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30/01/2025 | FRANCE | N°23TL01371

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 30 janvier 2025, 23TL01371


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de l'arrêté du 21 février 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande d'admission au séjour pour motif médical, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2201324 du 20 mai 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette

demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 14 juin 2023, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de l'arrêté du 21 février 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande d'admission au séjour pour motif médical, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2201324 du 20 mai 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 juin 2023, M. A... B..., représenté par Me Seignalet Mauhourat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 20 mai 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 21 février 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour pour motif médical ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la décision portant refus de titre de séjour :

- le refus de séjour est entaché d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet a commis une erreur quant à son pays d'origine, lequel est le Venezuela et non la Colombie ; il n'a pas examiné la possibilité d'accès aux soins au Venezuela ;

- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation en considérant qu'il pourrait bénéficier d'une prise en charge médicale appropriée en cas de retour au Venezuela ;

- la maladie psychiatrique dont il souffre nécessite un accompagnement familial et un suivi spécifique dont il ne pourrait pas bénéficier tant au Venezuela qu'en Colombie ;

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- le préfet a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la décision portant fixation du pays de renvoi :

- l'autorité préfectorale a méconnu tant l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 février 2024, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jazeron, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant vénézuélien et colombien, né le 22 mai 1993 à Macuto (Venezuela), est entré le 21 septembre 2019 sur le territoire français pour y rejoindre sa mère, titulaire d'une carte de résident d'une durée de dix ans, son frère, titulaire d'un titre de séjour pluriannuel, et sa sœur, titulaire d'une carte de séjour temporaire. La demande d'asile présentée par l'intéressé le 14 novembre 2019 a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 22 juin 2021 et par la Cour nationale du droit d'asile le 30 novembre suivant. M. A... B... avait parallèlement sollicité, le 18 août 2021, un titre de séjour pour motif médical. Par un arrêté du 21 février 2022, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un tel titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par la présente requête, l'intéressé relève appel du jugement du 20 mai 2022 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 21 février 2022.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. L'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionne que : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ".

3. Si le juge administratif est saisi, au soutien de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus de titre de séjour, d'un moyen relatif à l'état de santé de l'étranger, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il lui appartient de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales le concernant, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment le dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins, ainsi que les autres éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.

4. Il ressort des pièces du dossier que, par un premier avis rendu le 22 octobre 2021, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que si l'état de santé de M. A... B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressé pourrait toutefois bénéficier effectivement d'un traitement approprié en cas de retour au Venezuela compte tenu de l'offre de soins et des caractéristiques du système de santé de ce pays, vers lequel il pouvait voyager sans risque. Par un second avis émis le 27 janvier 2022, le même collège a retenu que le requérant pourrait également bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé en cas de retour en Colombie et qu'il pouvait aussi voyager sans risque vers ce pays.

5. M. A... B..., levant le secret médical sur son état de santé, a versé aux débats les certificats médicaux adressés au service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à l'appui de sa demande de titre de séjour, ainsi que plusieurs documents médicaux relatant son état de santé et sa prise en charge avant et après son arrivée en France. Il ressort des pièces ainsi produites, notamment des certificats établis entre le 25 mars 2021 et le 7 mars 2022 par une psychiatre du centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse, par une psychiatre de l'établissement de santé mentale de la mutuelle générale de l'éducation nationale de Toulouse et par le médecin traitant du requérant que ce dernier est atteint d'une schizophrénie paranoïde, laquelle a été diagnostiquée au Venezuela en 2010 lors d'un premier épisode psychotique et n'a pu être totalement maîtrisée malgré les soins reçus dans ce pays, puisque trois autres épisodes psychotiques avec délire de persécution et hallucinations acoustico-verbales sont survenus en 2014, 2016 et 2019 avant le départ de l'intéressé pour la France. Il ressort également de ces pièces que M. A... B... bénéficie depuis mars 2020 d'un traitement médicamenteux sous forme d'injections de Xeplion, d'un suivi médical bimestriel par une psychiatre en centre médico-psychologique et d'une prise en charge médico-infirmière en hôpital de jour trois jours par semaine. Les certificats médicaux établis par les deux psychiatres soulignent la stabilité de l'état de santé de l'appelant et l'absence de nouvel épisode psychotique depuis son arrivée en France, mais insistent également sur l'autonomie très réduite de l'intéressé dans la gestion de sa vie quotidienne et sur la nécessité de l'assistance de ses proches, en particulier sa mère, pour l'efficacité de sa prise en charge médicale. Le certificat en date du 19 août 2021, soumis à l'appréciation du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, indique notamment à cet égard que " la rupture du traitement et du suivi et la perte de l'étayage maternel seraient à risque élevé de décompensation " y compris " le décès par suicide ".

6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. A... B... a séjourné toute sa vie au Venezuela jusqu'à l'année 2019, tout d'abord avec sa mère, son frère et sa sœur jusqu'en 2012, puis avec ses grands-parents après le départ de sa mère et de sa fratrie pour la France. Si l'intéressé a sollicité et obtenu la nationalité colombienne en 2019 en complément de sa nationalité vénézuélienne, il n'est pas contesté qu'il ne dispose d'aucune attache privée ou familiale dans ce pays et qu'il ne pourrait donc pas y bénéficier de l'assistance de proches pour les actes de la vie quotidienne. Eu égard à la spécificité de sa maladie psychiatrique et compte tenu de ce qui a été exposé au point précédent s'agissant de son autonomie très limitée et de la nécessité d'une telle assistance pour l'efficacité même de sa prise en charge médicale, l'appelant ne peut être regardé comme susceptible de bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans ce pays contrairement à ce qu'a indiqué le préfet dans son arrêté.

7. D'autre part, les certificats médicaux produits par M. A... B... et datés des 28 février 2022 et 2 mars 2022 mentionnent que le traitement médicamenteux administré à l'intéressé n'est pas disponible au Venezuela et le second de ces certificats précise que cette indication se fonde notamment sur des données communiquées par Amnesty International. Le requérant soutient qu'il ne parvenait plus à se procurer ses médicaments au Venezuela à partir de l'année 2018 et produit de nombreux articles de presse relatant la dégradation du système de santé de ce pays à compter de cette même année. Il ressort tout particulièrement de l'article publié par le " Washington Post " le 14 janvier 2020 que les services de psychiatrie vénézuéliens rencontrent une situation de crise et une pénurie de médicaments, les responsables de cet Etat reconnaissant que la majorité des hôpitaux ne disposent plus de médicaments antipsychotiques, tant sous forme orale qu'intraveineuse. Il ne ressort au surplus d'aucune pièce du dossier que M. A... B... pourrait accéder au suivi médico-infirmier régulier requis par sa maladie psychiatrique en cas de retour dans son pays natal et il n'en ressort pas non plus qu'il pourrait y bénéficier d'une aide familiale suffisante, dès lors que son père ne s'occupe plus de lui depuis plus de vingt ans et que sa grand-mère est désormais âgée. Par suite et contrairement à ce que fait valoir l'autorité préfectorale en défense, le requérant ne peut pas non plus être regardé comme susceptible de bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé au Venezuela.

8. Il résulte de ce qui vient d'être exposé qu'en rejetant la demande de titre de séjour pour motif médical présentée par M. A... B..., le préfet de la Haute-Garonne a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour a pour effet de priver de leur base légale les autres décisions contenues dans l'arrêté préfectoral en litige, portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. A... B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement litigieux, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Eu égard au moyen accueilli au point 8 ci-dessus pour prononcer l'annulation de la décision portant refus d'admission au séjour, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Haute-Garonne délivre à M. A... B... le titre de séjour pour motif médical prévu à l'article L. 425-9 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En conséquence, il y a lieu d'enjoindre à cette autorité de procéder à la délivrance de ce titre de séjour et ce dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui a la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 200 euros à verser à M. A... B... au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse du 20 mai 2022 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 21 février 2022 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer un titre de séjour pour motif médical à M. A... B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à M. A... B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Teulière président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23TL01371


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01371
Date de la décision : 30/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Florian Jazeron
Rapporteur public ?: M. Diard
Avocat(s) : SEIGNALET MAUHOURAT

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-30;23tl01371 ?
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