Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté en date du 14 juin 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de quatre mois.
Par un jugement n° 2203565 du 16 août 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 juillet 2023, Mme C..., représentée par Me Moulin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté en date du 14 juin 2022 du préfet de l'Hérault ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de huit jours ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendue et a insuffisamment motivé son jugement à cet égard ;
- en écartant le moyen tiré du vice de procédure en raison de l'absence de saisine du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le tribunal a insuffisamment motivé son jugement et a commis une erreur de fait et d'appréciation ;
En ce qui concerne la mesure d'éloignement :
- elle est entachée d'un vice de procédure du fait de l'absence de saisine du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- elle est intervenue en méconnaissance de son droit d'être entendue ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et complet de sa situation ;
- elle est intervenue en méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle est entachée d'erreur de fait et de droit en ce que le préfet s'est abstenu d'examiner sa situation au regard de la protection tirée de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour d'une durée de quatre mois :
- elle est entachée d'erreurs de droit et de fait, en raison de circonstances exceptionnelles dont elle justifie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il s'en remet à ses écritures de première instance, à la motivation du jugement attaqué ainsi qu'à celle du jugement du même tribunal du 22 mai 2023 qui a confirmé la légalité de son nouvel arrêté du 20 janvier 2023, portant refus de séjour et assorti d'obligation de quitter le territoire français.
Par ordonnance du 19 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 janvier 2024.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droit fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne C-383/13 du 10 septembre 2013, C-166/13 du 5 novembre 2014 et C-249/13 du 11 décembre 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Teulière, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., née le 20 juillet 1975 à Ouagadougou (Burkina Faso), de nationalité burkinabée, est entrée en France le 25 avril 2018 et a déposé, le 6 février 2019, une demande d'asile. Sa demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 5 mars 2021 et le recours formé contre cette décision a été rejeté par la Cour nationale du droit d'asile le 15 février 2022. Par un arrêté du 14 juin 2022, le préfet de l'Hérault l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de quatre mois. Mme C... relève appel du jugement n° 2203565 du 16 août 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 14 juin 2022.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants :/ (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; /(...) ". Ces dispositions ne prévoient pas de droit pour un étranger à être entendu dans le cadre de la procédure de prise d'une décision l'obligeant à quitter le territoire français.
3. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé, notamment par son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013, les auteurs de la directive du 16 décembre 2008, s'ils ont encadré de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants des Etats tiers concernés par les décisions d'éloignement ou de rétention, n'ont pas précisé si et dans quelles conditions devait être assuré le respect du droit de ces ressortissants d'être entendus, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Si l'obligation de respecter les droits de la défense pèse en principe sur les administrations des Etats membres lorsqu'elles prennent des mesures entrant dans le champ d'application du droit de l'Union, il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des Etats tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu. Ce droit, qui se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts, ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
4. Dans le cadre ainsi posé, et s'agissant plus particulièrement des décisions relatives au séjour des étrangers, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans ses arrêts C-166/13 Sophie Mukarubega du 5 novembre 2014 et C-249/13 Khaled Boudjlida du 11 décembre 2014, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
5. Enfin, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 10 septembre 2013 cité au point 3, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.
6. Il ressort des termes de l'arrêté contesté du 14 juin 2022, que, pour prendre la décision d'éloignement litigieuse à l'encontre de Mme C..., le préfet de l'Hérault s'est seulement fondé sur le rejet de sa demande d'asile, le fait qu'elle ne bénéficiait ainsi plus du droit de se maintenir sur le territoire ainsi que sur la considération que les conséquences d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français n'apparaissaient pas disproportionnées au regard du droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale. Cependant, il ressort des pièces du dossier que les services préfectoraux ont été informés par l'assistante sociale de la requérante, par courriel du 28 février 2022 sollicitant un rendez-vous, du souhait de Mme C... de déposer une demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade, de ce qu'elle était atteinte d'une affection de longue durée et des difficultés rencontrées, depuis novembre 2021, pour la prise de rendez-vous pour le dépôt du dossier sur le site internet de la préfecture. A ce courriel était joint un certificat médical du 21 septembre 2021 d'un médecin du service des maladies infectieuses du centre hospitalier universitaire de Montpellier attestant que Mme C... est régulièrement suivie au centre hospitalier universitaire pour une maladie chronique relevant d'une affection de longue durée et pour un syndrome post-traumatique lié à l'affection. Il ressort également des pièces du dossier, notamment d'un compte-rendu d'analyses médicales du 31 juillet 2019 qu'elle a versée aux débats, que l'affection de Mme C... est une infection au virus de l'immunodéficience humaine. Il ressort enfin des pièces du dossier que l'assistante sociale de l'intéressée a réitéré sans succès en mai 2022 sa demande de rendez-vous pour le dépôt d'un dossier de demande de titre de séjour pour raisons de santé. Dans ces conditions, Mme C... est fondée à soutenir qu'elle n'a pas été mise à même de faire valoir, préalablement à l'édiction de la mesure d'éloignement en litige, les motifs tenant à son état de santé qui auraient pu influer sur le sens de la décision et, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, cette irrégularité affectant le droit d'être entendu a, effectivement privé l'intéressée de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent, le préfet ayant notamment indiqué dans ses écritures de première instance que les demandes de titre de séjour pour raisons de santé étaient systématiquement soumises à l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, notamment ceux relatifs à la régularité du jugement, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 juin 2022 du préfet de l'Hérault.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Il résulte de l'instruction qu'à la suite du dépôt par l'appelante, le 15 septembre 2022, d'une demande d'admission au séjour en qualité d'étranger malade, l'autorité préfectorale a prononcé, au terme d'un nouvel examen de la situation de l'intéressée et après avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, un arrêté en date du 20 janvier 2023, portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français. Dès lors, le présent arrêt n'implique aucune mesure particulière d'exécution.
Sur les frais liés au litige :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme de 1 200 euros à Me Moulin au titre des frais non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2203565 du 16 août 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier et l'arrêté du 14 juin 2022 du préfet de l'Hérault sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Me Moulin une somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce conseil renonce à recevoir la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., à Me Moulin et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président de chambre,
M. Teulière, président assesseur,
Mme Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.
Le rapporteur,
T. Teulière
Le président,
D. ChabertLa greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23TL01896