Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A..., veuve B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 22 septembre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2306342 du 29 décembre 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, enjoint au préfet précité de réexaminer la situation de Mme A... et mis à la charge de l'État le paiement d'une somme de 1 250 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 29 janvier 2024 sous le n° 24TL00258, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement du 29 décembre 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé que l'arrêté en cause porte une atteinte disproportionnée au droit de l'intimée au respect de sa vie privée et familiale ;
- ainsi, elle a passé la majeure partie de sa vie dans son pays d'origine et si elle est hébergée en France par une de ses filles, elle ne démontre pas ne pas avoir d'attaches personnelles et familiales en Arménie ;
- par ailleurs, elle n'établit pas ne pas pouvoir s'établir dans une autre région que le Haut-Karabakh.
II. Par une requête, enregistrée le 29 janvier 2024 sous le n° 24TL00259, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution des articles 2, 3 et 4 du jugement du 29 décembre 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse.
Il soutient qu'il fait état de moyens sérieux de nature à entraîner l'annulation du jugement attaqué.
Mme A... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 55 % par deux décisions du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 26 avril 2024.
Vu les autres pièces de ces deux dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Après avoir entendu le rapport de M. Rey-Bèthbéder au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., veuve B..., ressortissante arménienne, déclare être entrée sur le territoire français le 28 janvier 2023. Elle a sollicité son admission au bénéfice de l'asile le 8 février 2023 et sa demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 10 juillet 2023. Par un arrêté du 22 septembre 2023, le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
2. Par la requête n° 24TL00258 le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 29 décembre 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté. Par la requête n° 24TL00259 il sollicite le sursis à exécution de ce jugement.
3. Les requêtes n° 24TL00258 et n° 24TL00259 du préfet de la Haute-Garonne sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.
Sur la requête n° 24TL00258 :
En ce qui concerne le moyen retenu par le jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., née en 1970 et dont le mari est décédé en 2003, a vécu en Arménie jusqu'en 2010, lorsqu'elle a rejoint sa fille aînée en Ukraine, et que demeurent toujours en Arménie sa mère et ses deux sœurs. De plus, son entrée en France, au début de l'année 2023, est très récente. Dans ces conditions et alors même qu'elle est hébergée en France par sa fille cadette et le mari de celle-ci, tous deux en situation régulière, elle ne peut être regardée comme ayant le centre de ses intérêts privés en France. Il suit de là que c'est à tort que le premier juge a estimé que la décision du préfet l'obligeant à quitter le territoire français a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris la décision attaquée et a, en conséquence, accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... en première instance au soutien de sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 22 septembre 2023.
En ce qui concerne les autres moyens présentés par Mme A... en première instance :
7. En premier lieu et aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires réglées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
8. Lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de sa charte des droits fondamentaux. Ce droit n'implique toutefois pas l'obligation, pour le préfet, d'entendre l'étranger spécifiquement au sujet de l'obligation de quitter le territoire français qu'il envisage de prendre après avoir statué sur le droit au séjour à l'issue d'une procédure ayant pleinement respecté son droit d'être entendu. Il ne ressort des pièces du dossier ni que, dans le cadre de l'instruction de sa demande d'asile, Mme A... n'aurait pas été mise en mesure de présenter des observations, écrites ou orales, en complément de cette demande ni qu'elle aurait sollicité, en vain, un entretien avec les services préfectoraux. De plus, si elle soutient qu'elle n'a pas été informée par le préfet de la possibilité d'exposer des éléments sur sa situation personnelle, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait eu de nouveaux éléments à faire valoir qui auraient conduit le préfet à prendre une décision différente. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
9. Si Mme A... soutient, en deuxième lieu, que l'arrêté litigieux serait insuffisamment motivé en ce qu'il n'expose pas les motifs pour lesquels elle a été contrainte de quitter l'Arménie, révélant de ce fait un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle, le préfet en relevant que l'intéressée n'établissait pas être exposée à des peines et traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine doit être regardé comme ayant suffisamment motivé son arrêté s'agissant de la décision fixant le pays de renvoi. Pour le même motif le moyen tiré d'un défaut d'examen réel et sérieux de la situation de l'intimée doit être écarté.
10. En troisième lieu et pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 5 du présent arrêt, le moyen tiré de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de l'intimée doit être écarté.
11. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".
12. Si Mme A... soutient être exposée à subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Arménie, elle n'apporte au soutien de cette allégation strictement aucune précision. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 22 septembre 2023 par lequel ce préfet a fait obligation à Mme A... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, lui a enjoint de réexaminer la situation de cette dernière et a mis à la charge de l'État une somme de 1 250 euros au titre des frais liés au litige.
Sur la requête n° 24TL00259 :
14. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation partielle du jugement n° 2306342 du 29 décembre 2023 du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions de la requête n° 24TL00259 tendant au sursis à exécution de ce jugement, dans cette mesure, sont devenues sans objet.
D É C I D E :
Article 1 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du 29 décembre 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse sont annulés.
Article 2 : La demande de Mme A... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24TL00259 du préfet de la Haute-Garonne tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 29 décembre 2023.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., veuve B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 décembre 2024.
Le président-rapporteur,
É. Rey-Bèthbéder
Le président-assesseur,
N. Lafon
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
Nos 24TL00258, 24TL00259