Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Next Automobile, d'une part, et la société civile immobilière Next Immo, d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'État, la communauté d'agglomération du Pays de l'Or et la société Oc'Via à leur verser, respectivement, les sommes de 172 396,39 euros et de 46 132 euros en réparation de leurs préjudices subis du fait du déplacement de la route nationale 113 consécutif à la réalisation des travaux de la nouvelle ligne ferroviaire de contournement des villes de Nîmes et de Montpellier.
Par un jugement n° 2101148-2101155 du 2 février 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes indemnitaires.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 avril 2023, et un mémoire, enregistré le 13 janvier 2025, la société Next Automobile et la société Next Immo, représentées par Me Guyon, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 2 février 2023 ;
2°) de condamner solidairement l'État et la communauté d'agglomération du Pays de l'Or à verser, d'une part, à la société Next Automobile une indemnité totale de 1 713 567 euros et d'autre part, à la société Next Immo, une indemnité totale de 163 032 euros en réparation des préjudices subis du fait du déplacement de la route nationale 113 ;
3°) de mettre à la charge solidaire de l'État et de la communauté d'agglomération du Pays de l'Or la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- leur requête est recevable ; par l'effet dévolutif de l'appel, la société Next Immo peut régulariser l'absence de liaison du contentieux en formant pour la première fois en appel une demande indemnitaire préalable en cours d'instance ;
- elles justifient d'un intérêt à agir ; les travaux ont dégradé l'activité économique de la société Next Automobile et celle, par voie de conséquence de la société Next Immo ;
- le jugement attaqué, qui est insuffisamment motivé, est irrégulier ;
- la prescription quadriennale ne peut leur être opposée dès lors qu'elles n'ont pu avoir une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage qu'à la fin des travaux publics en 2017 ; cette prescription n'a commencé à courir contre elles qu'à compter du 1er janvier 2018 ;
- l'État et la communauté d'agglomération du Pays d'Or engagent leur responsabilité sans faute à leur égard du fait des modifications apportées à la circulation générale par le déplacement de la route nationale 113 que la réalisation des travaux de construction de la nouvelle ligne ferroviaire de contournement des villes de Nîmes et de Montpellier a rendu nécessaire ;
- elles ont subi un dommage anormal et spécial du fait de ces travaux publics ; depuis la coupure et le déplacement de l'ancienne route nationale 113 en bordure de laquelle la société Next Automobile se trouvait, cette dernière supporte des difficultés excessives d'accès à son commerce résultant de l'allongement de parcours de plusieurs kilomètres et d'une privation de visibilité depuis la voie publique ; elles apportent la preuve par un constat de commissaire de justice réalisé le 2 novembre 2023 que la desserte du commerce est rendue difficilement excessive ;
- du fait de la baisse de fréquentation de son commerce, la société Next Automobile a subi un préjudice financier correspondant à sa perte d'exploitation évaluée à la somme de 1 253 084 euros, à la moins-value de son fonds de commerce évaluée à la somme de 376 233 euros, et à la perte de chance de mieux investir ses capitaux dans une autre activité ; elle a également supporté un préjudice moral du fait de l'impact de cette situation sur la santé de son gérant ;
- la société Next Immo a subi un préjudice financier résultant de l'impossibilité de percevoir les loyers dus par la société Next Automobile au titre des locaux mis à la disposition de cette dernière, du paiement des taxes foncières relatives à ces locaux et de la perte de chance de louer ce bien à des conditions tarifaires conformes aux prix habituels du marché.
Par un mémoire en observations, enregistré le 23 janvier 2024, la société Oc'Via, représentée par Me Grange, conclut à ce qu'il soit pris acte de ce qu'elle intervient en qualité d'observateur.
Elle fait valoir que :
- aucune conclusion n'est dirigée contre elle par les sociétés appelantes ; dès lors qu'elle n'a pas été mise en cause par ces sociétés, elle a seulement la qualité d'observateur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2024, la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la requête de la société Next Automobile n'est pas recevable dès lors qu'elle n'établit pas avoir présenté une demande indemnitaire préalable devant l'État et qu'ainsi, le contentieux indemnitaire n'est pas lié ;
- la responsabilité sans faute de l'État ne peut être engagée dès lors que le point 1.1 de l'article 1er de la convention du 27 juillet 2014, que l'État a signée avec la société Oc'Via, délègue la maîtrise d'ouvrage des travaux de la route nationale 113 à cette dernière qui assure, à ce titre, les responsabilités inhérentes à la maîtrise d'ouvrage et, notamment, les réparations en cas de dommages de travaux publics ;
- la demande indemnitaire de la société Next Immo est prescrite dès lors que les préjudices non évolutifs allégués étaient connus dans leur existence et leur étendue dès la fin des travaux de rétablissement de la route nationale intervenue le 25 novembre 2014 et que les préjudices évolutifs allégués, dont la créance doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ils ont été subis, sont prescrits pour les années 2015 et 2016 ; pour la société Next Automobile, les préjudices évolutifs allégués sont prescrits pour les années 2014 et 2017 ;
- les sociétés appelantes, installées en 2010, ne pouvaient ignorer l'existence des travaux en litige dès lors que les opérations avaient fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique cinq années plus tôt ;
- les sociétés appelantes n'apportent pas la preuve du caractère excessif de la modification apportée à la circulation générale ; l'accès au magasin reste toujours possible et une signalisation de l'entreprise est installée ;
- la preuve d'un lien de causalité direct entre les difficultés d'accès au commerce de la société Next Automobile et la perte de clientèle n'est pas rapportée ; la seule présentation d'une attestation comptable faisant état d'une baisse de son chiffre d'affaires ne suffit pas à démontrer ce lien dans un contexte économique défavorable, notamment en 2018, pour le marché de l'automobile d'occasion.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 13 décembre 2024 et 10 mars 2025, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la communauté d'agglomération du Pays de l'Or, représentée par Me Merland, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, si sa condamnation était retenue, à ce que l'évaluation des préjudices subis par les sociétés appelantes soit ramenée à de plus justes proportions ;
3°) et à ce qu'il soit mis à la charge des sociétés appelantes la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête qui méconnaît les dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, est irrecevable dès lors qu'elle ne contient aucune conclusion tendant à la réformation ou à l'annulation du jugement ;
- la requête est irrecevable dès lors que les sociétés appelantes n'apportent toujours pas la preuve en appel qu'elles lui auraient adressé une demande indemnitaire préalable par une lettre recommandée ;
- le jugement attaqué est régulier dès lors qu'eu égard au caractère succinct du moyen développé par les sociétés requérantes, sa motivation est suffisante en ce qui concerne les difficultés d'accès à l'établissement commercial de ces dernières ;
- les conclusions indemnitaires de la requête formulées à son encontre sont mal dirigées, et sont donc irrecevables ; dès lors qu'elle n'a la qualité ni de propriétaire de la route nationale 113 ni de maître de l'ouvrage des travaux publics du contournement ferroviaire des villes de Nîmes et de Montpellier, sa responsabilité ne peut être engagée ;
- l'incidence du projet ferroviaire était connue des sociétés appelantes dès 2004 ;
- les sociétés appelantes ne démontrent pas le caractère anormal et spécial de leurs préjudices.
Par une ordonnance du 6 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 10 mars 2025 à 12 heures.
Vu les autres pièces de ce dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Beltrami,
- les conclusions de Mme A...,
- et les observations de Me Ramos, représentant la communauté d'agglomération du Pays de l'Or.
Considérant ce qui suit :
1. La société Next Immo loue, depuis le 22 juin 2010, un local commercial situé 120 chemin du bois, dans la commune de Valergues (Hérault), qui se trouvait à proximité de l'ancienne route nationale 113, à la société Next Automobile, laquelle exploite un commerce de concession automobile. Ces deux sociétés sont gérées par M. B.... Pour les besoins du projet de construction de la ligne ferroviaire de contournement des villes de Nîmes et de Montpellier, une section de la route nationale 113, d'une longueur d'environ 2 500 mètres, a été déviée et rétablie entre les points de repère routiers 9 et 11, sur le territoire des communes de Valergues et
Saint-Brès dans le département de l'Hérault. Estimant que leurs clients subissent, du fait du déplacement de cette portion de la route nationale 113, un allongement de parcours et être elles-mêmes victimes d'une perte de visibilité à l'origine, pour leur établissement, d'un préjudice grave et spécial, les sociétés Next Automobile et Next Immo ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'État, la communauté d'agglomération du Pays de l'Or et la société Oc'Via à leur verser, respectivement, les sommes de 172 396,39 euros et 46 132 euros. Elles relèvent appel du jugement du 2 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs conclusions indemnitaires et demandent la condamnation solidaire de l'État et de la communauté d'agglomération du Pays de l'Or à verser, d'une part, à la société Next Automobile une indemnité totale de 1 713 567 euros et d'autre part, à la société Next Immo, une indemnité de totale de 163 032 euros en réparation de leurs préjudices.
Sur la régularité du jugement :
2. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés ".
3. Les sociétés appelantes soutiennent que le tribunal n'a pas motivé son jugement en ce qui concerne l'existence de difficultés excessives rencontrées par les clients désireux de se rendre au commerce de vente d'automobiles exploité par la société Next Automobile. Toutefois, les premiers juges, après avoir estimé au point 5 de leur jugement que " contrairement à ce que soutenaient les requérantes, il n'est nul besoin de réaliser " un long et invraisemblable détour " pour accéder désormais à leurs locaux puisqu'il suffit d'emprunter la voie en direction de la ZAC des Jasses depuis le rond-point réalisé sur la nouvelle portion de la route nationale 113 qui dessert par ailleurs d'autres sociétés ", en ont conclu que l'accès au local commercial n'était pas rendu excessivement difficile, mais seulement moins direct. Ils ont ainsi suffisamment motivé leur réponse au moyen dont ils étaient saisis. Par suite, le moyen d'irrégularité soulevé, qui manque en fait, ne peut qu'être écarté.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. Si, en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique.
5. Par ailleurs, lorsque, du fait de travaux publics de voirie, l'accès à un commerce est rendu plus difficile, le préjudice qui en résulte est indemnisé sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques, si le riverain établit subir un préjudice grave et spécial et le lien de causalité entre les travaux publics et les dommages allégués.
6. Enfin, les allongements de parcours et les difficultés d'accès des commerçants riverains à leur établissement, et de leurs clients, du fait de la disparition d'une voie d'accès qu'ils utilisaient, que celle-ci résulte d'un parti d'aménagement de la collectivité publique ou d'un défaut d'entretien de la voie, ne peuvent ouvrir droit à indemnisation à leur profit que si elles excèdent les sujétions qui doivent normalement être supportées sans indemnité.
7. L'État a chargé la société Oc'Via de la construction d'une ligne ferroviaire de contournement des villes de Nîmes et de Montpellier. Pour les besoins de ce projet, une section de la route nationale 113, d'environ 2 500 mètres de long, a été déviée et rétablie entre les points de repères routiers 9 et 11, sur le territoire des communes de Valergues et Saint-Brès situées dans le département de l'Hérault. A l'issue de cette opération, le commerce exploité par la société Next Automobile, situé chemin du bois à Valergues, dont le positionnement était quasiment parallèle à celui de l'ancienne route nationale 113, ne se trouvait plus à proximité de cette route nationale.
8. Il résulte de l'instruction que le chemin du bois, à Valergues, où se trouve l'établissement commercial des sociétés appelantes, ne permet plus d'accéder directement à la nouvelle route nationale 113. Si la circulation de l'ancienne route nationale 113, qui est devenue l'avenue de Montpellier, est désormais coupée par des blocs de pierre disposés au niveau du n° 1 du chemin du bois, cette situation n'empêche cependant pas l'accès des véhicules à ce chemin en empruntant un trajet à droite. Il résulte à cet égard du constat du commissaire de justice réalisé le 2 novembre 2023 qu'un panneau installé devant les blocs de pierre signale la direction du commerce de la société Next Automobile. Depuis le déplacement de la route nationale 113, les clients de passage de la société Next Automobile circulant sur cette nouvelle voie doivent, pour accéder à son commerce, emprunter le carrefour giratoire réalisé au croisement entre la route nationale 113 et la route départementale 105 qui permet de rejoindre l'avenue de Montpellier et le chemin du bois. Toutefois, l'allongement de parcours de quelques kilomètres subi par la société Next Automobile, à la suite de cette nouvelle configuration des lieux, n'a pas eu pour effet de rendre excessivement difficile l'accès à son commerce.
9. Il résulte ainsi de l'instruction que les gênes et nuisances subies par la société Next Automobile n'ont pas provoqué de graves difficultés d'accès à son commerce, et qu'en dépit d'une moindre visibilité pour la clientèle potentielle de passage, elles n'ont pas eu pour effet de rendre l'emplacement occupé par la société Next Automobile inadapté à son activité de concessionnaire automobile. Il résulte au demeurant du constat du commissaire de justice précité qu'un autre établissement ayant pour activité l'entretien et la réparation de véhicules automobiles s'est installé chemin du bois, à proximité des locaux de la société Next Automobile.
10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, les sociétés appelantes ne sont pas fondées à réclamer une indemnité du fait des travaux publics de déplacement de la route nationale 113 dont il n'est pas établi qu'ils auraient provoqué, par l'ensemble des gênes qu'ils ont occasionné à ces sociétés, des sujétions excédant celles qui doivent normalement être supportées sans indemnité.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Next Automobile et Next Immo ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes indemnitaires.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge solidaire de l'État et de la communauté d'agglomération du Pays de l'Or, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, la somme demandée par les sociétés appelantes au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
13. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de chacune des sociétés appelantes une somme de 750 euros à verser à la communauté d'agglomération du Pays de l'Or.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête des sociétés Next Automobile et Next Immo est rejetée.
Article 2 : La société Next Automobile et la société Next Immo verseront chacune une somme de 750 euros à la communauté d'agglomération du Pays de l'Or au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Next Automobile, à la société civile immobilière Next Immo, à la communauté d'agglomération du Pays de l'Or et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2025.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL00785