Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... K..., Mme F... K..., M. I... K..., Mme B... K..., M. L... K..., M. E... K..., M. D... K..., M. C... K..., M. G... K... et M. H... K... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'État à leur verser à chacun les sommes de 50 000 euros au titre du préjudice patrimonial et de 15 000 euros au titre du préjudice moral, soit la somme totale de 650 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation à compter du 1er février 2022.
Par un jugement n° 2206192 du 30 novembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 30 janvier, 6 novembre et 18 décembre 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, ainsi que des mémoires en production de pièces, enregistrés les 29 octobre et 6 novembre 2024, les consorts K..., représentés par Me Nunès, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 30 novembre 2023 ;
2°) de condamner l'État à verser à chacun d'entre eux la somme de 50 000 euros, majorée des intérêts moratoires à compter du 1er janvier 2022 avec capitalisation des intérêts à compter du 1er février 2022, en réparation du préjudice patrimonial subi ;
3°) de condamner l'État à verser à chacun d'entre eux la somme de 15 000 euros, majorée des intérêts moratoires à compter du 1er janvier 2022 avec capitalisation des intérêts à compter du 1er février 2022, en raison du préjudice moral subi ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est également irrégulier en ce qu'il méconnaît le principe du contradictoire ;
- le jugement est par ailleurs entaché d'une irrégularité, en ce que les premiers juges ont omis de statuer sur le principe de responsabilité sans faute ;
- le jugement attaqué a méconnu le principe posé par l'article 1er de la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 de réparation des préjudices causés aux harkis par la France qui les a abandonnés à leur sort en Algérie ;
- le tribunal a, à tort, estimé la juridiction administrative incompétente pour connaître des conclusions tendant à la réparation des préjudices résultant de la perte de leurs biens en Algérie, alors qu'un tel refus d'indemnisation ne se rattache pas à la conduite des relations internationales de la France et ne saurait par conséquent constituer un acte de gouvernement. De plus, l'application de cette théorie viole les articles 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, l'article 1er du 1er protocole additionnel de cette convention et l'article 3 § 2 du 4ème protocole additionnel à cette convention ;
- le tribunal a considéré à tort que le silence d'une loi sur les conséquences de sa mise en œuvre pouvait être interprété comme excluant par principe tout droit à réparation ; cependant, la responsabilité sans faute de l'État du fait de décisions non détachables de la conduite des relations internationales peut être engagée à l'égard des personnes relevant de sa juridiction sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;
- ils ont subi des préjudices d'une particulière gravité et représentant une charge spéciale en raison de la décision d'abandon des harkis et de leurs familles en Algérie.
Par deux mémoires en intervention, enregistrés les 21 octobre et 6 novembre 2024, l'association Comité Harkis et Vérité, représentée par Me Nunès, s'associe aux conclusions des consorts K....
Elle soutient que l'État a engagé sa responsabilité sans faute du fait des lois en raison de l'abandon des harkis et de leurs familles en Algérie.
Par un mémoire, enregistré le 6 novembre 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les appelants, en se fondant sur la responsabilité sans faute de l'État, présentent des conclusions indemnitaires nouvelles, fondées sur une cause juridique distincte de celle invoquée en première instance, qui était tirée de la circonstance que l'État n'aurait pas assuré, à la suite de la signature des accords d'Evian, la protection des harkis résidant sur le territoire algérien ; ces conclusions sont donc irrecevables ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 26 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 décembre 2024 à 12 h.
Mme F... K... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 13 décembre 2024.
Par une décision du 13 décembre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse a rejeté la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. C... K....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rey-Bèthbéder,
- et les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... K..., Mme F... K..., M. I... K..., Mme B... K..., M. L... K..., M. E... K..., M. D... K..., M. C... K..., M. G... K... et M. H... K..., sont les enfants d'un ancien supplétif de l'armée française en Algérie, M. J... K..., aujourd'hui décédé. Ce dernier a été contraint de quitter l'Algérie au printemps 1962, dans le contexte de l'accès à l'indépendance de ce pays. Chacun des membres précités de cette famille a demandé au Premier ministre, le 10 août 2021, l'indemnisation des préjudices patrimonial et moral qu'ils estiment avoir subis en raison de leur départ forcé de l'Algérie. Leur demande a été implicitement rejetée. Ils font appel du jugement du 30 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de l'État à leur verser les sommes totales de 50 000 euros au titre du préjudice patrimonial et 15 000 euros au titre du préjudice moral, assorties des intérêts de retard à compter 1er janvier 2022 et capitalisation de ces derniers à compter du 1er février 2022.
Sur l'intervention de l'association Comité Harkis et Vérité :
2. Aux termes de l'article R. 631-2 du code de justice administrative : " L'intervention est formée par mémoire distinct. / Les dispositions du chapitre IV du titre Ier du livre IV relatif à la transmission des requêtes par voie électronique sont applicables aux interventions. / Le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction ordonne, s'il y a lieu, que ce mémoire en intervention soit communiqué aux parties et fixe le délai imparti à celles-ci pour y répondre. / Néanmoins, le jugement de l'affaire principale qui est instruite ne peut être retardé par une intervention ".
3. Le comité Harkis et Vérité a pour objet statutaire de " défendre et promouvoir les intérêts et les droits de la communauté harkie issue de la guerre d'Algérie ". Il justifie ainsi d'un intérêt suffisant de nature à le rendre recevable à intervenir au soutien de la requête des consorts K....
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire (...) ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...) Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". De plus, l'article R. 632-1 du code de justice administrative : " L'intervention est formée par mémoire distinct. (...) Le président de la formation de jugement (...) ordonne, s'il y a lieu, que ce mémoire en intervention soit communiqué aux parties (...) le jugement de l'affaire principale qui est instruite ne peut être retardé par une intervention ".
5. Les dispositions précitées n'imposent pas au juge administratif, à peine d'irrégularité de sa décision, de communiquer un mémoire en intervention concernant une affaire en état d'être jugée. Il n'en va autrement que si le juge a fondé sa décision sur un moyen soulevé par l'intervenant.
6. Le mémoire en intervention du Comité Harkis et Vérité a été présenté au tribunal le 6 novembre 2023, alors que l'affaire était en état d'être jugée. Ce mémoire ne comportait aucun élément sur lequel le tribunal s'est appuyé pour rendre sa décision. Par suite, en s'abstenant de communiquer ce mémoire, les premiers juges n'ont pas entaché leur décision d'irrégularité.
7. Si les appelants soutiennent, par ailleurs, qu'il appartenait au juge administratif de se prononcer sur le terrain de la responsabilité sans faute de l'État dans la mesure où le Comité Harkis et Vérité l'y invitait, toutefois, l'intervention de cette association, qui présentait un caractère accessoire, n'a pas eu pour effet de donner à cette dernière la qualité de partie à l'instance et ne saurait, de ce fait, lui conférer un droit d'accès aux pièces de la procédure et, de plus, elle n'était pas recevable à présenter des conclusions ou des moyens ne reposant pas sur la même cause juridique que ceux soulevés par les requérants, ce qui était le cas de l'invocation de la responsabilité sans faute de l'État. Il résulte, en outre, de ce qui est exposé au point 10 du présent arrêt, que le tribunal n'était pas tenu en l'espèce de se prononcer d'office sur ce terrain de responsabilité. En conséquence, en ne se prononçant pas sur ce moyen le tribunal n'a pas entaché d'irrégularité son jugement
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
8. Si les appelants recherchent la responsabilité de l'État au titre de leur captivité en Algérie, de 1962 à 1968, toutefois, les préjudices invoqués, à les supposer établis, ne sont pas détachables de la conduite des relations entre la France et l'Algérie et ne sauraient par suite engager la responsabilité de l'État sur le fondement de la faute. À ce titre, si le premier alinéa de l'article 1er de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français prévoit que : " La Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu'elle a abandonnés ", cette disposition n'a ni pour objet ni pour effet d'engager la responsabilité de l'État au titre de préjudices subis sur le territoire algérien postérieurement à l'indépendance de l'Algérie intervenue en 1962. Par suite et en tout état de cause, cette demande doit être rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
9. La juridiction administrative est, en revanche, compétente pour connaître de conclusions indemnitaires tendant à la mise en cause de la responsabilité sans faute de l'État, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, du fait de décisions non détachables de la conduite des relations internationales de la France.
10. Si les appelants mettent en cause, pour la première fois en appel, la responsabilité de l'État pour rupture de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, dès lors que les préjudices allégués en l'espèce ne trouvent pas leur origine directe dans le fait de l'État français mais dans l'action des autorités algériennes, leurs conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute de l'État doivent, en tout état de cause, être rejetées.
11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il besoin de statuer sur la recevabilité de l'action fondée sur la responsabilité sans faute de l'État, les consorts K... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D É C I D E :
Article 1er : L'intervention de l'association Comité Harkis et Vérité est admise.
Article 2 : La requête des consorts K... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... K..., Mme F... K..., M. I... K..., Mme B... K..., M. L... K..., M. E... K..., M. D... K..., M. C... K..., M. G... K..., M. H... K..., à l'association Comité Harkis et Vérité et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025, où siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2025.
Le président-rapporteur,
É. Rey-Bèthbéder
Le président-assesseur,
N. Lafon
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°24TL00279 2