'une vie commune et effective de six mois en France, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 621-3 de ce même code : " L'étranger en provenance directe du territoire d'un État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 peut se voir appliquer les dispositions de l'article L. 621-2 lorsqu'il est entré ou a séjourné sur le territoire français (...) sans souscrire, au moment de l'entrée sur ce territoire, la déclaration obligatoire prévue par l'article 22 de la même convention, alors qu'il était astreint à cette formalité. ". L'article R. 621-1 de ce code dispose que : " Sous réserve des dispositions de l'article R. 621-4, l'étranger souscrit la déclaration d'entrée sur le territoire français mentionnée à l'article L. 621-3 auprès des services de la police nationale ou, en l'absence de tels services, des services des douanes ou des unités de la gendarmerie nationale. A cette occasion, il lui est remis un récépissé qui peut être délivré par apposition d'une mention sur le document de voyage. ". L'article R. 621-4 du même code précise que : " N'est pas astreint à la déclaration d'entrée sur le territoire français l'étranger qui se trouve dans l'une des situations suivantes : / 1° N'est pas soumis à l'obligation du visa pour entrer en France en vue d'un séjour d'une durée inférieure ou égale à trois mois ; / 2° Est titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, d'une durée supérieure ou égale à un an, délivré par un Etat partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ; toutefois un arrêté du ministre chargé de l'immigration peut désigner les étrangers titulaires d'un tel titre qui demeurent astreints à la déclaration d'entrée. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... ne dispose pas d'un visa de long séjour et qu'il ne peut donc pas prétendre à l'octroi d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de conjoint d'une ressortissante française sur le fondement de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ressort par ailleurs des termes de l'arrêté en litige que, pour retenir que l'intimé ne pouvait pas non plus prétendre au bénéfice d'un tel titre sur le fondement de l'article L. 423-2 du même code, la préfète de Vaucluse a estimé que l'intéressé ne justifiait pas de la régularité de sa dernière entrée sur le territoire national au seul motif qu'il n'avait pas souscrit la déclaration d'entrée prévue par l'article 22 de la convention d'application de l'accord de Schengen. Il ressort toutefois des pièces produites par M. B..., notamment du billet de transport joint à sa demande de première instance, qu'il est revenu pour la dernière fois en France depuis le Maroc le 8 février 2020, soit pendant la durée de validité de sa carte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier " mentionnée au point 1 du présent arrêt. En application des dispositions de l'article R. 521-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressé n'était donc pas tenu de déclarer son entrée sur le territoire français. Par conséquent, ainsi que l'ont retenu les premiers juges et ainsi que l'admet d'ailleurs la préfère dans sa requête, le motif ainsi opposé par l'arrêté en litige est entaché d'une erreur de droit au regard des dispositions précitées.
5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve qu'elle n'ait pas pour effet de priver l'intéressé d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. L'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionne que : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Sauf s'il est exempté de cette obligation, des visas exigés par les conventions internationales et par l'article 6, paragraphe 1, points a et b, du règlement (UE) 2016/399 du parlement et du Conseil du 9 mars 2016 (code frontières Schengen) ; / 2° Sous réserve des conventions internationales, et de l'article 6, paragraphe 1, point c, du code frontières Schengen, du justificatif d'hébergement (...) et des autres documents prévus par décret en Conseil d'Etat relatifs à l'objet et aux conditions de son séjour (...) ; / 3° Des documents nécessaires à l'exercice d'une activité professionnelle s'il se propose d'en exercer une. ". En outre, aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ".
7. L'article L. 421-24 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " L'étranger qui exerce un emploi à caractère saisonnier (...) et qui s'engage à maintenir sa résidence habituelle hors de France, se voit délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention "travailleur saisonnier" d'une durée maximale de trois ans. / Cette carte peut être délivrée dès la première admission au séjour de l'étranger. / Elle autorise l'exercice d'une activité professionnelle et donne à son titulaire le droit de séjourner et de travailler en France pendant la ou les périodes qu'elle fixe et qui ne peuvent dépasser une durée cumulée de six mois par an. / La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. ". Selon l'article R. 5221-24 du code du travail : " L'étranger justifiant d'un contrat de travail d'une durée d'au moins trois mois obtient, sous réserve du respect des conditions mentionnées aux articles R. 5221-20 et R. 5221-21, l'autorisation de travail correspondant au premier emploi saisonnier et prenant la forme d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention travailleur saisonnier. ". Enfin, aux termes de l'article R. 5221-25 de ce code : " Le contrat de travail saisonnier de l'étranger est visé, avant son entrée en France, par le préfet territorialement compétent selon les critères mentionnés à l'article R. 5221-16 et sous réserve des conditions mentionnées aux articles R. 5221-20 et R. 5221-21. / La procédure de visa par le préfet s'applique également lors du renouvellement de ce contrat et lors de la conclusion d'un nouveau contrat de travail saisonnier en France. ".
8. Il résulte de la combinaison des dispositions citées aux deux points précédents que, pour revenir sur le territoire français après être retourné dans son pays d'origine, l'étranger bénéficiaire d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier " doit présenter un contrat de travail saisonnier visé par le préfet ou une autorisation de travail.
9. En l'espèce, si M. B... avait obtenu une autorisation de travail le 7 mars 2017 pour un contrat de travail saisonnier débutant le 1er mai 2017, ce qui lui avait permis d'entrer régulièrement sur le territoire français le 28 avril 2017, l'intéressé n'établit ni même d'ailleurs n'allègue avoir conclu un nouveau contrat de travail saisonnier visé par le préfet ou obtenu une nouvelle autorisation de travail lui permettant de revenir régulièrement en France à la date de sa dernière entrée le 8 février 2020. Par suite et alors même que sa carte de séjour portant la mention " travailleur saisonnier " n'était pas encore expirée à cette dernière date, M. B... ne pouvait être regardé comme étant entré régulièrement sur le territoire national à la date de l'arrêté en litige. Il ne remplissait donc pas l'une des conditions prévues par l'article L. 423-2 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour se voir octroyer le titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sollicité en tant que conjoint d'une ressortissante française. Il résulte de l'instruction que la préfète aurait pris la même décision de refus de séjour si elle s'était initialement fondée sur ce motif pour considérer que l'intimé ne pouvait pas justifier d'une entrée régulière sur le territoire français. Dans ces conditions, il y a lieu de faire droit à la demande de substitution de motif présentée par l'autorité préfectorale, laquelle ne prive l'intimé d'aucune garantie procédurale liée au motif ainsi substitué.
10. Il ressort toutefois de la motivation du jugement attaqué que, pour annuler l'arrêté préfectoral en litige, le tribunal administratif de Nîmes n'a pas seulement accueilli le moyen de l'intimé tenant à l'erreur de droit relevée au point 4 du présent arrêt, mais a également jugé que l'arrêté en cause portait une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors que la préfète de Vaucluse ne conteste pas dans sa requête d'appel le bien-fondé du second motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Nîmes, elle n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont prononcé l'annulation de son arrêté du 31 mars 2023, lui ont enjoint de délivrer un titre de séjour à M. B... et ont mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions en injonction présentées par l'intimé :
11. Le présent arrêt rejette l'appel présenté par la préfète de Vaucluse et n'implique pas nécessairement qu'il soit fait droit aux conclusions en injonction de l'intimé alors que, par le jugement attaqué, il a déjà été enjoint au préfet de lui délivrer le titre de séjour sollicité.
Sur les frais liés au litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, lequel a la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 200 euros à verser à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la préfète de Vaucluse est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Teulière, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et de l'outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23TL02508