Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Guignard Promotion a demandé au tribunal administratif de Nîmes, d'une part, d'annuler l'avis de sommes à payer valant titre de recettes n° 00800-2019-1832 émis par la commune d'Alès, ainsi que les décisions implicites rejetant ses recours gracieux présentés contre ce titre de recettes respectivement adressés à la commune et à la trésorerie d'Alès, et, d'autre part, de la décharger de l'obligation de payer la somme de 339 369,38 euros mise à sa charge par ledit titre de recettes.
Par un jugement n° 2002441 rendu le 31 janvier 2023, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'avis de sommes à payer ainsi que les décisions implicites rejetant les recours gracieux, a déchargé la société Guignard Promotion de l'obligation de payer la somme de 339 369,38 euros, a mis à la charge de la commune d'Alès une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté les conclusions présentées par ladite commune sur le fondement de ces mêmes dispositions.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 avril 2023, la commune d'Alès, représentée par Me Audouin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 31 janvier 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée sous le n° 2002441 par la société Guignard Promotion devant le tribunal administratif de Nîmes ;
3°) de mettre à la charge de la société Guignard Promotion une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a écarté à tort sa fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de la société Guignard Promotion dès lors qu'elle a répondu le 5 mars 2020 au recours gracieux présenté par cette société le 23 janvier 2020 et que le nouveau courrier, adressé par ladite société le 12 mars 2020, n'a, par conséquent, pas été de nature à proroger le délai de recours contentieux ; à supposer même que le courrier du 12 mars 2020 soit pris en compte, la demande était également tardive et par suite irrecevable ;
- la société Guignard Promotion n'était en tout état de cause plus recevable à contester la participation d'urbanisme mise à sa charge par le titre de recettes en litige dès lors qu'elle n'avait pas exercé de recours dans le délai requis à l'encontre du permis de construire accordé le 2 septembre 2014 en tant qu'il prescrivait cette participation ;
- le titre de recettes est suffisamment motivé par référence à la délibération du conseil municipal d'Alès instituant le programme d'aménagement d'ensemble du secteur " Gardonnet ", laquelle était connue de la société intimée, professionnelle de l'immobilier, par ailleurs déjà informée de la participation litigieuse par le permis de construire du 2 septembre 2014 ainsi que par le permis de construire modificatif du 28 décembre 2015 ;
- il n'est interdit par aucune disposition législative ou règlementaire de mentionner une participation d'urbanisme dans un permis de construire modificatif ; le permis modificatif du 28 décembre 2015 précise en l'espèce les bases de calcul de la créance, laquelle a été seulement mise à jour par le permis modificatif du 15 septembre 2020 ;
- le programme d'aménagement d'ensemble du secteur " Gardonnet " tel qu'adopté par le conseil municipal porte sur un ensemble d'équipements publics déterminés pour des coûts précis et la délibération correspondante mentionne les modalités de calcul de la participation à la charge des constructeurs au regard de la surface de plancher.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 septembre 2023 et le 22 mai 2024, la société Guignard Promotion, représentée par la SCP Bouyssou et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune d'Alès une somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- sa demande n'était pas tardive ;
- les premiers juges ont retenu à bon droit que la participation litigieuse n'avait pas de base légale dès lors qu'elle n'était pas mentionnée dans le permis de construire initial et qu'elle ne pouvait être légalement imposée par un permis modificatif ;
- le titre de recettes n'est pas signé ;
- il n'indique pas les bases de liquidation de la créance ;
- le titre de recettes est illégal en ce que le programme d'aménagement d'ensemble du secteur " Gardonnet " ne se limite pas aux seuls équipements publics répondant aux besoins des habitants et usagers des constructions à implanter dans ce secteur.
Par ordonnance en date du 22 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 ;
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,
- les conclusions de M. Diard, rapporteur public,
- les observations de Me Foucard, représentant la société intimée.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté n° PC 30007 11 X 0119 édicté le 2 septembre 2014, le maire d'Alès (Gard) a accordé à la société Guignard Promotion un permis de construire pour implanter un bâtiment commercial sur un terrain situé n° 121 impasse du Gardonnet, lequel est inclus dans le périmètre du programme d'aménagement d'ensemble du secteur " Gardonnet ", tel qu'institué par une délibération du conseil municipal d'Alès du 20 septembre 2010. Par un arrêté du 28 décembre 2015, le maire a délivré à la même société un permis de construire modificatif portant sur la modification des ouvertures en façades et l'aménagement des espaces extérieurs, lequel est assorti d'une prescription rendant ladite société redevable d'une participation d'un montant de 326 515 euros, révisable, au titre du programme d'aménagement d'ensemble du secteur " Gardonnet ". Le 26 décembre 2019, la commune d'Alès a émis un avis de sommes à payer valant titre de recettes à l'encontre de la société Guignard Promotion, pour un montant de 339 369,38 euros correspondant à la participation au programme d'aménagement d'ensemble susmentionné. Le 12 mars 2020, ladite société a présenté des réclamations préalables contre ce titre exécutoire auprès de la commune ainsi que de la direction départementale des finances publiques du Gard. En l'absence de réponse expresse à ces réclamations, la société a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'avis de sommes à payer ainsi que les décisions implicites de rejet de ses réclamations préalables et de la décharger de l'obligation de payer la somme de 339 369,38 euros mise à sa charge. Par un jugement rendu le 31 janvier 2023, cette juridiction a prononcé l'annulation de l'avis de sommes à payer et des décisions implicites en litige, a déchargé la société de l'obligation de payer la somme de 339 369,38 euros et a mis à la charge de la commune une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par sa requête, la commune d'Alès relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées à la demande :
2. L'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales dispose que : " (...) / 1° En l'absence de contestation, le titre de recettes individuel ou collectif émis par la collectivité territoriale ou l'établissement public local permet l'exécution forcée d'office contre le débiteur. (...) L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois à compter de la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite. / (...) ". L'article L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration mentionne que : " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. ". Selon l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et l'adaptation des procédures pendant cette même période : " I. ' Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus. ". Selon l'article 7 de la même ordonnance : " Les délais à l'issue desquels une décision, un accord ou un avis de l'un des organismes ou personnes mentionnés à l'article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu'à la fin de la période mentionnée au I de l'article 1er. / Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période mentionnée au I de l'article 1er est reporté jusqu'à l'achèvement de celle-ci. ".
3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'avis de sommes à payer en litige a été reçu par la société Guignard Promotion au plus tôt le 15 janvier 2020 et que le courrier adressé par cette société au maire d'Alès le 23 janvier 2020 se bornait à solliciter des précisions sur les modalités de calcul de la somme mise à sa charge par ce titre exécutoire, sans qu'il ne comporte la moindre contestation de la régularité ou du bien-fondé de cet acte. Par voie de conséquence, ledit courrier du 23 janvier 2020 ne constituait pas un recours gracieux et la commune requérante ne peut donc valablement soutenir que le délai de recours contentieux contre l'avis de sommes à payer aurait commencé à courir à compter de la réception, par la société intimée, de la lettre du 5 mars 2020 par laquelle son maire a apporté les précisions sollicitées. Il résulte également de l'instruction que la société Guignard Promotion a adressé des réclamations préalables contre l'avis de sommes à payer auprès de la commune et de la direction départementale des finances publiques du Gard, lesquelles ont reçu ces réclamations le 16 mars 2020, soit dans le délai de recours de deux mois qui s'est ainsi trouvé prorogé. En application des dispositions précitées de l'ordonnance du 25 mars 2020, le point de départ du délai de naissance des décisions implicites rejetant ces réclamations a été reporté au 24 juin 2020, pour une durée de deux mois, si bien que le délai de recours contentieux n'était pas expiré lors de l'enregistrement de la demande de première instance par le greffe du tribunal administratif de Nîmes le 18 août 2020. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune d'Alès en ce sens ne peut qu'être écartée.
4. En second lieu, le destinataire d'un titre exécutoire est recevable à contester, au soutien de son recours contre cet acte et dans le délai de deux mois suivant sa notification, le bien-fondé de la créance correspondante, alors même que la décision initiale constatant et liquidant cette créance est devenue définitive. Par conséquent et contrairement à ce que soutient la commune appelante, la circonstance que la société Guignard Promotion n'a contesté ni le permis de construire initial du 2 septembre 2014, ni le permis modificatif du 28 décembre 2015 la rendant redevable de la participation au titre du programme d'aménagement d'ensemble, lesquels sont ainsi devenus définitifs, ne faisait pas obstacle à ce que la société intimée puisse remettre en cause le bien-fondé de la créance correspondant à ladite participation à l'appui de son recours contre l'avis de sommes à payer émis par la commune pour recouvrer cette créance. Dès lors, la fin de non-recevoir invoquée par la commune sur ce point doit être écartée.
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
5. L'article L. 332-9 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, dispose que : " Dans les secteurs de la commune où un programme d'aménagement d'ensemble a été approuvé par le conseil municipal, il peut être mis à la charge des constructeurs tout ou partie du coût des équipements publics réalisés pour répondre aux besoins des futurs habitants ou usagers des constructions à édifier dans le secteur concerné. (...) ". L'article L. 332-28 du même code prévoit que : " Les contributions mentionnées ou prévues (...) à l'article L. 332-9 dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 sont prescrites, selon le cas, par le permis de construire, le permis d'aménager, les prescriptions faites par l'autorité compétente à l'occasion d'une déclaration préalable ou l'acte approuvant un plan de remembrement. Ces actes en constituent le fait générateur. Ils en fixent le montant, la superficie s'il s'agit d'un apport de terrains ou les caractéristiques générales s'il s'agit des travaux mentionnés au premier alinéa de l'article L. 332-10 dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2010-1658. ".
6. Il résulte des dispositions précitées du code de l'urbanisme que le fait générateur de la participation au coût des équipements publics pouvant être instituée dans le cadre d'un programme d'aménagement d'ensemble est la délivrance du permis de construire et que cette participation doit, en conséquence, être déterminée selon les règles applicables à la date à laquelle le permis de construire a été accordé. La délivrance ultérieure d'un permis de construire modificatif ne peut constituer le fait générateur d'une nouvelle participation se substituant à la précédente que dans le cas où ce nouveau permis emporte une modification substantielle du projet initial et doit ainsi être regardé comme se substituant lui-même au permis initial.
7. Il résulte de l'instruction que le permis de construire initial accordé à la société intimée le 2 septembre 2014 ne prévoyait pas le versement, par le titulaire de ce permis, d'une participation au coût des équipements publics dont la réalisation était projetée dans le cadre du programme d'aménagement d'ensemble du secteur " Gardonnet ", tel qu'institué par le conseil municipal dans sa délibération du 20 septembre 2010. Il en résulte, au contraire, qu'une telle participation n'a été prescrite que par le permis de construire modificatif du 28 décembre 2015, lequel indique pour la première fois que la société bénéficiaire du permis est redevable d'une somme de 326 515 euros, révisable, au titre de ce programme d'aménagement d'ensemble, sur le fondement de l'article L. 332-9 précité du code de l'urbanisme. Il ressort toutefois des mentions mêmes de l'arrêté du 28 décembre 2015 que le permis de construire modificatif en cause a eu pour objet d'autoriser, par rapport au projet initial, la modification des ouvertures en façade du bâtiment commercial et l'aménagement de ses espaces extérieurs. Les seuls changements ainsi prévus n'emportent pas une modification substantielle du projet initialement autorisé et le permis modificatif du 28 décembre 2015 ne peut dès lors être regardé comme se substituant au permis initial du 2 septembre 2014. En application des principes mentionnés au point précédent, le permis de construire modificatif ne pouvait donc légalement constituer le fait générateur de la participation litigieuse et l'avis de sommes à payer émis par la commune d'Alès pour recouvrer le montant correspondant à cette participation se trouve ainsi dépourvu de base légale.
8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la commune d'Alès n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé le titre de recettes et les décisions implicites en litige, a déchargé la société intimée de l'obligation de payer la somme de 339 369,38 euros et a mis à la charge de ladite commune une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge de la société Guignard Promotion, laquelle n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque à verser à la commune d'Alès au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la commune d'Alès la somme réclamée par la société Guignard Promotion sur le fondement de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune d'Alès est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Guignard Promotion sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Alès et à la société à responsabilité limitée Guignard Promotion.
Copie en sera adressée au directeur départemental des finances publiques du Gard.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Teulière, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2025.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au préfet du Gard, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 23TL00771