La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/04/2025 | FRANCE | N°22TL22357

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 17 avril 2025, 22TL22357


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... B... et M. C... A... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier, d'une part, d'annuler les décisions implicites par lesquelles le maire de Garrigues et le préfet de l'Hérault ont rejeté leurs réclamations préalables tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de la construction de leur maison d'habitation en zone inondable, d'autre part, d'enjoindre à la commune de Garrigues et à l'Etat de réaliser des travaux de réduction de la vulnérabilité

de leur propriété ou, si mieux n'aime, de condamner solidairement ces deux personnes publi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... et M. C... A... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier, d'une part, d'annuler les décisions implicites par lesquelles le maire de Garrigues et le préfet de l'Hérault ont rejeté leurs réclamations préalables tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de la construction de leur maison d'habitation en zone inondable, d'autre part, d'enjoindre à la commune de Garrigues et à l'Etat de réaliser des travaux de réduction de la vulnérabilité de leur propriété ou, si mieux n'aime, de condamner solidairement ces deux personnes publiques à leur verser une somme de 67 000 euros pour leur permettre de réaliser ces mêmes travaux et, enfin, de condamner solidairement la commune et l'Etat à leur verser une somme comprise entre 200 000 euros et 430 000 euros au titre de la perte de valeur vénale de la propriété et une somme de 40 000 euros au titre du préjudice moral et de jouissance.

Par un jugement n° 2002684 rendu le 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la commune de Garrigues à verser aux demandeurs une somme de 107 208,30 euros au titre de la réparation de leurs préjudices sous déduction de la somme de 105 000 euros versée à titre de provision (article 1er), mis à la charge de ladite commune une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2), mis à la charge définitive de la même commune les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 11 867,23 euros (article 3), rejeté le surplus des conclusions de la demande (article 4) et rejeté les conclusions présentées par la commune de Garrigues sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 5).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 novembre 2022, Mme D... B... et M. C... A..., représentés par Me Audouin, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 22 septembre 2022 en tant que, par son article 4, il rejette le surplus des conclusions de leur demande ;

2°) d'annuler les décisions implicites par lesquelles le maire de Garrigues et le préfet de l'Hérault ont rejeté leurs réclamations préalables tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de la construction de leur maison d'habitation en zone inondable ;

3°) d'enjoindre à la commune de Garrigues et à l'Etat de réaliser des travaux de réduction de la vulnérabilité de leur propriété ou de les condamner solidairement à leur verser une somme de 67 000 euros pour leur permettre de réaliser ces travaux ;

4°) de condamner solidairement la commune de Garrigues et l'Etat à leur verser une somme de 230 000 euros au titre de la perte de valeur vénale de la propriété ou une somme de 430 000 euros à ce même titre s'ils devaient quitter les lieux, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts à compter du 10 mars 2020 ;

5°) de condamner solidairement la commune de Garrigues et l'Etat à leur verser une somme de 40 000 euros au titre du préjudice moral et de jouissance, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts à compter du 10 mars 2020 ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Garrigues et de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les premiers juges n'ont pas répondu à leur demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune et à l'Etat de réaliser des travaux de réduction de la vulnérabilité du bien ;

- le tribunal administratif a jugé à bon droit que la commune avait commis une faute en leur accordant le permis de construire pour réaliser leur maison, mais c'est à tort qu'il a écarté les autres fautes reprochées à la commune, tirées de ce que le maire n'a pas mis en œuvre ses pouvoirs de police mentionnés au 5° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales et de ce que la commune a manqué à son obligation d'information du public sur le risque inondation telle que prévue par l'article L. 125-2 du code de l'environnement ;

- le tribunal a écarté à tort la responsabilité de l'Etat, alors que ce dernier a également manqué à son obligation d'information du public sur le risque inondation et qu'il a commis une faute lourde en ne procédant pas au contrôle de la légalité du permis de construire ;

- les premiers juges ont retenu une faute des victimes alors que la commune n'avait pas soulevé ce moyen ; ils ont ainsi statué " ultra petita " ; la faute ainsi retenue n'est pas avérée et le taux d'atténuation de la responsabilité de la commune de 25 % est disproportionné ;

- le tribunal s'est mépris sur les conclusions de l'experte en estimant que les travaux de réduction de la vulnérabilité du bien seraient inefficaces ; ils vont engager des frais pour la protection de leur propriété ; la commune et l'Etat doivent réaliser les travaux de protection préconisés par l'experte ou leur verser une somme totale de 67 000 euros à ce titre ;

- les premiers juges se sont bornés à reprendre l'estimation de la perte de valeur vénale réalisée par l'expert de l'assureur de la commune, alors que l'expert en immobilier mandaté par leurs soins, plus impartial, avait évalué cette perte de valeur vénale à 230 000 euros ;

- le tribunal leur a accordé une somme insuffisante au titre du préjudice moral et de leurs troubles de jouissance, lesquels doivent être réparés à hauteur de 40 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2023, la commune de Garrigues, représentée par la SCP Territoires avocats, conclut :

1°) par la voie de l'appel incident :

- principalement, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il la condamne à verser la somme de 107 208,30 euros au titre de la réparation des préjudices et qu'il met à sa charge la somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance ainsi que les frais d'expertise ;

- subsidiairement, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il retient une faute de la victime à hauteur de 25 % et à la réévaluation de cette faute à 50 % ;

2°) au rejet de la requête ;

3°) à ce que soit mise à la charge des appelants une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sur l'appel incident : aucune faute ne peut lui être reprochée ; à titre subsidiaire, les requérants ont commis une faute atténuant sa responsabilité de 50 % ;

- sur l'appel principal : les moyens invoqués par les requérants sont inopérants ou ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 12 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,

- les conclusions de M. Diard, rapporteur public,

- les observations de Me Audouin, représentant les appelants,

- les observations de Me Chatron, représentant la commune.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... et M. A... sont propriétaires d'un terrain, acquis le 7 février 2014, formé des parcelles cadastrées section ..., situées au lieu-dit " Pous Noou ", sur le territoire de la commune de Garrigues (Hérault). Préalablement à l'achat de ce terrain, les intéressés avaient sollicité et obtenu, par un arrêté pris par le maire de cette commune le 27 décembre 2013, un permis de construire autorisant la réalisation d'une maison individuelle de niveau R + 1 avec garage, pour une surface de plancher de 135,85 m2. Par deux réclamations préalables datées du 10 mars 2020 et envoyées le 16 mars suivant, Mme B... et M. A..., par l'intermédiaire de leur conseil, ont demandé au maire de Garrigues d'une part et au préfet de l'Hérault d'autre part l'indemnisation des préjudices résultant, pour eux, de la situation de leur maison en zone inondable. En l'absence de réponse expresse de la part de ces autorités, les intéressés ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la commune et l'Etat à réparer leurs préjudices. Par un jugement du 22 septembre 2022, ce tribunal a condamné la commune de Garrigues à leur verser une somme de 107 208,30 euros sous déduction de la somme de 105 000 euros déjà versée à titre de provision (article 1er), a mis à la charge de ladite commune une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2), a mis à la charge définitive de la même commune les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 11 867,23 euros (article 3), a rejeté le surplus des conclusions de la demande (article 4) et a enfin rejeté les conclusions présentées par la commune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 5).

2. Par la présente requête, Mme B... et M. A... relèvent appel du jugement du 22 septembre 2022 en tant que, par son article 4, le tribunal a rejeté le surplus des conclusions de leur demande. Par la voie de l'appel incident, la commune de Garrigues relève appel de ce même jugement en tant que, par ses articles 1er, 2 et 3, il l'a condamnée à verser aux requérants une somme de 107 208,30 euros et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les frais et honoraires d'expertise.

Sur la régularité du jugement :

3. En premier lieu, il résulte de la procédure de première instance que Mme B... et M. A... avaient notamment demandé au tribunal administratif de Montpellier d'enjoindre à la commune de Garrigues et à l'Etat de réaliser des travaux de réduction de la vulnérabilité de leur propriété ou de condamner ces deux mêmes personnes publiques à leur verser une somme de 67 000 euros pour leur permettre de réaliser lesdits travaux. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que les premiers juges ont visé la demande d'injonction ainsi présentée par les requérants, puis qu'ils ont, au point 20, condamné la commune à leur verser une somme de 7 814,40 euros correspondant à une partie de ces travaux, tout en précisant, au même point 20, les raisons pour lesquelles ils ont estimé que le reste des travaux invoqués n'étaient soit pas nécessaires, soit pas en lien direct et certain avec la faute commise par la commune. En se prononçant de la sorte, puis en rejetant le surplus des conclusions de la demande des intéressés par l'article 4 du dispositif de son jugement, le tribunal administratif de Montpellier a répondu à l'ensemble des conclusions dont il était saisi s'agissant des travaux en cause. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le jugement serait irrégulier sur ce point.

4. En second lieu, il résulte des motifs du jugement contesté, plus particulièrement de son point 18, que les premiers juges ont considéré que Mme B... et M. A... avaient fait preuve, lors de l'acquisition de leurs parcelles, d'une imprudence fautive de nature à atténuer la responsabilité de la commune de Garrigues à hauteur de 25 % des préjudices subis. En relevant l'existence d'une telle cause exonératoire, le tribunal administratif de Montpellier ne s'est pas prononcé sur des conclusions dont il n'aurait pas été saisi et n'a donc pas statué " ultra petita ", mais il s'est borné à vérifier, au vu des pièces du dossier, si les conditions d'engagement de la responsabilité de la personne publique étaient remplies. De surcroît et en tout état de cause, il ressort de la procédure de première instance que tant la commune de Garrigues que le préfet de l'Hérault avaient exposé, dans leurs mémoires en défense respectifs, une argumentation tenant à l'imprudence des requérants lors de l'achat du terrain et de la réalisation de la maison. Dès lors, les intéressés ne sont pas fondés à soutenir que le jugement serait irrégulier à cet égard.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. Les décisions par lesquelles le maire de Garrigues et le préfet de l'Hérault ont rejeté les réclamations préalables présentées par Mme B... et M. A... le 10 mars 2020 ont eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de ces derniers qui, en formulant les conclusions sus-analysées, ont donné à leur requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Eu égard à l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit des requérants à percevoir la somme réclamée, les vices propres dont seraient entachées les décisions ayant lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Il s'ensuit que les conclusions tendant à l'annulation de ces décisions ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune :

6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ". Il appartient à l'autorité administrative et au juge de l'excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d'atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de ces dispositions, de tenir compte de la probabilité de réalisation de ces risques ainsi que de la gravité de leurs conséquences, s'ils se réalisent.

7. Il résulte de l'instruction que les services de l'Etat ont initié à partir de l'année 2011 la réalisation d'une étude visant à la définition des zones inondables et des enjeux sur le bassin versant de la rivière Bénovie, lequel inclut notamment le territoire de la commune de Garrigues. Le maire de cette commune a participé, le 5 juillet 2011, à une réunion de travail organisée par les services de la direction départementale des territoires et de la mer de l'Hérault, puis, le 16 août 2011, à une visite sur site lors de laquelle ont été évoqués la sensibilité particulière du secteur où se situe le terrain des requérants et l'événement survenu en ce lieu en 2002 avec un véhicule emporté par les eaux. Il résulte également de l'instruction que l'ensemble des maires intéressés, dont celui de Garrigues, ont été invités, par une lettre du 21 novembre 2013, à une réunion, programmée le 12 décembre suivant, pour la présentation des résultats de cette étude, l'exposé de la démarche d'élaboration d'un plan de prévention des risques d'inondation et la remise d'un dossier comprenant les cartes de l'aléa sur chaque commune, la lettre d'invitation précisant explicitement que la remise de ce dossier vaudrait " porter à connaissance " pour une prise en compte immédiate en matière d'autorisations d'urbanisme. La commune de Garrigues n'ayant pas été représentée à cette réunion, les services de l'Etat ont adressé à son maire dès le 20 décembre 2013 un pli contenant le dossier en cause et, notamment, les cartes de l'aléa inondation identifiant le terrain des appelants comme étant exposé à un aléa " fort " caractérisé par une hauteur d'eau pouvant aller jusqu'à 0,5 mètre, laquelle a été ultérieurement réévaluée à 0,9 mètre, conjuguée à une vitesse d'écoulement supérieure à 0,5 mètre par seconde.

8. Dans ces conditions, alors même que la commune de Garrigues n'a retiré le pli du 20 décembre 2013 que le 30 décembre suivant et que la demande de permis de construire des requérants a été instruite par les services de la communauté de communes du Pays de Lunel, le maire disposait d'informations suffisamment précises sur l'intensité de l'aléa inondation auquel se trouvait exposé le terrain en litige lorsqu'il s'est prononcé sur cette demande de permis le 27 décembre 2013. Eu égard à la teneur de ces informations, notamment au niveau d'intensité du risque, la circonstance que les pétitionnaires avaient prévu l'aménagement d'un vide sanitaire sous la maison n'était pas suffisante pour considérer que le permis de construire pouvait être légalement accordé, y compris assorti d'une prescription imposant également la surélévation du garage. En délivrant le permis dans ce contexte, le maire de Garrigues a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune envers Mme B... et M. A....

9. En second lieu, les requérants reprennent, sans argument nouveau et sans critique pertinente du jugement attaqué, leurs moyens tirés de ce que la commune aurait commis des fautes, d'une part, en ne mettant pas en œuvre les pouvoirs de police générale prévus au 5° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales et, d'autre part, en n'assurant pas son obligation d'information du public sur les risques mentionnée à l'article L. 125-2 du code de l'environnement. Par voie de conséquence, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 10 à 13 de leur jugement.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

10. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. / (...) ". Figurent au nombre de ces actes : " Le permis de construire et les autres autorisations d'utilisation du sol (...) ". Les carences de l'Etat dans l'exercice du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales ne sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat que si ces carences présentent le caractère d'une faute lourde.

11. Il est constant que l'arrêté du 27 décembre 2013 accordant le permis de construire litigieux aux requérants a été transmis par la commune de Garrigues, le 15 janvier 2014, aux services préfectoraux en charge du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales. S'il est vrai que les services de l'Etat étaient à l'initiative de l'étude relative à la définition des zones inondables et des enjeux sur le bassin versant de la rivière Bénovie, il ne résulte pas de l'instruction qu'en s'abstenant de demander au maire de retirer le permis de construire ou en s'abstenant de déférer ce permis devant le tribunal administratif de Montpellier, le préfet de l'Hérault aurait commis une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

12. En second lieu, les requérants reprennent, sans argument nouveau et sans critique pertinente du jugement attaqué, leur moyen tiré de ce que l'Etat aurait commis une faute en n'assurant pas son obligation d'information du public sur les risques telle que prévue à l'article L. 125-2 du code de l'environnement. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif au point 14 du jugement contesté.

En ce qui concerne la faute des victimes :

13. Il résulte de l'instruction que les parcelles acquises par Mme B... et M. A... se situent à la confluence de deux ruisseaux et à proximité immédiate d'un troisième cours d'eau. Les intéressés ont par ailleurs été informés, au plus tard lors de la signature de l'acte d'achat du terrain intervenue le 7 février 2014, de l'existence d'arrêtés antérieurs à cette date et portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle au titre du risque inondation sur le territoire de la commune de Garrigues. Dans ces conditions, alors même que les appelants, originaires d'une autre région, n'avaient pas une connaissance précise du niveau de risque auquel était soumis leur terrain, les intéressés doivent être regardés comme ayant fait preuve d'une imprudence fautive ayant partiellement contribué à la réalisation de leurs préjudices, laquelle est de nature à atténuer la responsabilité de la commune de Garrigues à hauteur de 25 % des préjudices subis.

En ce qui concerne la réparation des préjudices :

14. En premier lieu, les requérants sollicitent une indemnisation au titre des travaux de réduction de la vulnérabilité de leur propriété en se fondant, notamment, sur les conclusions de l'expertise hydraulique ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier le 10 août 2018, dont le rapport a été remis le 19 septembre 2019. D'une part, si les intéressés soutiennent qu'il serait nécessaire de prévoir des travaux de protection de leurs parcelles par la réalisation de " petites digues " de gabions, il ressort toutefois du rapport susmentionné que l'aménagement de tels ouvrages n'a pas été jugé pertinent par l'experte, laquelle a relevé qu'ils pouvaient entraîner une aggravation de l'aléa en cas de défaillance. La position ainsi retenue par l'experte est cohérente avec celle des services de l'Etat, lesquels ont rappelé que la création de remblais était interdite par le plan de prévention des risques d'inondation approuvé par arrêté du 28 juin 2017. L'experte a par ailleurs également considéré que la mise en place d'un bassin de rétention à proximité du terrain serait inefficace. D'autre part et en revanche, il résulte tant du rapport d'expertise que du diagnostic réalisé par un bureau d'études spécialisé le 5 juin 2019 que plusieurs mesures ont été jugées nécessaires ou recommandées pour réduire la vulnérabilité de la maison et du garage. Dans ce cadre, il y a lieu d'indemniser les requérants pour les travaux de pose de huit batardeaux, supportés par eux à hauteur de 1 189,92 euros après déduction de la subvention versée par l'Etat, pour la création d'un ouvrant en toiture, évaluée à la somme de 1 800 euros, ainsi que pour l'installation d'un clapet anti-retour sur le système d'assainissement, laquelle a fait l'objet d'un devis à hauteur de 787,55 euros. Il y a lieu de rajouter à ces sommes le coût de la réalisation du diagnostic, lequel est de 270 euros après déduction de la subvention payée par l'Etat. Il n'y a pas lieu, par contre, d'indemniser à ce titre la clôture de la piscine et le rebouchage de la dalle du garage dès lors que ces travaux ne présentent pas un lien direct avec la faute de la commune relevée au point 8 du présent arrêt, mais sont liés à la réalisation de la piscine, laquelle n'a pas été autorisée par le permis de construire du 27 décembre 2013, mais à la suite d'une déclaration préalable de travaux le 20 juillet 2015. Il en résulte que les appelants sont en droit d'obtenir une indemnité au titre des mesures de réduction de la vulnérabilité de leurs biens pour un montant total de travaux de 4 047,47 euros, lequel doit être ramené à une somme de 3 035,60 euros compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 13.

15. En deuxième lieu, les requérants sollicitent une indemnisation au titre de la perte de valeur vénale de leur propriété résultant de sa situation dans une zone inondable exposée à un risque fort. Il résulte à cet égard de l'instruction que l'experte en hydraulique désignée par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier s'est bornée à estimer la perte de valeur vénale des biens en litige, sur la base des seules indications données par l'avocat des appelants, sous forme d'une fourchette comprise entre 122 857,86 euros et le montant total des travaux de réalisation de la construction, soit 408 626,21 euros. Mme B... et M. A... ont produit à l'instance une expertise immobilière, réalisée à leur demande par le cabinet " Ethique Immobilis " le 3 février 2021, laquelle retient, après visite sur site, une valeur vénale initiale de la maison de 472 000 euros avant prise en compte du risque inondation et une perte de valeur vénale liée à ce risque comprise entre 218 571 euros et 236 250 euros, sur la base de deux méthodes de calcul basées sur une pluralité de critères. La commune de Garrigues a produit une autre expertise immobilière, réalisée le 19 mars 2022 par le cabinet " Castera Expertises " mandaté par son assureur, laquelle retient, sur la base d'une analyse sur pièces, une valeur vénale initiale de la maison de 430 000 euros avant prise en compte du risque et une perte de valeur vénale liée à ce risque estimée à 130 000 euros après application d'un coefficient de réduction forfaitaire de 30 %. Eu égard aux deux expertises immobilières ainsi produites par les parties, lesquelles reposent toutes deux sur des méthodes d'évaluation sérieuses, il y a lieu de faire une juste appréciation de la perte de valeur vénale de la propriété des appelants résultant de sa localisation en secteur inondable en fixant ce préjudice à la somme de 180 000 euros, laquelle sera ramenée à une somme de 135 000 euros compte tenu du partage de responsabilité.

16. En troisième lieu, si les requérants sollicitent une indemnisation de leur préjudice moral ainsi que des troubles résultant de la faute de la commune dans la jouissance de leur propriété, en invoquant notamment les craintes liées à la présence de leurs deux jeunes enfants, les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en l'évaluant à une somme de 2 500 euros pour chacun des appelants, soit un montant total de 5 000 euros, lequel sera ramené à une somme de 3 750 euros pour tenir compte du partage de responsabilité.

17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... et M. A... sont seulement fondés à demander que l'indemnité que le tribunal administratif de Montpellier a condamné la commune de Garrigues à leur verser au titre de la réparation de leurs préjudices soit portée à la somme de 141 785,60 euros, sous déduction de la provision de 105 000 euros déjà allouée par le juge des référés de ce tribunal par une ordonnance n° 2002781 du 4 décembre 2020.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation :

18. La somme due par la commune de Garrigues à Mme B... et M. A..., telle que mentionnée au point 17 du présent arrêt, sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2020, correspondant à la date d'enregistrement de leur demande de première instance, en l'absence de preuve de la date de réception par la commune de leur réclamation préalable du 10 mars 2020. Les intérêts échus à la date du 8 juillet 2021, puis à chaque échéance annuelle ultérieure, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

19. Il résulte de ce qui a été exposé au point 14 du présent arrêt que les travaux de réduction de la vulnérabilité de la propriété de Mme B... et M. A..., autres que ceux pour lesquels une indemnisation a été accordée à hauteur de 3 035,60 euros, apparaissent dénués de pertinence au regard des exigences liées à la gestion des inondations dans le secteur considéré. Par voie de conséquence, les conclusions des requérants tendant à ce que la cour enjoigne à la commune de Garrigues ou à l'Etat de réaliser ces travaux doivent être rejetées.

Sur l'appel incident de la commune :

20. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, notamment de ce qui a été énoncé aux points 8 et 13 du présent arrêt, que les conclusions incidentes présentées par la commune de Garrigues, tant à titre principal qu'à titre subsidiaire, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge de l'Etat, lequel n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque au titre des frais exposés par Mme B... et M. A... et non compris dans les dépens. Les mêmes dispositions s'opposent également à ce que soit mise à la charge de Mme B... et M. A..., lesquels n'ont pas la qualité de partie perdante pour le principal dans cette instance, une somme à verser à la commune de Garrigues à ce même titre. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de ladite commune une somme de 1 500 euros à verser aux appelants sur le fondement de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La somme que la commune de Garrigues est condamnée à verser à Mme B... et M. A... au titre de la réparation des préjudices est portée à 141 785,60 euros, sous déduction de la somme de 105 000 euros déjà allouée à titre de provision. Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2020 et de leur capitalisation à chaque échéance annuelle ultérieure à compter du 8 juillet 2021.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 22 septembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Garrigues versera une somme de 1 500 euros à Mme B... et M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et à M. C... A..., au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation et à la commune de Garrigues.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :

M. Moutte, président,

M. Jazeron, premier conseiller,

Mme Lasserre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.

Le rapporteur,

F. JazeronLe président,

J.F. Moutte

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22TL22357


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22357
Date de la décision : 17/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Moutte
Rapporteur ?: M. Florian Jazeron
Rapporteur public ?: M. Diard
Avocat(s) : AUDOUIN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-17;22tl22357 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award