Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 24 janvier 2023 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande de renouvellement de son titre de séjour.
Par un jugement n° 2300639 du 25 juillet 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 août et 27 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Bonneau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 juillet 2023 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) d'annuler la décision du 24 janvier 2023 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande de renouvellement de son titre de séjour ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 400 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la procédure suivie est irrégulière dès lors que le préfet s'est abstenu de saisir la commission du titre de séjour ;
- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation sur la contribution effective à l'entretien et à l'éducation de sa fille ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la perte de ses droits de père était due à une plainte de la mère de l'enfant qui a été classée sans suite.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2023, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un avis d'audience portant clôture à effet immédiat de l'instruction a été adressé aux parties le 20 décembre 2024, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-2 du code de justice administrative.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de New York relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fougères,
- et les observations de Me Bonneau, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant marocain entré en France irrégulièrement en 2008 selon ses déclarations, à l'âge de 34 ans, a été muni de 2011 à 2015 de titres de séjour en qualité d'étranger malade, puis d'un titre de séjour en qualité de conjoint de Français de 2015 à 2016 puis de titres de séjour en qualité de parent d'enfant français à compter du 15 janvier 2018, régulièrement renouvelés jusqu'en mai 2022. Le 15 mars 2022, il a présenté une demande de renouvellement de son titre de séjour, à la suite de laquelle le préfet de la Haute-Garonne, par décision du 24 janvier 2023, a refusé de renouveler ce titre. Par la présente requête, M. A... relève appel du jugement du 25 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Aux termes de l'article L. 412-5 de ce code : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire (...) ". Aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. / Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l'autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l'enfant est majeur ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est père d'une enfant prénommée Sara, née en 2015 et de nationalité française. Le relevé d'huissier et les relevés de compte produits établissent sa contribution effective à l'entretien de l'enfant, qui n'est d'ailleurs pas contestée. Pour refuser néanmoins à M. A... le renouvellement de son titre de séjour, le préfet de la Haute-Garonne a relevé, d'une part, que par ordonnance de protection du 18 août 2022, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Toulouse a confié exclusivement à la mère l'autorité parentale en maintenant sa résidence habituelle auprès de cette dernière et, d'autre part, que le comportement de M. A... présentait une menace à l'ordre public au vu des ordonnances de protection successivement prononcée par le juge en 2016 et 2022.
4. S'agissant du premier motif, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite du jugement de divorce prononcé le 10 janvier 2019 lui octroyant un droit de visite un samedi sur deux, M. A... a saisi à nouveau le juge aux affaires familiales pour en obtenir une extension à un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, ce qui lui a été accordé par un jugement du 18 mai 2021, dont son ex-épouse a fait appel. Il ressort des termes de l'arrêt rendu en appel le 1er décembre 2022 que, si cette dernière mettait en cause un exercice irrégulier du droit de visite de l'intéressé, le juge aux affaires familiales a relevé au contraire que des mains courantes en ce sens n'ont été déposées que de manière très épisodique, et en tout état de cause plus de deux ans avant la décision attaquée. Si une altercation violente survenue entre les deux parents le 22 juillet 2022 a conduit le juge aux affaires familiales à prendre une ordonnance de protection le 18 août 2022, confirmée en appel, interdisant le contact entre l'appelant et son ex-compagne et, pour cette raison, attribuant à celle-ci l'autorité parentale exclusive sur l'enfant, il n'en demeure pas moins que des visites médiatisées en lieu neutre entre le père et l'enfant ont été maintenues, dans l'intérêt de cette dernière, droit de visite qui a été confirmé par l'arrêt du 1er décembre 2022. M. A... justifie, par la production d'un tableau de visite élaboré par l'accueil point rencontre, qu'il s'est rendu à l'intégralité des rencontres parent-enfant prévues entre les mois de septembre et décembre 2022. Postérieurement à la décision attaquée, M. A... a d'ailleurs à nouveau saisi le juge aux affaires familiales qui, au vu du classement sans suite de la plainte pour violences déposée par son ex-compagne, a rétabli l'exercice conjoint de l'autorité parentale par jugement du 19 octobre 2023, a maintenu pour une durée de six mois les visites médiatisées avec, à l'issue de cette période, un rétablissement du droit de visite de l'intéressé à son domicile. Dès lors, et en dépit du climat de forte tension entre les deux parents et de la perte de l'autorité parentale à compter du mois d'août 2022, M. A... établit qu'il contribue également à l'éducation de son enfant depuis au moins deux ans à la date de la décision attaquée.
5. S'agissant du second motif, qui peut être regardé comme contesté par M. A..., il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes de l'ordonnance de protection prononcée le 18 août 2022, qu'une altercation violente est survenue entre les deux parents le 22 juillet 2022 alors que M. A... venait récupérer sa fille. L'ex-compagne de celui-ci a notamment affirmé que l'enfant ne voulait pas aller chez son père et, qu'alors qu'elle lui parlait, M. A... lui a asséné un coup dans la cuisse droite. M. A... soutenait de son côté qu'il ne s'était pas approché d'elle mais avait dû faire face à un voisinage hostile l'empêchant de récupérer sa fille, ce qui l'avait conduit à revenir avec son frère et un ami de celui-ci pour récupérer l'enfant. Au vu de la production d'un certificat médical constatant la présence d'un hématome sur la cuisse droite de son ex-compagne et des témoignages du voisinage, ainsi que de la circonstance que M. A... avait déjà fait l'objet d'une ordonnance de protection en 2016, le juge aux affaires familiales a considéré vraisemblables les faits de violence allégués. Cette ordonnance de protection a été confirmée en appel le 21 février 2023. S'il peut être regardé comme établi, au vu des différentes pièces produites et notamment des décisions successives du juge aux affaires familiales qu'un climat de forte tension régnait entre les deux parents, ayant conduit à une altercation violente entre eux le 22 juillet 2022, la plainte de son ex-compagne a cependant été classée sans suite le 22 juin 2023 au motif que " les faits ou les circonstances des faits de la procédure n'ont pu être clairement établis par l'enquête " et que " les preuves ne sont donc pas suffisantes pour que l'infraction soit constituée, et que des poursuites pénales puissent être engagées ". Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que M. A... ait été, préalablement à cette altercation, reconnu coupable de faits de violences conjugales, notamment à la suite des faits ayant donné lieu à la précédente ordonnance de protection en 2016, ou aurait commis d'autres infractions pénales. Ainsi, en dépit des ordonnances de protection prononcées, le préfet de la Haute-Garonne ne justifie pas, par les seuls éléments produits, que M. A... aurait commis des violences et que sa présence sur le territoire constituerait de ce fait une menace à l'ordre public.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision du 24 janvier 2023 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a refusé le renouvellement de son titre de séjour. Il est également fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".
8. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative opposât une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité délivre à M. A... une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de délivrer ce titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
9. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Bonneau de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2300639 du 25 juillet 2023 du tribunal administratif de Toulouse et la décision du préfet de la Haute-Garonne prise le 24 janvier 2023 à l'encontre de M. A... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne, ou au préfet compétent au regard du lieu de résidence actuel de l'intéressé, de délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " à M. A... dans un délai de deux mois suivant la notification de la présente décision.
Article 3 : L'État versera à Me Bonneau une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Bonneau et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Nicolas Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2025.
La rapporteure,
A. Fougères
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL02099